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© Trent Haaland / Unsplash

Lyon : un centre médi­cal pion­nier exerce la "san­té planétaire"

Dans la banlieue lyonnaise, Le Jardin, un nouveau centre médical pionnier, fait le lien entre environnement, genre, justice sociale et santé.

« Une patiente m’a dit qu’elle venait au centre de santé interplanétaire, pourtant, on n’a rien d’intergalactique ! » s’amuse Emmanuelle Guimaraes. Cette jeune médecin a pris son premier poste dans un nouveau centre de santé, Le Jardin, ouvert en novembre dernier à Bron, à l’est de Lyon. Association à but non lucratif, ce cabinet médical se démarque du tout-venant par une démarche inclusive et écolo : on y trouve aussi bien un jardin potager que des balades organisées et des ateliers d’empouvoirement, en plus des traditionnelles consultations. Le tout suivant les principes de la santé planétaire. Quèsaco ?

Une approche globale

Ce terme, qui, au premier abord, fleure bon la dérive sectaire, n’a en fait rien d’ésotérique. Au contraire, cette approche dite « globale » de la santé a été développée pour la première fois en 2014, dans le très sérieux journal scientifique The Lancet : aujourd’hui, aux États-Unis, la Planetary Health Alliance regroupe un consortium d’universités, d’ONG, d’instituts de recherche et d’entités gouvernementales du monde entier. En France, l’Alliance Santé planétaire a été lancée en 2021 et compte un peu moins de trois cents membres. « Après le Covid, les gens ont commencé à mieux comprendre les liens entre la santé et l’écologie, précise Mélanie Popoff, médecin scolaire et cofondatrice de la branche française. La question, c’est comment soigner dans un monde qui change ? Car la santé, c’est politique. » « La santé humaine s’intègre dans une santé globale : nous ne sommes plus le centre de la planète, mais nous faisons partie du vivant », résume Emmanuelle Guimaraes. Du bon sens, au fond. Elle reconnaît : « Au départ, le mot interpelle. Mais, quand on donne aux patients et aux patientes des exemples tangibles, ils et elles comprennent très bien de quoi il s’agit. » Concrètement, en consultation, chacun·e est invité·e à s’interroger sur son environnement : « Il s’agit de prendre en compte plusieurs déterminants pour les personnes : les changements environnementaux, la pollution, mais aussi d’autres interactions comme la politique ou le marketing, qui ont des conséquences sur la santé, les risques et les maladies », décrypte Mélanie Popoff. La notion de cobénéfice est également mise en avant, comme la pratique du vélo, qui ne pollue pas tout en profitant aux patient·es.

Une pensée encore émergente

Un engagement qui implique aussi, pour les professionnel·les de santé du Jardin, de faire évoluer leurs pratiques : nettoyer les tables d’examen plutôt qu’utiliser des draps, ou encore limiter les prescriptions inutiles de médicaments. Ainsi, en cas de rhume, des dispositifs réutilisables sont proposés plutôt que des pipettes de sérum physiologique à usage unique. Une médecine concernée par l’écologie, souvent parent pauvre de cette discipline. « La pensée autour de l’urgence climatique en santé est encore émergente, déplore Gwenaëlle Ferré, fondatrice et coordinatrice du Jardin. Mais beaucoup de professionnels essaient de se débrouiller et de s’adapter. Cela va bien au-delà de la gestion des déchets. » À cela s’ajoute un jardin partagé à visée thérapeutique auquel les habitant·es sont invité·es à participer.

La santé planétaire n’est pas sans évoquer une autre approche, mieux connue, celle de One Health (« une seule santé », en VF), initiative née au début des années 2000 qui souligne l’interdépendance de tous les écosystèmes. La santé planétaire lui adjoint une dimension de justice sociale. D’ailleurs, si Le Jardin s’est installé à proximité immédiate de deux quartiers populaires, Terraillon et Parilly, où, traditionnellement, l’accès aux soins est marqué par les inégalités, ce n’est pas un hasard. « On s’adresse aux minorités, mais on ne donne pas de leçon », promet Gwenaëlle Ferré.

C’est elle, la coordinatrice du centre, qui a échafaudé cet ambitieux projet. Cette ancienne du Planning familial avait déjà fait ses armes dans un centre de santé communautaire, un lieu de soins et de vie associatif à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) aux valeurs engagées : « La lutte contre les inégalités sociales de santé et la parti- cipation des personnes concernées sont des clés pour mieux soigner les gens », résume Gwenaëlle Ferré. Ce n’est que plus tard qu’elle a été sensibilisée à la santé planétaire, par un autre médecin du Jardin, Benoît Blaes, membre de l’Alliance Santé planétaire. Après avoir déménagé à Lyon, elle a décidé de monter un nouveau lieu pionnier et pris contact avec l’association de soignant·es féministes Pour une M.E.U.F * afin de recruter du personnel bienveillant. Outre son engagement écolo, le centre de santé revendique donc « une identité féministe forte ». Des médecins généralistes ont ainsi été formé·es au dépistage des violences de genre et envers les personnes LGBTQIA+, ainsi qu’à l’accompagnement des personnes en transition de genre. Sur place, on trouve aussi un centre IVG et des ateliers collectifs sur le thème des douleurs chroniques des femmes.

L’équipe, qui compte désormais onze salarié·es et a réalisé plus de quatre mille consultations, fonctionne aujourd’hui en autogestion : à terme, son conseil d’administration devrait convier des habitant·es et des patient·es en son sein. « Ça change de la médecine libérale... ! » se félicite Emmanuelle Guimaraes. Preuve que la question intéresse déjà en haut lieu : la santé planétaire était au menu du Congrès annuel de la médecine générale française (CMGF) en mars dernier, et Le Jardin a reçu l’auguste visite du nouveau ministre de la Santé en août. Si le centre de santé communautaire et planétaire de Bron est pour l’instant le seul à porter cette appellation en France, nul doute que d’autres suivront.

* Pour une médecine engagée, unie et féministe.


A lire aussi I Anna Roy & Baptiste Beaulieu : ils se battent pour mieux soigner

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