Grâce au pro­gramme Potenti’elles, les femmes exi­lées font du sport avec leurs « sis­ters » parisiennes

« Du poten­tiel dans cha­cune d’elles » : c’est l’ambition de Potenti’elles, un pro­gramme d'inclusion par le sport des femmes exi­lées et de leurs « sis­ters » pari­siennes. Linda est de celles-​ci et Ana de celles-là.

potenti elles session rugby 2
© Romane Bonnemé

Plaine de Vincennes, un same­di plu­vieux d’octobre. Ana et Linda, bas­kets aux pieds et coupe-​vent sur le dos, s’initient, avec d’autres novices, aux tech­niques du rug­by. L’une est péru­vienne, arri­vée en France il y a un an ; l’autre pari­sienne depuis tou­jours. Toutes les deux forment un binôme du pro­gramme Potenti’elles lan­cé en sep­tembre der­nier par l’association Kabubu. Signifiant « l’amitié par le sport » en swa­hi­li, le nom choi­si par cette jeune asso­cia­tion née en 2018, c’est avant tout un état d’esprit, où les ren­contres et l’amitié se nouent bien au-​delà du bal­lon ovale.

La règle du jeu est simple : faire du sport le relai de l’intégration des femmes exi­lées. « La sur­re­pré­sen­ta­tion des hommes dans les acti­vi­tés asso­cia­tives pro­po­sées aux per­sonnes migrantes dis­suade de nom­breuses femmes à s’inscrire. Nous avons fait le pari d’une autre forme de mixi­té, non pas sexuée, mais entre exi­lée et locale », explique Claire Dagois, la coor­di­na­trice du pro­gramme. Issues de tous hori­zons, la quin­zaine de femmes de la « pro­mo­tion Potenti’elles » se voient pro­po­ser sans frais une diver­si­té d’activités spor­tives et artis­tiques : cours de yoga, jour­nées de ran­don­nées, ses­sions de rug­by ou de hip-​hop… l’offre est aus­si ori­gi­nale que sédui­sante. Mais la force du pro­gramme réside sur­tout dans ses fameux « binômes de Sisters ». Chaque duo mixte dis­pose de six mois pour rele­ver un défi spor­tif. « Nous vou­lons ren­for­cer l’inclusion, qu’elles apprennent ensemble à se dépas­ser, tra­vailler sur leur confiance en elles tout en appre­nant à se connaître grâce au sport ! », s’enthousiasme Claire. Pari réus­si pour Ana et Linda. 

Binôme de « her­ma­nas »

Hispanophones de nais­sance ou d’adoption, c’est bien la langue de Cervantès qui a fait tom­ber Ana et Linda dans les bras l’une de l’autre. C’était lors de la pre­mière séance spor­tive de Potenti’elles, une ran­don­née dans la forêt de Fontainebleau. « Je me sou­viens de notre ren­contre. Très dis­tante et réser­vée aux pre­miers abords, dès que nous avons échan­gé en espa­gnol, le visage d’Ana s'est lit­té­ra­le­ment éclai­ré. » se rap­pelle Linda. 

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Ana et Linda © Romane Bonnemé

La jeune pari­sienne de 28 ans connait en effet très bien la langue et la culture de son aco­lyte. Après un long séjour en Amérique latine, elle revient tout juste dans la capi­tale pour débu­ter un nou­veau pro­jet per­son­nel. Investie dans l’aide aux réfu­giés depuis tou­jours, la soli­da­ri­té coule dans le sang de la jeune femme d’origine cam­bod­gienne. « Au Pérou j’avais ren­con­tré des gens incroyables et bien­veillants. Je vou­lais rendre la pareille en aidant une péru­vienne à Paris. La boucle est ain­si bou­clée ! » explique Linda. Mais pour elle, pas ques­tion d’être dans l’assistanat : « J’aime par­ta­ger du temps avec des per­sonnes dans le besoin et faire du sport. Ainsi je peux com­bi­ner deux choses qui me plaisent », précise-​t-​elle.

Culture phy­sique et rythmique

Toutes deux spor­tives, Ana et Linda ont sur­tout le cœur à la danse, qui plus est lorsqu’elle est latine. « Au Pérou, j’avais une vraie dis­ci­pline spor­tive que j’essaie de retrou­ver ici : car­dio, abdos, self defense… Mais ce que j’aime par-​dessus tout, c’est dan­ser ! Cela me manque ter­ri­ble­ment ! », regrette Ana. C’est donc tout natu­rel­le­ment qu’elles ont choi­si de rele­ver leur chal­lenge spor­tif en liant l’utile à l’agréable. C’est au rythme vif et endia­blé du reg­gaetón que les deux com­parses se déhanchent et créent leur cho­ré­gra­phie. D’abord ensemble puis par écrans inter­po­sés à cause du confi­ne­ment, leur moti­va­tion n’en est que plus ren­for­cée. Véritable exu­toire, la danse est sur­tout « un for­mi­dable moyen de se connec­ter avec les autres » pour Linda. En l’occurrence, l’autre s’appelle Ana.

Le Pérou comme pavillon, la France comme port d’attache

A 37 ans, Ana a obte­nu son sta­tut de réfu­giée à son arri­vée à Paris il y a un an. Ses deux filles « qui lui manquent cruel­le­ment » sont res­tées au Pérou. Cette native de Lima, qu’elle a quit­tée pour fuir une situa­tion dan­ge­reuse, a lais­sé une par­tie de son his­toire en immi­grant en France : « Ici c’est une nou­velle vie pour moi, je recom­mence de zéro. Je dois sur­mon­ter ma tris­tesse, mes peurs et ma soli­tude. » Si Ana s’est ins­crite dans ce pro­gramme c’est avant tout pour vaincre le sen­ti­ment d’isolement qui la hante. Nounou et femme de ménage occa­sion­nelle, le reste du temps Ana reste dans sa chambre du centre d’accueil pour deman­deurs d’asile (CADA). « Grâce à Potenti’elles, je ne suis plus seule. J’ai décou­vert de nou­veaux sports, de nou­velles per­sonnes, mais aus­si la France, ses cou­tumes et ses pay­sages ! C’est un véri­table trem­plin social », reconnait-​elle. Inscrite dans toutes les acti­vi­tés pro­po­sées, Ana recon­nait tirer plei­ne­ment avan­tage de ces ren­contres spor­tives, deve­nues indis­pen­sables pour son bien être men­tal. « J’aime ces réunions avec d’autres femmes pour apprendre la langue mais aus­si me détendre et lâcher prise. J’aimerais que ces moments de convi­via­li­té s’étendent au-​delà du sport ».

Linda et Ana ont dix ans d’écart et des pro­jets plein la tête, prêts à se réa­li­ser dès que la situa­tion sani­taire le per­met­tra. Tandis que la pre­mière a hâte de lui pré­sen­ter ses amis lati­nos dans l’une de ses adresses favo­rites, la seconde se réjouit de lui cui­si­ner des plats péru­viens en lui racon­tant ses bai­gnades pas­sées avec des lions de mer sau­vages. Sa vie d’avant, Ana la dévoile pro­gres­si­ve­ment. De ses expé­riences avec des publics immi­grés, Linda a appris à ne pas être trop intru­sive, lais­sant libre choix à son inter­lo­cu­trice d’aborder son par­cours : « des ques­tions qui nous paraissent ano­dines peuvent ravi­ver des trau­mas chez l'autre. Je laisse donc Ana me par­ta­ger son his­toire à son rythme, cela s’allège au fil de notre rela­tion et je sens déjà qu'elle se confie de plus en plus ».

L’intégration dans la socié­té fran­çaise exige de dépas­ser de nom­breux obs­tacles, autre­ment plus déli­cats qu’un défi spor­tif. Pour Ana, sa pre­mière vic­toire est d’avoir sur­tout appris à se décou­vrir elle-​même : « cet exil a révé­lé ma force et mon cou­rage et j’en suis très fière. Le plus dur reste d’endurer la météo pari­sienne, mais je com­mence à m’y faire ! », iro­nise Ana gre­lot­tant de froid, emmi­tou­flée dans son sur­vê­te­ment. Parce que la vie d’Ana est désor­mais pari­sienne, elle arrive à se pro­je­ter vers l’avenir. « Passionnée d’animaux et de nature, je songe à entre­prendre des études de vété­ri­naire. J'ai des grands rêves pour ma nou­velle vie en France. Mais pour l’heure, ma prio­ri­té c’est d’aller dan­ser avec Linda ! » 

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