2 MONSIEUR LE MAIRE ∏Claire Nicole
© UGC Distribution

"La mai­son des cimes" : la véri­table his­toire du film "Monsieur le maire"

Ce mercredi sort le film "Monsieur le Maire", réalisé par Karine Blanc et Michel Tavares, inspiré d'une histoire vraie. Cette histoire, Causette vous la racontait en mars 2021. Celle d'un petit village de l’Ariège qui, à l’initiative de quelques habitant·es, avait décidé de créer en son sein la Maison des cimes pour accueillir des mères seules et leurs enfants. Une façon, aussi, de lutter contre la désertification. Un projet unique en France. Flashback.

C’est un petit village coincé à 1 440 mètres d’altitude entre les montagnes, l’Ariège, la ligne SNCF et une centrale hydroélectrique. En toile de fond, les cimes des Pyrénées couvertes de leur blanc manteau. Depuis quelque temps, à L’Hospitalet-près-l’Andorre, un lieu unique en France a ouvert ses portes. On l’appelle la Maison des cimes. Dans cette bâtisse de pierres et de bois située en plein cœur du village, on accueille depuis un an des mères seules avec leurs enfants venu·es de toute la France. À l’origine de ce projet, la mobilisation d’un groupe de villageoi·ses pour tenter de survivre à la désertification tout en aidant des femmes fragilisées. 

 Ici, chaque famille, pour la plupart orientées par le Service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) 1, peut rester le temps dont elle a besoin, généralement entre un et deux ans, dans un appartement meublé, indépendant, pour un loyer de 350 euros environ par mois pour un T3 (avec les APL, restent à leur charge entre 50 et 100 euros par mois). Dans les étages, des espaces séparés pour retrouver tranquillité et intimité et, au rez-de-chaussée, des espaces communs, dont une cuisine baignée de lumière où habitant·es de la Maison des cimes et villageoi·ses peuvent se retrouver autour de la grande table en bois. 

Celles qui veillent sur cette demeure et ces familles à temps plein, ce sont Joséphine Kersani et Julie Edo, respectivement coordinatrice du projet et conseillère en économie sociale et familiale. Elles sont salariées de France Horizon, l’association gestionnaire de la maison. Ensemble, elles proposent aux femmes un accompagnement individualisé pour réfléchir à un projet de vie. « Les femmes qui sont là ont été pour la plupart victimes de violences. Ce n’était pas forcément la vocation unique de ce lieu, au départ, mais les besoins sont bien là », confie Julie. « Nous les suivons dans leurs démarches administratives, juridiques, de santé, ou auprès de Pôle emploi », explique Joséphine.

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©Clément Soulmagnon

Mais, avant d’en arriver là et de pouvoir accueillir ces familles, il a fallu… huit années ! « Ce qui fait l’ADN de ce projet, c’est qu’il est parti des habitants, des besoins du territoire », rappelle Joséphine. Dans les années 1990-2000, le village, comme beaucoup d’autres, subit la désertification. Les douanier·ières partent, comme les agent·es de la centrale hydroélectrique, avec leur famille. Le maire, Arnaud Diaz, enfant de L’Hospitalet, se souvient : « De cent soixante habitants dans les années 1990, nous sommes passés à quatre-vingts dans les années 2000… Il fallait faire quelque chose ! Tout est parti d’une réunion du conseil municipal en plein hiver, on était inquiets pour les effectifs de l’école… On aurait pu se dire que c’était une fatalité ou miser sur le tourisme, mais on n’a pas opté pour ça. »

À l’origine du projet, il y a aussi Marie-Pierre Ardourel et Marianne Duchêne, les deux enseignantes de L’Hospitalet et de Mérens, le village voisin, dont les écoles étaient régulièrement menacées de fermeture. Depuis 2004, elles menaient déjà des projets d’écoute et d’aide à la parentalité. « Alors on s’est demandé ce qu’on pourrait créer d’innovant et qui pourrait avoir un lien privilégié avec l’école. Pourquoi pas un espace de reconstruction pour les familles ? » se souvient Marie-Pierre. Pour poursuivre la réflexion, la mairie commandite un état des lieux du territoire : « On a vite vu qu’il y avait énormément de besoins du côté des mamans solos. » Le taux de femmes seules avec enfants sous le seuil de pauvreté s’élevait, en effet, à 32 % entre 2010 et 2015 en Ariège. Et, faute de places disponibles, les logements temporaires leur étaient inaccessibles. Le projet de la Maison des cimes était né. 

 « Au début, il y a eu un peu de méfiance et de peur de l’inconnu, mais, très vite, les habitants des deux villages ont adhéré au projet », raconte Marianne. « La difficulté a été de trouver un cadre juridique pour cette structure qui n’existait nulle part ailleurs », complète Marie-Pierre. Pour faire aboutir le projet et permettre une expérimentation pendant trois ans, il a fallu des heures et des heures de réunions publiques, trouver un gestionnaire (France Horizon), convaincre élu·es locaux·ales et politiques, mettre en place de multiples partenariats 2 pour trouver le budget d’investissement nécessaire : 650 000 euros… et même une entrevue avec le président Macron lors du Congrès des maires en 2018. 

Et puis, en février 2020, il y a un an, la Maison des cimes accueillait ses premières résidentes. Les premières sont restées un ou deux mois. « Au début, c’était un peu chaotique. Très vite, il y a eu le confinement, on a eu peur que ça ne prenne pas, et puis on a vite été rassurés », confie le maire. Aujourd’hui, elles sont quatre mamans et neuf enfants à résider là, dont huit sont scolarisé·es dans les écoles de L’Hospitalet et de Mérens. Sarah 3 est la dernière résidente à avoir rejoint la maison, il y a quelques semaines, avec ses deux garçons. Elle nous reçoit autour d’un café dans son nouvel appartement avec balcon sur les sommets. Toute fine, les cheveux relevés en chignon au-dessus de la tête, elle a encore les traits un peu tirés des nuits sans sommeil. « Dès qu’on a vu la neige, les montagnes, on était tellement heureux ! Aujourd’hui, j’arrive enfin à me reposer, à souffler. Avant, de jour comme de nuit, il n’y avait plus de sommeil… »

À la suite de violences à répétition, on lui avait proposé un hébergement en foyer ou un hébergement d’urgence, mais toujours dans son département. « C’était hors de question. Il fallait que je m’éloigne, que je mette mes enfants en sécurité… On nous a proposé cet endroit, on l’a découvert avec Joséphine en visio et on a dit OK ! Ici, on commence enfin à se resocialiser, à parler à d’autres personnes. ça fait du bien, on n’est plus coupés du monde… » 

“Maman, il faut qu’on parte maintenant”

Un parcours qu’a aussi connu Madeleine 3, qui réside à l’étage juste en dessous. Elle nous confie son histoire tout en confectionnant crêpes et gâteaux pour l’anniversaire de son fils : « Il paraît que je suis un peu fusionnelle avec mes enfants », dit-elle avec un sourire qui illumine ses grands yeux clairs. Puis son visage s’assombrit : « J’ai vécu des violences conjugales. J’étais sous ordonnance de protection, mais je n’arrivais pas à m’en sortir. Il était toujours là à me surveiller même si j’allais au moins une fois par semaine voir la police. Un jour, mon fils m’a dit : “Maman, il faut qu’on parte maintenant.” Ça a été le déclic. Une semaine après, on est arrivés ici, c’était la liberté. Dans mon cas, c’était vital… »

CABOCHON A
©Clément Soulmagnon

Ces bouts de vie abîmées, ces traumatismes, les résidentes les racontent parfois à Joséphine ou à Julie, autour d’un café, pendant une pause cigarette ou le soir, quand les enfants sont couchés et que les professionnelles restent tard. « Le lien avec les femmes est extraordinaire, ici. Il y a un réel temps d’écoute. On peut travailler sur les besoins, les émotions, alors qu’ailleurs on doit être dans une démarche de rentabilité… », explique Julie. Les femmes peuvent également rencontrer une sophrothérapeute ou une psychomotricienne dans le cadre d’un accompagnement à la parentalité. 

Ce soutien quotidien a transformé Inès 3. Elle se décrit comme réservée, nous découvrons une jeune femme au regard déterminé, volubile et confiante dans l’avenir. Elle réalise aujourd’hui le chemin parcouru depuis qu’elle est arrivée en bus à L’Hospitalet avec sa fille sous le bras, il y a six mois : « Je me sens heureuse, avant, je ne savais pas ce que ce mot voulait dire. Je me détestais, je ne pouvais pas me voir dans le miroir. Aujourd’hui, j’ai plein de rêves, j’ai pris confiance, j’ai réussi mon code… Je voudrais passer mon permis et devenir aide-soignante ou auxiliaire de vie. »

Mathilde 3, grande brune au sourire franc, est arrivée elle aussi cet été. La priorité pour elle, c’était de trouver un cadre sécurisant pour ses deux enfants, même s’il a fallu faire des centaines de kilomètres pour cela : « J’ai toujours élevé mes enfants seule. On était cloîtrés dans notre appartement en ville, je n’avais pas de travail. Ce qui m’a amenée ici, c’est la santé de mon fils. Il a besoin d’un accompagnement particulier. Pour cette raison, j’ai dû le déscolariser à plusieurs reprises. Il avait besoin de calme, d’un entourage serein, d’une école à effectif réduit. Ici, les enfants rentrent, sortent, voient du monde... Je les sens plus calmes, ils vont à l’essentiel. Ils jouent avec la neige, ils ont plus le rapport avec la nature, je les sens moins matérialistes… »

L’école rurale, “un cadre très sécurisant” 

Tous les matins, vers 8 h 30 avant que la classe ne commence, les mamans de la Maison des cimes, comme les autres parents, peuvent avoir un temps de discussion avec Marianne Duchêne dans le cadre du café des parents, au sein même de l’école du village. C’est l’occasion de faire le point sur les enfants, d’échanger sur les difficultés du quotidien. « Ce que cette école rurale leur apporte, c’est un cadre très sécurisant, des repères structurants. Au niveau de la confiance dans l’adulte, il y a quelque chose qui a changé chez ces enfants. L’idée qu’ils peuvent exister dans le regard de quelqu’un d’autre… », explique Marianne. 

Parmi les élèves de l’école, il y a aussi les enfants de Katia 3. Arrivée en juin, avec son fils et sa fille, elle a quitté la Maison des cimes début décembre pour s’installer… à L’Hospitalet ! « Quand on est arrivés à L’Hospi, on venait de passer plusieurs mois à dormir à trois dans le même lit dans une chambre sociale. C’est le SIAO qui nous a proposé ce lieu. Ici, j’ai pu souffler, penser au futur. Puis j’ai eu besoin de sortir du collectif. » Ce qui l’a décidée à rester ici, c’est le village et ses habitant·es. « On s’aide beaucoup. Je rends service à une petite mamie. Parfois, elle me garde ma fille, m’offre des tomates du jardin… J’ai aussi trouvé du travail ici comme agent de service dans une entreprise de nettoyage et comme aide à domicile pour une personne du village atteinte d’Alzheimer. Je n’aurais pas envie de partir en ville, on est bien ici… »

« Ce qui est particulier, c’est qu’on accompagne ces familles, qu’on les aide, mais aussi qu’elles aident le territoire. C’est donnant-donnant. Des villageois ont proposé des ateliers de sophrologie, les mamans ont proposé un jardin partagé, les enfants ont construit un poulailler avec le maire et les habitants du village, ils sont responsables des œufs à tour de rôle. C’est toute une dynamique qui se met en place », se réjouit Joséphine, la coordinatrice. Un sentiment que partage Serge, habitant du village, et gérant de l’unique hôtel-restaurant : « L’Hospitalet était presque un village mort. Avec la maison, le village revit. Certes, il n’y a pas forcément de retombées économiques, mais on entend les enfants s’amuser et, ça, ça fait du bien ! »

La Maison des cimes est une initiative expérimentale et il faut du temps pour ajuster le projet aux besoins réels des familles. « On aurait besoin de soutien en termes d’accompagnement psychologique, autant pour les mères que pour les enfants, et d’un éducateur, plus spécifiquement le soir quand ils rentrent de l’école », raconte Julie Edo.

Il y a aussi cette situation géographique bien particulière qui protège les familles, mais qui peut poser problème dans l’accès aux formations, aux commerces, aux activités des enfants ou à l’emploi… Il faut vingt-cinq minutes pour rejoindre Ax-les-Thermes, une heure de transport pour se rendre en formation à Foix ou à Pamiers… « J’aimerais rester ici parce que mes enfants s’y sentent tellement bien, mais il faut les outils pour pouvoir travailler, se déplacer ou se divertir », confie une résidente. Aujourd’hui, le combat des mamans rejoint celui des habitant·es pour assurer la survie de leur village. À chaque nouveau frein, toute l’équipe du projet se bat et tente d’amorcer des solutions. Ainsi, elle a réussi à convaincre la communauté de communes d’élargir les horaires d’accueil du périscolaire pour permettre aux mères de prendre le train tôt le matin. 

Prochain combat : le désert médical

Il y a aussi le problème de l’accès aux soins pour des familles qui ont vécu des traumatismes. Trouver un pédopsychiatre pour ses enfants est devenu l’un des combats de Madeleine 3, une des mamans : « Je ne trouve pas normal que l’Ariège soit si abandonnée, alors que c’est magnifique ici… Mais ça manque de médecins ! Il y a trente et un enfants à L’Hospitalet et, moi, j’ai envie de faire bouger les choses pour eux, pour tout le village ! » Le maire et les habitantes de la maison ont prévu de travailler en binôme sur ces questions et ont décidé d’écrire à l’Agence régionale de santé. « Avec les femmes, on va faire sauter les verrous, on va se battre pour l’accès aux soins, les services publics. On va passer pour les poils à gratter, mais on a l’habitude. »

L’objectif du maire, comme de toute l’équipe de France Horizon : démontrer que ce projet d’expérimentation unique en France est viable et bénéfique pour les familles monoparentales comme pour les territoires et qu’il peut être dupliqué ailleurs… Encore deux années pour faire leurs preuves et convaincre. 

1. Le SIAO, présent dans chaque département, recense les places d’hébergement, gère le 115 et fait des propositions d’orientation de logements.

2. De nombreux partenaires, de la communauté de communes à l’Europe, ont participé à l’investissement. Le budget de fonctionnement est financé, entre autres, par l’État, le département, la CAF, la mairie, les loyers des familles…

3. Les prénoms ont été modifiés.

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