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Manifestation anti-guerre à Tallinn, Estonie, le 18 avril 2022. ©M.

Mobilisation anti-​guerre à Tallinn : « Aujourd’hui, les Ukrainiens se battent pour leur vie en guise de puni­tion pour avoir choi­si l’Occident plu­tôt que la Russie »

Alors que l’Ukraine a enta­mé son troi­sième mois de guerre, les mani­fes­ta­tions contre l’invasion russe se pour­suivent un peu par­tout en Europe. C’est aus­si le cas en Estonie, à Tallinn, où un hap­pe­ning s’est dérou­lé le 18 avril. Maria, l’une des par­ti­ci­pantes, qui sou­haite res­ter ano­nyme, témoigne pour Causette.

Causette : Racontez-​nous la mani­fes­ta­tion contre la guerre en Ukraine qui s’est dérou­lée le 18 avril à Tallinn.
Maria 
: Le 18 avril, une quin­zaine de femmes et d’hommes se sont ras­sem­blés devant l’ambassade d’Allemagne. Nous avons cou­vert nos têtes de sacs en plas­tique, atta­ché nos mains der­rière le dos et nous nous sommes cou­chés sur le sol en réfé­rence aux civils morts décou­verts dans les rues de Boutcha et d’autres ban­lieues de Kyiv. L’objectif était d’influencer le gou­ver­ne­ment alle­mand pour qu’il dur­cisse sa posi­tion et ses actions contre la Russie, en envoyant notam­ment davan­tage de sou­tien huma­ni­taire et mili­taire à l’Ukraine. C’était pour dire : « Le pro­blème est tou­jours là et vous n’en faites pas assez. »
Le but de ces mani­fes­ta­tions n’est pas d’attirer l’attention sur nous, mais de se débar­ras­ser d’un sen­ti­ment d’inutilité et d’impuissance face à cette guerre dévas­ta­trice, et d’encourager d’autres civils à faire de même, quels que soient leur sexe, leur âge, leur ori­gine eth­nique ou leur profession. 

« C’est bien un géno­cide, une ten­ta­tive de détruire tout ce qui est Ukrainien, tout ce qui s’identifie ne serait-​ce qu’un peu comme Ukrainien »

Vous vous êtes ensuite dirigé·es vers l’ambassade de France ?
Maria :
Tout à fait. Nous l’avons fait en réponse à la réti­cence du pré­sident fran­çais à qua­li­fier le mas­sacre en Ukraine de géno­cide [Emmanuel Macron a décla­ré le 13 avril sur France 2 : « Ce sont des peuples frères. Génocide, cela a un sens. Le peuple ukrai­nien, le peuple russe sont des peuples frères », ndlr]. Le mot « frères », dans ce contexte, est incor­rect à la fois his­to­ri­que­ment et éthi­que­ment. Premièrement, les Russes et les Ukrainiens ne sont pas his­to­ri­que­ment liés les uns aux autres. La Russie a spé­cu­lé pen­dant des décen­nies sur une « his­toire com­mune » qui a empê­ché des mil­lions d’Ukrainiens sovié­tiques de s’interroger sur leur véri­table pas­sé. Deuxièmement, la conno­ta­tion émo­tion­nelle du mot « frères » blesse à la fois les Ukrainiens et les Ukrainiens d’origine russe, car des civils sont bru­ta­le­ment assas­si­nés, tor­tu­rés et vio­lés en dépit de leur langue mater­nelle ou de leur natio­na­li­té, sim­ple­ment parce qu’ils existent. C’est bien un géno­cide, une ten­ta­tive de détruire tout ce qui est Ukrainien, tout ce qui s’identifie ne serait-​ce qu’un peu comme Ukrainien.
Emmanuel Macron doit aban­don­ner cette notion de « fra­ter­ni­té ». C’est pour­quoi nous avons déci­dé d’écrire les mots « tué par mon frère », « vio­lé par mon frère » sur nos vête­ments. Pour mon­trer qu’aucun frère ne fait cela.

« Aujourd’hui, les Ukrainiens se battent pour leur vie en guise de puni­tion pour avoir choi­si l’Occident plu­tôt que la Russie. »

Qu’est-ce que cela repré­sente pour vous de mani­fes­ter ? 
Maria :
Pour être hon­nête, le fait de des­cendre dans la rue et de mani­fes­ter pour ou contre quelque chose n’est ni facile ni cou­rant pour les Estoniens. Même si nous vivons dans un pays libé­ral, nous avons cette atti­tude innée, peut-​être une ten­dance his­to­rique, qui nous pousse à res­ter dis­crets. La guerre qui se déroule actuel­le­ment en Ukraine est, cepen­dant, très dif­fé­rente de toutes les autres causes que nous avons connues depuis 1991, lorsque nous avions besoin de faire du bruit pour lut­ter pour notre indé­pen­dance natio­nale vis-​à-​vis de l’URSS [le 20 août 1991, le Parlement esto­nien pro­clame l’indépendance de l’Estonie].
Aujourd’hui, les Ukrainiens doivent se battre pour leur vie, en guise de puni­tion pour avoir choi­si l’Occident plu­tôt que la Russie. Ils font notre guerre. Ils sont tués pour que nous ne le soyons pas. Les Ukrainiennes sont tor­tu­rées et vio­lées pour que nous ne le soyons pas. 

L’Estonie a éga­le­ment subi les atro­ci­tés des sol­dats russes pen­dant l’occupation sovié­tique, après la Seconde Guerre mon­diale.
Maria :
Oui, c’est peut-​être aus­si l’une des rai­sons de cette mobi­li­sa­tion. L’une des par­ti­ci­pantes a décla­ré, lors de la mani­fes­ta­tion du 13 avril, qu’elle avait l’impression de repré­sen­ter les femmes de sa vie. Sa grand-​mère n’était qu’une petite fille quand elle et sa mère, alors qu’elles pas­saient une belle jour­née d’été à la cam­pagne, ont enten­du un cri épou­van­table pro­ve­nant de la mai­son d’à côté. Elles ont cou­ru et ont décou­vert un sol­dat sovié­tique ten­tant de vio­ler une femme de leur famille. La mère de sa grand-​mère a cou­ru, essayant de la sau­ver, et s’est fait tirer des­sus. Elles ont toutes sur­vé­cu, mais elles ont eu de la chance. Il faut savoir que beau­coup de mères, de tantes et de grand-​mères esto­niennes n’ont pas sur­vé­cu aux sol­dats soviétiques.

Lire aus­si I Estonie : un hap­pe­ning coup de poing pour dénon­cer les viols de guerre des sol­dats russes en Ukraine

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