« Du potentiel dans chacune d’elles » : c’est l’ambition de Potenti’elles, un programme d'inclusion par le sport des femmes exilées et de leurs « sisters » parisiennes. Linda est de celles-ci et Ana de celles-là.
![Grâce au programme Potenti’elles, les femmes exilées font du sport avec leurs « sisters » parisiennes 1 potenti elles session rugby 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/potenti-elles-session-rugby-2-768x1024.jpg)
Plaine de Vincennes, un samedi pluvieux d’octobre. Ana et Linda, baskets aux pieds et coupe-vent sur le dos, s’initient, avec d’autres novices, aux techniques du rugby. L’une est péruvienne, arrivée en France il y a un an ; l’autre parisienne depuis toujours. Toutes les deux forment un binôme du programme Potenti’elles lancé en septembre dernier par l’association Kabubu. Signifiant « l’amitié par le sport » en swahili, le nom choisi par cette jeune association née en 2018, c’est avant tout un état d’esprit, où les rencontres et l’amitié se nouent bien au-delà du ballon ovale.
La règle du jeu est simple : faire du sport le relai de l’intégration des femmes exilées. « La surreprésentation des hommes dans les activités associatives proposées aux personnes migrantes dissuade de nombreuses femmes à s’inscrire. Nous avons fait le pari d’une autre forme de mixité, non pas sexuée, mais entre exilée et locale », explique Claire Dagois, la coordinatrice du programme. Issues de tous horizons, la quinzaine de femmes de la « promotion Potenti’elles » se voient proposer sans frais une diversité d’activités sportives et artistiques : cours de yoga, journées de randonnées, sessions de rugby ou de hip-hop… l’offre est aussi originale que séduisante. Mais la force du programme réside surtout dans ses fameux « binômes de Sisters ». Chaque duo mixte dispose de six mois pour relever un défi sportif. « Nous voulons renforcer l’inclusion, qu’elles apprennent ensemble à se dépasser, travailler sur leur confiance en elles tout en apprenant à se connaître grâce au sport ! », s’enthousiasme Claire. Pari réussi pour Ana et Linda.
Binôme de « hermanas »
Hispanophones de naissance ou d’adoption, c’est bien la langue de Cervantès qui a fait tomber Ana et Linda dans les bras l’une de l’autre. C’était lors de la première séance sportive de Potenti’elles, une randonnée dans la forêt de Fontainebleau. « Je me souviens de notre rencontre. Très distante et réservée aux premiers abords, dès que nous avons échangé en espagnol, le visage d’Ana s'est littéralement éclairé. » se rappelle Linda.
![Grâce au programme Potenti’elles, les femmes exilées font du sport avec leurs « sisters » parisiennes 2 Potentielles Ana Linda 2 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/Potentielles-Ana-Linda-2-1-768x1024.jpg)
La jeune parisienne de 28 ans connait en effet très bien la langue et la culture de son acolyte. Après un long séjour en Amérique latine, elle revient tout juste dans la capitale pour débuter un nouveau projet personnel. Investie dans l’aide aux réfugiés depuis toujours, la solidarité coule dans le sang de la jeune femme d’origine cambodgienne. « Au Pérou j’avais rencontré des gens incroyables et bienveillants. Je voulais rendre la pareille en aidant une péruvienne à Paris. La boucle est ainsi bouclée ! » explique Linda. Mais pour elle, pas question d’être dans l’assistanat : « J’aime partager du temps avec des personnes dans le besoin et faire du sport. Ainsi je peux combiner deux choses qui me plaisent », précise-t-elle.
Culture physique et rythmique
Toutes deux sportives, Ana et Linda ont surtout le cœur à la danse, qui plus est lorsqu’elle est latine. « Au Pérou, j’avais une vraie discipline sportive que j’essaie de retrouver ici : cardio, abdos, self defense… Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est danser ! Cela me manque terriblement ! », regrette Ana. C’est donc tout naturellement qu’elles ont choisi de relever leur challenge sportif en liant l’utile à l’agréable. C’est au rythme vif et endiablé du reggaetón que les deux comparses se déhanchent et créent leur chorégraphie. D’abord ensemble puis par écrans interposés à cause du confinement, leur motivation n’en est que plus renforcée. Véritable exutoire, la danse est surtout « un formidable moyen de se connecter avec les autres » pour Linda. En l’occurrence, l’autre s’appelle Ana.
Le Pérou comme pavillon, la France comme port d’attache
A 37 ans, Ana a obtenu son statut de réfugiée à son arrivée à Paris il y a un an. Ses deux filles « qui lui manquent cruellement » sont restées au Pérou. Cette native de Lima, qu’elle a quittée pour fuir une situation dangereuse, a laissé une partie de son histoire en immigrant en France : « Ici c’est une nouvelle vie pour moi, je recommence de zéro. Je dois surmonter ma tristesse, mes peurs et ma solitude. » Si Ana s’est inscrite dans ce programme c’est avant tout pour vaincre le sentiment d’isolement qui la hante. Nounou et femme de ménage occasionnelle, le reste du temps Ana reste dans sa chambre du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). « Grâce à Potenti’elles, je ne suis plus seule. J’ai découvert de nouveaux sports, de nouvelles personnes, mais aussi la France, ses coutumes et ses paysages ! C’est un véritable tremplin social », reconnait-elle. Inscrite dans toutes les activités proposées, Ana reconnait tirer pleinement avantage de ces rencontres sportives, devenues indispensables pour son bien être mental. « J’aime ces réunions avec d’autres femmes pour apprendre la langue mais aussi me détendre et lâcher prise. J’aimerais que ces moments de convivialité s’étendent au-delà du sport ».
Linda et Ana ont dix ans d’écart et des projets plein la tête, prêts à se réaliser dès que la situation sanitaire le permettra. Tandis que la première a hâte de lui présenter ses amis latinos dans l’une de ses adresses favorites, la seconde se réjouit de lui cuisiner des plats péruviens en lui racontant ses baignades passées avec des lions de mer sauvages. Sa vie d’avant, Ana la dévoile progressivement. De ses expériences avec des publics immigrés, Linda a appris à ne pas être trop intrusive, laissant libre choix à son interlocutrice d’aborder son parcours : « des questions qui nous paraissent anodines peuvent raviver des traumas chez l'autre. Je laisse donc Ana me partager son histoire à son rythme, cela s’allège au fil de notre relation et je sens déjà qu'elle se confie de plus en plus ».
L’intégration dans la société française exige de dépasser de nombreux obstacles, autrement plus délicats qu’un défi sportif. Pour Ana, sa première victoire est d’avoir surtout appris à se découvrir elle-même : « cet exil a révélé ma force et mon courage et j’en suis très fière. Le plus dur reste d’endurer la météo parisienne, mais je commence à m’y faire ! », ironise Ana grelottant de froid, emmitouflée dans son survêtement. Parce que la vie d’Ana est désormais parisienne, elle arrive à se projeter vers l’avenir. « Passionnée d’animaux et de nature, je songe à entreprendre des études de vétérinaire. J'ai des grands rêves pour ma nouvelle vie en France. Mais pour l’heure, ma priorité c’est d’aller danser avec Linda ! »