ANAIS QUEMENER
© Margaux Le Map

Anaïs Quemener : cou­rir, c’est être en vie

Anaïs Quemener, presque 33 ans, est mul­tiple cham­pionne de France de mara­thon et aide-​soignante la nuit. À 24 ans, elle a appris qu’elle était atteinte d’un can­cer du sein. Elle par­tage aujourd’hui sa résur­rec­tion par le sport dans un livre néces­saire, Tout ce que je vou­lais c’était cou­rir.

Avec son club, ils et elles se sont baptisé·es La meute Running, et quand elle veut arra­cher une vic­toire, Anaïs Quemener se bat comme une louve. La spor­tive, qui s’apprête à fêter ses 33 ans, a été sacrée plu­sieurs fois cham­pionne de France de mara­thon (dis­tance de 42,195 km). L’année 2023 a été celle de tous les suc­cès : au Marathon de Paris, elle a fran­chi la ligne d’arrivée en 2 h 32’12” ; à celui de Berlin, elle a bat­tu son record per­son­nel avec un temps de 2 h 29’01”. Sa vitesse moyenne est de 17 km/​h. 

“Aller au bout de ses limites, se sur­pas­ser quand on court, c’est un vrai bon­heur, décrit-​elle à Causette. C’est le résul­tat de plu­sieurs mois d’entraînement et à l’arrivée, c’est magique !” Cette pas­sion pour la course lui a été trans­mise par ses deux grands-​pères et son père, Jean-​Yves, qui est aus­si son entraî­neur. À 7 ans à peine, la native du Maine-​et-​Loire gran­die en Île-​de-​France par­ti­ci­pait déjà à son pre­mier cross ! Adolescente rebelle, ska­teuse fan de rap et de metal, elle séchait les cours et plan­quait un rat dans sa capuche de sweat-​shirt, avant de finir par cana­li­ser son éner­gie grâce au défi du mara­thon. Du haut de son 1,52 m, elle a su s’imposer.

Runneuse le jour et aide-​soignante la nuit, Anaïs menait de front ses deux pas­sions depuis 2012. Mais trois ans plus tard, sa vie bas­cule. Son méde­cin lui diag­nos­tique un can­cer du sein. Elle se sou­vient : “À 24 ans, j’allais affron­ter un can­cer et peut-​être mou­rir. Et moi, tout ce que je vou­lais, c’était cou­rir.” D’ailleurs, sa pre­mière réac­tion face à son méde­cin avait été : “J’ai un cham­pion­nat dans trrois mois !” Après la phase d’accablement, elle décide de se battre et son man­tra sera : “Pour sur­vivre, il faut bou­ger !” Dans son livre co-​écrit avec le jour­na­liste Franck Berteau, elle par­tage son quo­ti­dien avec force et sin­cé­ri­té “pour témoi­gner et aider les autres”. Pendant l’épreuve de la mala­die, elle a été très pré­sente sur les réseaux sociaux, mêlant sa voix à celles d’autres patientes. Elle poste ses états d’âme et balance des #FuckCancer et #CiaoPutainDeCrabe : “Entre com­bat­tantes, on est des joueuses d’une même équipe, il suf­fit de quelques mots, une oreille atten­tive pour remon­ter le moral à bloc.” La jeune ath­lète a ain­si abor­dé ses séances de chi­mio­thé­ra­pie comme un pro­gramme d’entraînement de mara­thon. Luttant contre son manque de souffle, elle s’est bat­tue pour conti­nuer à par­ti­ci­per à des courses de moyennes dis­tances, mal­gré le désac­cord du corps médi­cal. Courir a été sa thé­ra­pie et elle a eu rai­son : à peine six mois après avoir vain­cu son can­cer, elle deve­nait cham­pionne de France de mara­thon en 2016 !

Anaïs a dû subir aus­si l’ablation de ses deux seins. Elle a pos­té “Bye bye nichon !” et a ten­té cinq opé­ra­tions de recons­truc­tion mam­maire. Mais son corps a reje­té le 90B que les chi­rur­giens lui pro­met­taient. “Ma concep­tion de la fémi­ni­té n’est pas l’adhésion à des pré­ten­dues normes, voire à des cli­chés. Les méde­cins me disaient : ‘Tu as 25 ans, on ne peut pas te lais­ser repar­tir sans poi­trine. En plus, tu as un copain en ce moment…’ Il fal­lait que j’existe par rap­port aux yeux des autres. Moi, je me disais que sans sein je ne serais pas embê­tée pour cou­rir. Avoir deux seins n’est pas obli­ga­toire !” Aujourd’hui, la jeune ath­lète a conser­vé huit points de tatouages médi­caux, ceux qui ont ser­vi de repères pour les régions à trai­ter en radio­thé­ra­pie : “Ce sont des marques indé­lé­biles du pas­sé que je n’ai pas envie d’effacer parce que ça fait par­tie de moi. Beaucoup de mes tatouages ont une signi­fi­ca­tion, celui pour mon grand-​père décé­dé, celui der­rière mon mol­let – qui repré­sente une femme avec un sein bar­ré d’une cica­trice. C’est très fort pour moi.” Fière d’être comme elle est et de ses ori­gines réunion­naises par sa maman. Depuis ses 12 ans, elle arbore un mou­kou­ti, le bijou de narine tra­di­tion­nel que portent les Indiennes.

À pré­sent, l’athlète est tou­jours aide-​soignante la nuit, à mi-​temps à l’hôpital Jean-​Verdier de Bondy. “Je suis sup­pléante, quand j’embauche à 21 heures, je ne sais pas à l’avance dans quel ser­vice je vais être : pédia­trie, urgences… Il n’y a pas de rou­tine, c’est aus­si ce que j’aime.” Elle est en rémis­sion, mais elle garde des séquelles, un lym­phœ­dème (gon­fle­ment d’un membre lorsque la lymphe ne peut cir­cu­ler et s’accumule dans les tis­sus mous) peut se réveiller… En février der­nier, à 32 ans, elle a encore bat­tu son record per­son­nel au mara­thon de Séville avec un chro­no de 2 h 28’43'”. Une épreuve pour elle, car sa mère était dans le coma, à Paris, à la suite d’un arrêt car­diaque. “J’ai per­sé­vé­ré, je n’ai rien lâché, car je n’avais pas lais­sé ma mère en France pour rien”, com­mente celle dont la maman est aujourd’hui sor­tie de réani­ma­tion. Mais à deux minutes près, Anaïs n’a pas pu se qua­li­fier pour les JO de Paris. Les mini­ma pour les ath­lètes femmes sont fixés à 2 h 26’50”. Son objec­tif à pré­sent : les JO de Los Angeles en 2028. “Pour moi, le mara­thon est une célé­bra­tion. Encore plus depuis que le can­cer m’a fait prendre conscience de la chance d’être en vie. Je l’aborde comme un spec­tacle de danse, paillettes autour des yeux et rubans colo­rés dans les che­veux. Tant que je cours, tout va bien.”

Tout ce que je vou­lais c’était cou­rir, d’Anaïs Quemener, avec Franck Berteau. Préface de Cécile Coulon. Flammarion, 208 pages, 20 euros. Sortie le 3 avril.

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