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©Célia Callois pour Causette

Au bou­lot : Céline Le Drenn, débar­deuse à cheval

Monter dans une machine, non mer­ci. Céline Le Drenn, débar­deuse, a choi­si d’entretenir les bois de Bretagne à l’aide de che­vaux de trait. Un métier sub­til, qu’elle veut voir reve­nir à plus grande échelle pour faire face au défi écologique.

"Je me sou­viens de la pre­mière fois que j’ai décou­vert la pro­fes­sion de débar­deuse. C’était il y a une dizaine d’an- nées, un ami conduc­teur de traî­neau de chiens m’en avait par­lé. Tirer des bouts de bois avec un che­val en forêt plu­tôt qu’avec des machines, ça m’a paru com­plè­te­ment icono- claste. Pendant long­temps, je n’ai plus eu de nou­velles de cette pra­tique. Puis, en 2017, j’ai ren­con­tré le débar­deur en ques­tion dont m’avait par­lé mon ami : il s’appelle Ludovic Tardif. C’est allé un peu plus loin que pré­vu puisqu’il est deve­nu mon mari !

J’ai appris la pro­fes­sion aux côtés de Ludo. Avant ça, j’étais pro­fes­seure de musique. Une fois que l’on fait la connais­sance d’un pre­mier meneur – l’autre nom de celui qui dirige les che­vaux dans les bois pour trans­por­ter les arbres abat­tus par les bûche­rons –, on est ame­né à en croi­ser un deuxième, un troi­sième… Et à récu­pé­rer le plus d’informations per­ti­nentes auprès d’eux pour exer­cer. On apprend à “débus­quer” les arbres abat­tus, c’est-à-dire les traî­ner du haut d’un ver­sant de la forêt jusqu’à un trac­teur qui les trans­por­te­ra pour être ven­dus à des pro­fes­sion­nels ou à des particuliers.

Les che­vaux, je les côtoie depuis toute petite. Ils ont joué un rôle de pan­se­ment affec­tif tout au long de ma vie et m’ont aus­si ouverte à la nature. Ubélia et Patchouk, deux che­vaux de trait bre­tons, m’accompagnent au tra­vail. Ils sont équi­pés d’un har­nais et d’un palon­nier, une barre qui sert à trac­ter le bois, et on les dirige à l’aide d’un cor­deau. En jouant sur les vibra­tions du cor­deau, on les incite à faire une des cinq actions essen­tielles, comme tour­ner à droite, à gauche ou avan­cer. On peut leur don­ner quelques indi- cations par la voix, mais ce n’est pas obli­ga­toire, elle aide sur­tout à sur­li­gner une inten­tion et à me ras­su­rer, moi, en tant que meneuse. C’est un tra­vail dif­fi­cile, le che­val est très sen­sible. C’est aus­si com­plè­te­ment fou de pen­ser qu’il s’adapte à un tel échange d’informations. Les équi­dés sont for­més pen­dant sept ans avant de se joindre à nous sur les chan­tiers, ce qui leur laisse le temps d’être épa­nouis sur le plan phy­sique et men­tal ; ils peuvent exer­cer jusqu’à leurs 20 ans. À nous regar­der œuvrer, le che­val et moi, il y a un petit côté danse à deux, un écho chorégraphique.

Le métier de débar­deuse demande pas mal d’expérience et de force. On déve­loppe une mus­cu­la­ture et pour l’intensifier, je fais du yoga. Il y a éga­le­ment des consignes de sécu­ri­té à res­pec­ter, car on se trouve par­fois entre de très gros mor­ceaux de bois et des che­vaux impo­sants, 1,5 tonne de chaque côté ! Je porte pour cela un équi­pe­ment de pro­tec­tion indi­vi­duelle avec des chaus­sures impos­sibles à tron­çon­ner. Aussi, par­mi les condi­tions essen­tielles à l’exercice de la pro­fes­sion, le tan­dem bûcheron-​meneur est ter­ri­ble­ment impor­tant. Le bûche­ron va savoir com­ment amé­na­ger le champ de bataille pour que le che­val puisse sor­tir les bouts de bois au fur et à mesure dans la bonne direc­tion et qu’il ait le moins de che- min à par­cou­rir et le moins d’obstacles possible.

J’apprécie de finir mon bou­lot assez tôt, vers 16 heures. Je vais alors rejoindre mes élèves à l’école de musique, où j’en- seigne par ailleurs. Le mer­cre­di, je passe la jour­née avec mes enfants : de toute façon, il faut une cou­pure dans la semaine, car c’est une pro­fes­sion extrê­me­ment phy­sique. Cela dit, on peut vivre du débar­dage sans pro­blème, c’est mon cas. Quand Ludo est arri­vé en Bretagne, cette acti­vi­té rele­vait presque du folk­lore. Mais il se bat depuis une dizaine d’années pour rame­ner le che­val dans la forêt et que ça soit rentable.

Avec notre entre­prise de syl­vi­cul­ture douce en trac­tion ani­male, Ludo et moi répon­dons à des chan­tiers de l’Office natio­nal des forêts ou à des demandes de pro­prié­taires pri- vés. On abîme beau­coup moins l’environnement avec les che­vaux, à l’inverse des machines qui font plus de dégâts, sans par­ler de leur consom­ma­tion d’essence. Le cadre ne peut pas être plus beau et on fait bien atten­tion à ne pas bles­ser les arbres qui res­tent sur pied.

Une autre femme exerce ce métier en Bretagne et un groupe dans les Pyrénées, mais elles ne forment clai­re­ment pas la majo­ri­té des effec­tifs. Pourtant, nous avons toutes notre place. Et vu que la forêt va deve­nir une alter­na­tive de plus en plus convoi­tée face aux éner­gies fos­siles, il va fal­loir rai­son­ner sa culture. Avec Ludo, on aime­rait bien mettre en place un label pour que ceux qui achètent leur bois se le pro­curent en pleine conscience. Que les consom­ma­teurs sachent qu’il n’a pas été cou­pé et trans­por­té n’importe com­ment. La trac­tion ani­male est une alter­na­tive promet- teuse et donne la garan­tie que l’environnement est choyé. Plus on la pro­po­se­ra, plus il y aura de débar­deurs. Nous ne sommes qu’une cin­quan­taine en France aujourd’hui. Les métiers du bois souffrent d’un défi­cit de per­son­nel. À deux dans notre Centre-​Bretagne, nous ne pou­vons entre­te­nir que peu de forêts, il y a de la place pour d’autres ! Puis tra- vailler dans ce cadre refuge, dont je pro­fi­tais en week-​end et en vacances étant petite, c’est comme une deuxième res­pi­ra­tion. De temps en temps, quand on se per­met un moment de rêve­rie, il y a quelque chose de magique !"

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