Le Père Noël a tout faux

Parce qu’un conte de Noël pour les enfants digne de ce nom, on n’en a rare­ment lu, on vous en a concoc­té un à la sauce Causette. À lire et relire sans modé­ra­tion à vos marmots.

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@ Camille Besse pour Causette 

Il était une fois une petite fille intré­pide qui s’appelait Rokia, et un petit gar­çon très timide pré­nom­mé Léon. Rokia était de la cou­leur du cho­co­lat au lait avec de petites tresses à fleur de tête, Léon avait les joues roses comme deux fraises et des che­veux cou­leur carotte.

La maman de Rokia était née en Afrique et elle disait tout le temps qu’elle avait déjà vu des lions, mais des mignons comme Léon, jamais ! Ça fai­sait beau­coup rire la maman de Léon. Comme leurs papas étaient frères, Rokia et Léon par­ta­geaient la même Mamie. Le cou­sin et la cou­sine allaient sou­vent chez elle pour jouer à des tas de jeux secrets, man­ger des crêpes et regar­der des bandes des­si­nées à plat ventre devant la che­mi­née du petit salon violet. 

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@ Camille Besse pour Causette 

Un soir de Noël, toute la famille était réunie chez Mamie pour la veillée. Elle avait dégui­sé un vieux géra­nium avec des boules et des guir­landes, parce qu’elle était farou­che­ment oppo­sée à la mal­trai­tance des sapins. Rokia et Léon s’étaient copieu­se­ment réga­lés de bûches, de truffes et de bon­bons au cho­co­lat. Les grands avaient bu du cham­pagne et toutes et tous, sauf la maman de Rokia, avaient fini par avoir les mêmes joues que Léon. Au moment de par­tir, les enfants n’avaient pas vou­lu se sépa­rer et il avait été déci­dé que les deux res­te­raient dor­mir chez Mamie dans le canapé-​lit du salon vio­let, met­traient leurs chaus­sons sous le géra­nium, et que le père Noël vien­drait sûre­ment y dépo­ser les cadeaux qu’elle et il avaient com­man­dés dans la lettre que Mamie avait mise à la poste. 

La ten­sion était à son comble, le cou­sin et la cou­sine sau­taient par­tout comme deux puces quand elles embêtent le chat. Tant et si bien que Mamie avait dû les mena­cer de les faire dor­mir dans le jar­din sous les flo­cons de neige qui com­men­çaient à tom­ber tout dou­ce­ment du ciel. Et puis, après s’être racon­té des tas d’histoires à dor­mir debout, les enfants avaient enfin plon­gé dans le som­meil, bercé·es par les ron­fle­ments de Mamie, qui fai­saient trem­bler les murs de la chambre d’à côté. 

Rokia rêvait à son cadeau. Elle avait com­man­dé un camion de pom­pière. Rouge, avec toute une bri­gade de pom­pières dedans. Plus tard, elle aime­rait, elle aus­si, sau­ver des chats coin­cés dans les arbres et des sapins en train de cra­mer dans les forêts, avoir de grosses chaus­sures noires pour ne pas se brû­ler les pieds et grim­per à la grande échelle avec un casque brillant comme le robi­net de la cuisine.

Léon, lui, rêvait de sa pou­pée. Il l’avait com­man­dée très belle, avec plein de petites tresses sur la tête. Il avait deman­dé qu’elle parle, qu’elle marche et puis qu’elle chante des ber­ceuses pour qu’il n’ait plus jamais peur la nuit. Parce que Léon, il avait peur dans le noir quand il était tout seul. Il ne le disait pas trop fort depuis qu’un grand lui avait racon­té que les gar­çons n’étaient pas des peu­reux, que c’était bon pour les filles, tout ça. Mais il savait bien que ce n’était pas vrai, parce que Rokia n’avait jamais peur de rien.

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@ Camille Besse pour Causette 

Pendant ce temps, le père Noël, qui était deve­nu vrai­ment très gros ces der­nières années, en avait pro­fi­té pour se fau­fi­ler péni­ble­ment, la tête la pre­mière, dans le conduit de la che­mi­née, dépo­sant fur­ti­ve­ment deux paquets au pied du géra­nium, avant de repar­tir dans son cha­riot volant tiré par deux vieux rennes un peu pelés. 

Une fois le gros bar­bu envo­lé, une drôle de voix s’échappa d’un des cadeaux et se mit à chan­ton­ner : « Prom’nons-nous dans les bois, pen­dant que le père Noël n’y est pas… » Un « chut » réson­na tel­le­ment fort de l’autre colis que Léon et Rokia se réveillèrent ins­tan­ta­né­ment. Le souffle court, ils ouvrirent leurs oreilles ébahies.

Une des voix demanda :

« Qui a fait chut ?
– C’est moi ! 
– C’est qui, toi ?
– Le cadeau du petit gar­çon, le valeu­reux pom­pier.
– T’es où ?
– À côté de toi, dans mon camion avec tous mes potes pom­piers, et toi, t’es qui ?
– L’extraordinaire pou­pée qui marche, qui parle, qui chante et qui ferme les yeux quand on la couche, je suis le cadeau pour la petite fille.
– Moi, je ne sais rien faire de spé­cial, mais par contre, j’ai des mains en forme de pinces et une per­ruque en plas­tique sur la tête. 
– Eh bien moi, j’attends impa­tiem­ment ma nou­velle petite maman pour qu’elle me berce et que je lui dise enfin ma phrase pré­fé­rée : “Maman, je t’aime.”
– Y a pas l’feu, pou­pée ! Tu auras tout le temps demain pour débi­ter tes phrases toutes faites. En atten­dant, on pour­rait s’amuser tous les deux.
– Non, ça pour­rait décoif­fer mes longs che­veux blonds en nylon et user mes piles.
– Coincée, la mégère…
– Lourdingue, le Playmobil ! »

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@ Camille Besse pour Causette 

Sur ce, Rokia allu­ma brus­que­ment la lumière et, comme par magie, le silence revint dans le petit salon violet.

Très en colère, sans même jeter un œil aux cadeaux, elle déci­da d’aller réveiller Mamie pour lui expli­quer ce qui se tra­mait sous le géra­nium. Le père Noël avait fait n’importe quoi : la pou­pée blonde avec la vilaine voix, pour elle, et le camion de pom­pier, pour Léon, qui avait tel­le­ment peur du feu ! 

Mamie, qui avait fait par­tie d’un mou­ve­ment de libé­ra­tion des femmes quand elle était jeune, le mille-​feuilles ou quelque chose dans le genre, leur dit qu’elle allait tout arran­ger, que le qui­pro­quo venait à coup sûr de ce père Noël, qui était un vieux bon­homme péri­mé, qui datait d’une époque où les hommes croyaient que les femmes devaient res­ter à la mai­son à pou­pon­ner, pen­dant que les gar­çons cou­raient sur les che­mins et grim­paient dans les arbres. Elle jura qu’il·elle pou­vaient se ren­dor­mir tran­quille­ment et que demain, tout ça ne serait qu’un mau­vais rêve.

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@ Camille Besse pour Causette

Mamie, qui avait de sacrés pou­voirs depuis qu’elle avait un compte Twitter, déci­da d’envoyer un #balan­ce­ton­pè­re­noël­ré­tro­grade sur son réseau. En un ins­tant, le hash­tag fit boule de neige. Tant et si bien qu’avant la fin de la nuit, une armée de mères Noël, avec de très jolies barbes, redres­sa les torts faits aux enfants en arpen­tant les che­mi­nées conta­mi­nées par de trop vieilles idées. Elles redis­tri­buèrent cor­rec­te­ment tous les cadeaux et avec ciseaux, pein­tures, crayons de cou­leur et bouts de tis­sus, répa­rèrent sans relâche, jusqu’au petit matin, les dégâts de siècles de dik­tat de ce père Noël arriéré. 

Quand le pre­mier rayon de soleil de ce 25 décembre entra dans le petit salon vio­let, Rokia et Léon ouvrirent les yeux et se pré­ci­pi­tèrent vers leurs cadeaux. Rokia décou­vrit alors, émue, le camion de pom­pières cou­ra­geuses qu’elle avait com­man­dé. En pyja­ma, elle se pré­ci­pi­ta pour le faire rou­ler dans le jar­din ennei­gé, pen­dant que Léon, com­men­çant immé­dia­te­ment son congé pater­ni­té, l’accompagnait en ber­çant sa pou­pée aux jolies petites tresses, qui répé­tait en boucle avec sa voix de cré­celle : « Je t’aime, Papa. » 

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