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© Camille Besse

Solidarité : les assos sur le pont

Après une année 2020 aus­si érein­tante que dif­fi­cile, les asso­cia­tions cari­ta­tives entament 2021 avec inquié­tude. Bien déci­dées à venir en aide à l’ensemble de leurs béné­fi­ciaires de plus en plus nom­breux, elles tentent de s’organiser pour affron­ter cette crise sociale inédite qui s’annonce.

Assis à son bureau, Jean-​Christophe Combe, direc­teur géné­ral de la Croix-​Rouge, jette un œil sou­cieux aux comptes. L’année 2020 s’est ache­vée avec un trou de 15 mil­lions d’euros dans les caisses. Un manque à gagner consé­quent, qui s’explique par l’arrêt des for­ma­tions aux pre­miers secours ou aux métiers du soin et la fer­me­ture, lors du pre­mier confi­ne­ment, des Vestiboutiques, maga­sins soli­daires où s’achètent et se vendent des vête­ments d’occasion. Ces acti­vi­tés com­mer­ciales, plu­tôt rému­né­ra­trices, per­mettent d’ordinaire à l’association de diver­si­fier ses sources de reve­nus et viennent s’ajouter aux sub­ven­tions publiques et aux dons des par­ti­cu­liers. Le jeune diri­geant ne cache pas ses craintes devant les mois qui se pro­filent. « Bien sûr que j’ai peur de ne pas avoir assez, lâche-​t-​il. J’ai hâte que nous puis­sions reprendre notre rythme nor­mal. » Depuis quelques semaines, la Croix-​Rouge a lan­cé une nou­velle cam­pagne pour faire appel à la géné­ro­si­té de la popu­la­tion. Il y en aura cer­tai­ne­ment d’autres dans les mois à venir. « J’espère que ceux qui peuvent don­ner un peu d’argent conti­nue­ront à le faire, pour­suit Jean-​Christophe Combe. Ce serait un comble de man­quer de res­sources, alors que c’est main­te­nant que les gens en dif­fi­cul­té ont le plus besoin de nous. » 

« On accueille beau­coup de femmes seules et énor­mé­ment de jeunes, notam­ment des étu­diants sans res­sources qui ne mangent pas à leur faim. On ne les voyait pas avant, car ils étaient pris en charge par les ser­vices sociaux des uni­ver­si­tés, les­quels ont fer­mé ou ont été débordés. »

Marie-​Françoise Thull, à la tête de la fédé­ra­tion du Secours popu­laire de la Moselle et membre du bureau national

Voilà, résu­mé en une phrase, l’immense para­doxe de 2021. La crise sani­taire a pré­ci­pi­té des mil­liers de per­sonnes dans la pré­ca­ri­té – entre 20 et 40 % de demandes d’aide ali­men­taire en plus, une hausse d’au moins 10 % des demandes de RSA selon les dépar­te­ments 1 – aggra­vant une situa­tion déjà pré­oc­cu­pante. Fin 2019, soit au temps d’avant le Covid-​19, l’Insee recen­sait 9,3 mil­lions de per­sonnes sous le seuil de pau­vre­té 2 et 5 mil­lions de béné­fi­ciaires de l’aide ali­men­taire. Mais les asso­cia­tions des­ti­nées à leur venir en aide n’ont pas été épar­gnées, elles non plus.

Une situa­tion finan­cière tendue

à quelques kilo­mètres du bureau de Jean-​Christophe Combe, au siège des Restos du cœur dans le IXe arron­dis­se­ment de Paris, Sophie Ladegaillerie, membre du conseil d’administration, tient à peu près le même dis­cours. L’absence de public, fin jan­vier, au tra­di­tion­nel concert des Enfoirés 2021 consti­tue un nou­veau coup dur pour l’association, qui anti­cipe 4,5 mil­lions d’euros de perte sèche en billet­te­rie sur l’exercice 2021. En 2020, les recettes ont un peu fon­du. Si les réserves de nour­ri­ture pour les pre­miers mois de l’année sont, à ce stade, suf­fi­santes, il faut déjà pen­ser à l’après et, sur­tout, trou­ver les moyens de faire plus. Pour répondre pré­sente, l’association créée en 1985 par Coluche sol­li­ci­te­ra pro­ba­ble­ment les mécènes ­for­tu­nés, les grandes entre­prises ou les per­son­na­li­tés qui, en géné­ral, ouvrent leur por­te­feuille. « Nos ren­trées d’argent ont été mises à mal ces der­niers mois, recon­naît la jeune femme. Pourtant, notre acti­vi­té ne cesse de pro­gres­ser et on sait que les gens vont arri­ver au fil des mois. Lors de la crise de 2008, on avait reçu 12 % de béné­fi­ciaires en plus l’année sui­vante, et 25 % l’année d’après. » Depuis le confi­ne­ment en mars, les équipes recensent 20 à 30 % de per­sonnes sup­plé­men­taires dans cer­taines grandes villes comme Paris. 

« Il y a eu des gestes très forts, comme des dons plus impor­tants que d’habitude. Cela donne de l’espoir »

Christophe Robert, à la tête de la Fondation Abbé-Pierre

Partout ailleurs, le constat est le même. Marie-​Françoise Thull, à la tête de la fédé­ra­tion du Secours popu­laire de la Moselle et membre du bureau natio­nal, voit défi­ler dans le local de Metz beau­coup plus de visages que l’an der­nier, à la même époque. Nouveaux, pour la plu­part. « Ce sont des per­sonnes qui ont per­du leur emploi sala­rié ou d’appoint ou bien des indé­pen­dants, frap­pés très vio­lem­ment par la crise, détaille la res­pon­sable. On accueille beau­coup de femmes seules et énor­mé­ment de jeunes, notam­ment des étu­diants sans res­sources qui ne mangent pas à leur faim. On ne les voyait pas avant, car ils étaient pris en charge par les ser­vices sociaux des uni­ver­si­tés, les­quels ont fer­mé ou ont été débordés. » 

Les jeunes sont la caté­go­rie qui inquiète le plus les professionnel·les de l’entraide. Dur, dur d’avoir 20 ans en 2020, comme dirait l’autre… Pendant le confi­ne­ment, le Secours popu­laire avait déci­dé d’aller à la ren­contre des étudiant·es en dépê­chant à proxi­mi­té des facs son Solidaribus, une camion­nette amé­na­gée pour la dis­tri­bu­tion de pro­duits ali­men­taires et d’hygiène. L’initiative a été péren­ni­sée cette année, car les besoins n’ont, hélas, pas dis­pa­ru. D’autres asso­cia­tions ont aus­si mené des actions simi­laires à des­ti­na­tion des étudiant·es, comme le réseau des Banques ali­men­taires, sou­la­gé d’avoir pu bou­cler sa col­lecte de den­rées dans les super­mar­chés le ­der­nier week-​end de novembre. 

Petits miracles quotidiens

La crise sani­taire a contraint les asso­cia­tions à ­s’adapter pour main­te­nir leur acti­vi­té et venir en aide à de nou­velles per­sonnes, tout en res­pec­tant les règles de dis­tan­cia­tion phy­sique. « La situa­tion nous a appris qu’on pou­vait se débrouiller, com­plète Laurence Champier, la direc­trice fédé­rale des Banques ali­men­taires. Si la demande conti­nue d’augmenter, ce que je crains, on fera notre maxi­mum. Impossible de res­ter les bras croi­sés. » Pousser les murs, dépla­cer des mon­tagnes, récu­pé­rer des fonds… Les per­sonnes enga­gées dans le com­bat contre la pau­vre­té ont l’habitude de ces petits miracles quo­ti­diens. Ils y par­vien­dront de nou­veau. Comme le résume Florence Gérard, pré­si­dente de La Mie de pain : en 2021, tous sont « plus que jamais sur le pont ». 

Malgré la moro­si­té ambiante et l’inquiétude légi­time, l’heure n’est donc pas à l’abattement. Certains élans de géné­ro­si­té ont confor­té le cœur des gens de ter­rain. « Il y a eu des gestes très forts, comme des dons plus impor­tants que d’habitude. Cela donne de l’espoir », com­mente Christophe Robert, à la tête de la Fondation Abbé-​Pierre. « Chaque jour ou presque, je véri­fie que les Françaises et les Français ne sont pas égoïstes », ren­ché­rit Marie-​Françoise Thull, satis­faite de la col­lecte de jouets neufs menée par les Pères Noël verts du Secours popu­laire en décembre. 

Besoins de bras dans les villes moyennes 

L’esprit de soli­da­ri­té s’est aus­si maté­ria­li­sé par la pré­sence phy­sique. Lors du pre­mier confi­ne­ment, de nou­veaux béné­voles ont frap­pé à la porte des asso­cia­tions pour pro­po­ser un coup de main. « Nous avons eu des can­di­da­tures spon­ta­nées, raconte Marie-​Aleth Grard, pré­si­dente d’ATD Quart Monde, pour mener des ate­liers d’aide aux devoirs, par exemple. Par contre, depuis l’été, nous n’en rece­vons pas plus que d’habitude. » Certains béné­voles fidèles, notam­ment les plus âgés, se sont tem­po­rai­re­ment reti­rés des col­lectes pour pro­té­ger leur san­té. Pendant le confi­ne­ment, les membres de la Réserve civique 3 ont pris le relais. Il faut désor­mais que de nou­veaux pro­fils émergent, alors que toutes les asso­cia­tions et régions n’ont pas les mêmes besoins. Sophie Ladegaillerie, des Restos du cœur, passe les effec­tifs en revue. « à Paris, par exemple, nous n’avons pas besoin de volon­taires sup­plé­men­taires. En revanche, dans de nom­breuses villes moyennes, nous devons ren­for­cer nos équipes, comme nous le détaillons sur notre site. Nous lan­ce­rons des appels ciblés par région, prévient-​elle. On recherche aus­si des béné­voles pour prendre en charge les acti­vi­tés de sup­port, qui ne sont pas for­cé­ment en contact avec les béné­fi­ciaires. Venir s’occuper de l’informatique ou de la comp­ta, cela sert aus­si ! » 

« Chacun d’entre nous peut être soli­daire au quo­ti­dien, là où elle ou il vit et tra­vaille, en pré­pa­rant à man­ger pour ses voi­sins ou en les aidant pour leurs démarches administratives. »

Marie-​Aleth Grard, d’ATD Quart Monde

Tout de même, Marie-​Aleth Grard, d’ATD Quart Monde, redoute que la crise au long cours émousse l’empathie de la popu­la­tion. Plus que le manque de fonds ou de main‑d’œuvre, le péril prin­ci­pal, pour elle, c’est l’indifférence col­lec­tive. « Si on lance une cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion dans les mois à venir, ce ne sera pas pour récla­mer de l’argent ou des béné­voles, mais pour insis­ter sur la néces­si­té de “défrac­tu­rer” la socié­té. Chacun d’entre nous peut être soli­daire au quo­ti­dien, là où elle ou il vit et tra­vaille, en pré­pa­rant à man­ger pour ses voi­sins ou en les aidant pour leurs démarches administratives. »

Au-​delà de leur propre capa­ci­té de mobi­li­sa­tion, les asso­cia­tions espèrent sur­tout ne pas se retrou­ver seules en pre­mière ligne. Toutes saluent la réac­ti­vi­té de l’état au moment du pic de la crise avec le déblo­cage de sub­ven­tions excep­tion­nelles per­met­tant, par exemple, aux Banques ali­men­taires d’acheter direc­te­ment des den­rées – une pre­mière. Mais la méfiance reste de mise. Si Jean-​Christophe Combe, de la Croix-​Rouge, milite pour que la soli­da­ri­té ne soit pas « la grande oubliée du plan de relance », il n’est guère ras­su­ré. « Fin sep­tembre, le gou­ver­ne­ment a pro­mis de déblo­quer 100 mil­lions d’euros pour toutes les asso­cia­tions et sur deux ans. C’est très peu, souligne-​t-​il. Quant aux aides envers les plus dému­nis – un mil­liard pour les ménages modestes et un mil­liard pour les jeunes et les pré­caires –, là non plus, cela ne suf­fi­ra pas sur le long terme. » Christophe Robert, de la Fondation Abbé-​Pierre, par­tage ce constat et réclame, lui aus­si, des mesures de fond à même d’enrayer la pau­vre­té. « Bien sûr, cette crise fait de nou­velles vic­times, mais elle a sur­tout un effet loupe sur les inéga­li­tés sociales dans le pays. Les 10 % les plus pauvres ont quand même été les grands oubliés de ce quin­quen­nat ! Il va fal­loir une réponse struc­tu­relle forte. Et pour le moment, nous avons du mal à nous faire entendre sur ce point. » L’année ne fait que commencer…

1. Rapport sur la pau­vre­té 2020–2021 de l’Observatoire des inéga­li­tés, d’A. Brunner et L. Maurin (dir.). Observatoire des inéga­li­tés, 2020.

2. Le seuil de pau­vre­té moné­taire cor­res­pond à un reve­nu infé­rieur à 1 063 euros par mois pour une per­sonne seule. 

3. Créée par l’état en 2017, la Réserve civique est for­mée de volon­taires assu­rant des mis­sions d’intérêt général.

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