Depuis un an, une poignée de chercheurs et vidéastes met son expertise au service des familles de victimes de violences policières pour analyser, en toute indépendance, des vidéos ou photos de confrontations entre citoyenn·nes et policier·ères afin d'établir des responsabilités. L'association, du nom d'Index, a lancé une collecte de fonds pour financer son travail.
L'expertise vidéo au service de la justice. Index se présente comme un « laboratoire d'expertise indépendante » enquêtant sur des affaires de violences policières. L'association, active depuis un an, rassemble des profils divers, tels que des architectes, des vidéastes et même un docteur en mécanique numérique ou un autre en... biologie moléculaire. Tous et toutes ont en commun de maîtriser le logiciel de modélisation vidéo Blender et partagent le sentiment d'une profonde injustice envers ce qu'ils et elles appellent la « violence d'État ».
« Parler de violences d'État plutôt que de violences policières, explique l'architecte et artiste membre d'Index Galdric Fleury, c'est couvrir avec notre action un champ plus large d'injustices et leur reconnaître une dimension politique. Nous considérons que la violence systémique des autorités ne se limite pas aux forces de l'ordre mais qu'elle s'exerce aussi au sein de l'institution judiciaire, par exemple lorsqu'une enquête sur des faits de violence policière est mal menée. Parler de violences d'Etat, c'est aussi se réserver le droit d'investir un jour le champ des violences commises par l'armée à l'étranger. » Pour l'heure, Index s'est illustré en travaillant sur plusieurs affaires emblématiques de morts ou de graves blessures de citoyens français : les décès d'Adama Traoré, Zineb Redouane et Gaye Camara, ainsi que les éborgnements d'Adnane Nassih et Jean-François Martin. Les quatre premières affaires ont fait l'objet de partenariats avec des médias (Le Monde, Disclose, Libération). Le rapport d'Index sur la mutilation de Jean-François Martin, un étudiant de 20 ans éborgné par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) durant une manifestation contre la loi travail à Rennes en 2017 a, lui, été réalisé bénévolement pour la défense de la victime et soumis devant la justice à la mi-septembre.
Ce n'est pas la première fois que des victimes ou leur famille s'appuient sur Index pour faire valoir leurs droits. Début 2020, l'avocat de la famille de Gaye Camara avait versé au dossier d'instruction le rapport de l'association réalisé pour Disclose. Si le juge d'instruction a établi un non-lieu, le fait que la justice accepte de considérer les éléments produits par Index est déjà une victoire en soi aux yeux de Galdric Fleury. « On n'entre pas facilement dans le milieu de l'expertise judiciaire, souligne le jeune homme. Ces pièces versées au dossier de Gaye Camara l'année dernière et maintenant de Jean-François Martin montrent que la justice n'est pas fermée à notre travail. Nous apportons des éléments qui n'étaient pas prouvables autrement que par nos modélisations. »
Règles d'optique
Concrètement, le travail d'Index consiste à « faire parler les images vidéo et photo » d'une altercation entre police et citoyen en décortiquant, « frame par frame », c'est-à-dire à chacune des impressions d'une caméra numérique, ce qui s'y lit. Et donc apporter des éléments probants pouvant contredire certaines versions policières qui mettent en avant, par exemple, la légitime défense. La maîtrise des règles de perspective, des règles optiques et le repositionnement des corps dans l'espace sont les atouts de ces architectes ou artistes vidéastes pour faire émerger la vérité. « Nous sélectionnons les affaires sur lesquelles nous travaillons quand nous savons que notre expertise peut faire la différence, sans pour autant présumer de ce que nous allons trouver », ajoute Galdric Fleury.
Ce travail, qui peut prendre plusieurs mois pour certaines enquêtes, nécessite que l'équipe y consacre du temps et renonce donc à des missions dans leurs jobs indépendants respectifs. Il faut donc que ses membres puissent être rémunéré·es, mais ils et elles ne souhaitent pas faire payer les victimes ou leurs familles, précisément pour conserver leur indépendance. Pas question non plus de chercher des fonds publics, qui signeraient, là encore, la fin de cette indépendance qui fait la force d'Index. En 2020, l'association a fonctionné grâce au don d'une fondation privée. Pour poursuivre leurs enquêtes en cours (sur lesquelles l'association ne souhaite pas pour l'heure communiquer) et en lancer de nouvelles, Index a lancé en septembre une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank. L'objectif est de récolter d'ici le 13 octobre au moins 30 000 euros afin d'assurer leurs activités pour 2022. Si le crowdfunding atteint 50 0000 euros, l'agence lancera des formations, pour essaimer et susciter d'autres vocations. « Nous bénéficions d'un grand capital sympathie dans le public, sourit Galdric Fleury. Il faut qu'il se transforme en fonds durant ce crowdfunding car le nerf de la guerre pour continuer d'oeuvrer, c'est l'argent. »