Soraya
Soraya s'est redirigée vers le milieu du BTP pour y trouver un métier avec plus de sens. © Marie Blaise

BTP : Gustave, une école pour for­mer à la construc­tion et débou­lon­ner les sté­réo­types de genre

Reportage à l’école Gustave, un centre de formation aux métiers du bâtiment dans les Hauts-de-Seine qui tente d’intégrer un maximum de femmes dans ses rangs.

Clichy, dans les Hauts-de-Seine. À quelques pas de l’arrêt de bus Claude Debussy se trouve l’école Gustave, dont le nom évoque un autre illustre homme du 19ème siècle, l’édificateur de la Tour Eiffel. Marie Blaise, la co-fondatrice et directrice du centre de formation de plombier·ères-chauffagistes et d’électricien·nes, aurait bien choisi un matronyme, mais impossible de trouver une bâtisseuse. Plus de cent ans après la construction de la Dame de fer, le milieu du bâtiment reste miné pour les femmes.

Bloc de béton percé de grandes fenêtres, le bâtiment à l'ambiance tamisée qui loge l’école abrite aussi les bureaux du site internet de Monoprix et ne ressemble pas à l’image que l’on se fait d’un centre de formation de BTP. Mais le côté start-up nation s’évapore au premier étage où tuyaux aux murs et outils variés côtoient habits de travail et canettes de Coca abandonnées. Pour l’heure, personne ne soude rien. La trentaine d'élèves de la promotion en cours écoute religieusement Sofiane, le formateur. 

Sur le banc, on retrouve pêle-mêle des anciens footballeurs, militaires ou comptables. Âgés de 18 à 58 ans, iels sont en reconversion professionnelle et vont suivre trois mois durant une formation intense, passant de cours théoriques à des essais pratiques ponctués d’interventions de gens du métier. Les étudiant·es enchaîneront ensuite sur une alternance d’un an en entreprise qui se soldera normalement par un emploi - la formation ne commençant qu’après que l'étudiant.e a trouvé une entreprise prête à l'accueillir et qui peut lui offrir une perspective d'emploi. De l’autre côté de la salle, en face de ce grand gars costaud qui explique à ses disciples comment détailler leurs factures auprès de leurs futur·es client·es, le bureau de Marie Blaise. 

Marie, au cœur de l’engrenage 
Marie Blaise
Marie Blaise, co-fondatrice et directrice de l'école Gustave © Milena de Bellefroid

À 28 ans, cette native de Reims se retrouve directrice d’école. Si on lui avait dit enfant, elle n’y aurait pas cru : « Je ne me sentais vraiment pas, mais alors vraiment pas bien dans le système scolaire, j’avais l’impression d’y perdre mon temps. » À l’époque, elle passe sa vie à cheval entre l’équitation (elle a même fait partie de l’équipe de France) et les chantiers de ses parents, tous deux artisans. Après des études de finances en Australie, « pour la sécurité de l’emploi », elle lance une première boîte qui tend à démocratiser les formations à l’étranger pour les jeunes issu·es de familles modestes ou de filières professionnelles et technologiques. L’entreprise marche bien mais elle décide d’arrêter après trois ans. « J’ai eu envie de plus concret, d’une vraie école pour former les gens et pas simplement les conseiller », explique-t-elle. En parallèle, elle rencontre son compagnon, plombier chauffagiste, qui ne cesse de lui raconter combien c’est facile de trouver un emploi dans son secteur, mais aussi d’en changer et de négocier son salaire au vu des pénuries de main d'œuvre. « Ça me faisait vachement penser au domaine de l’informatique : être développeur, c’est passer d’une lubie de nerd à quelque chose de super sexy. Tout le monde veut apprendre à coder maintenant qu’il y a une demande énorme. »

C’est justement avec les fondateurs de l’école du numérique Rocket School, Cyril Pierre de Geye et Jeremy Diavet, qu’elle lance l’école Gustave. Une formation 100% gratuite, payée par Pôle Emploi et les OPCO (OPérateur de COmpétences), qui a pour particularité de recruter non pas au regard d’un quelconque diplôme antérieur mais sur base de la motivation et de la personnalité. L’objectif premier de l'école est de former des personnes en reconversion à des métiers en tension, tandis qu’un deuxième chantier prend place en arrière plan : convaincre les femmes qu’elles ont leur place dans le milieu du bâtiment. Si aujourd'hui seules deux femmes font partie des effectifs des 35 étudiant·es, Marie Blaise s'est ainsi fixé l'objectif d'atteindre 15% de femmes dans la prochaine promotion Gustave et 30% à moyen terme.

C’est en forgeant… 

Ici, Marie n’a renoncé ni aux bottes à talons qui martèlent le sol ni aux robes, tolère qu’on la prenne pour la secrétaire ou la chargée de com’ avec un sourire mi-ironique mi-compatissant qui s’accentue quand on lui dit « passez-moi votre patron ». Elle en rit parce qu’elle sait ce qu’elle vaut. « Ne pas se désavouer en tant que femme dans un milieu d’hommes, c’est peut-être un détour mais à l’arrivée, on y gagne. »

« On manque de role models, de "patrona" comme on les appelle en marketing, soit des figures qui nous ressemblent et qui nous permettent de nous dire "eh mais moi aussi je pourrais faire ça"»

Alexia Uri, fondatrice d'Urenov

Petite, elle a vu les gens s’adresser systématiquement en premier à son père quand ils faisaient affaire avec l’entreprise de menuiserie fondée par ses parents. Puis se raviser et de traiter en priorité avec sa mère une fois qu’ils avaient observé sa rigueur. La directrice reconnaît toutefois que si elle n’avait pas baigné toute sa vie dans le milieu du BTP, elle n’aurait probablement jamais songé y travailler. Alexia Uri, fondatrice de la boîte Urenov, que Marie invite régulièrement pour donner des conférences à ses élèves (la directrice veille à obtenir un équilibre homme-femme dans les intervant·es que propose la formation), ne dit pas autre chose : « On manque de role models, de "patrona" comme on les appelle en marketing, soit des figures qui nous ressemblent et qui nous permettent de nous dire "eh mais moi aussi je pourrais faire ça". » D'après les derniers chiffres de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), la part des femmes dans le milieu est de 12,6% mais seulement 1,6% sur les chantiers, la majorité d'entre elles travaillant comme employées (secrétaire, comptable) ou techniciennes.

« Quand j'arrive pour regarder les sols ou taper sur les murs, je vois bien que les gens sont pris au dépourvu, souvent on me dit que je suis courageuse », raconte Alexia, qui a choisi de monter sa boîte de rénovation même si elle part du principe que « dans la vie, mieux vaut éviter de cumuler les handicaps et qu'effectivement être une femme dans le milieu en est encore un. »

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Les élèves de l'école Gustave restent principalement masculins, la promotion en cours compte 2 femmes pour 33 hommes. © M.d.B.

Les stigmates sociétaux jouent sur l’intérêt que les femmes pourraient porter aux métiers du BTP et douchent l’enthousiasme de celles qui tentent leur chance. Difficile d’outrepasser le sentiment d’illégitimité quand, régulièrement, une demande d’alternance se solde par un silence surpris ou un ricanement à l’autre bout du fil. Pourtant, Marie est formelle : « Ça ne demande pas de force. Enfin, dans le temps, si, mais c’est fini l’époque où tu devais porter des sacs de 150 kilos. Aujourd’hui, le métier est facilité par des machines, ça requiert toujours de l’endurance parce que c’est un métier physique mais pas de force à proprement parler. » Les entreprises qui font preuve du moindre relent de sexiste (ou de racisme, par ailleurs) sont donc directement évincées du catalogue des partenaires de l'école. « Depuis peu, bon, c’est minoritaire mais il y a des entreprises qui nous contactent spécialement pour engager des femmes. Ça a beau ne représenter que 10% des entreprises avec qui on traite, il y a quelques mois, il y en avait 0. » 

Soraya, poigne de fer dans gant de protection

Soraya Daoudi est l’une des deux femmes de la promotion en cours. A l’aube de la quarantaine, cette petite brune énergique quitte les métiers de bureau, lassée d’un certain immobilisme et « des réunions qui servent à préparer d’autres réunions ». En plein déménagement, la préposée au bricolage, qui s'est toujours occupée de menus travaux pour sa mère, se sent revivre sur son escabeau, au point d’opérer un grand virage vers une formation manuelle. Et fait face dans un premier temps à un certain désarroi de la part de son entourage : son fils aurait préféré qu’elle reste dans la fonction publique à Bercy, son père, qui a lui aussi travaillé dans le milieu du BTP, a peur qu’elle se fatigue. Mais la fatigue, elle l’accuse beaucoup moins ici entre les étincelles et débris de plâtre que dans le milieu des ressources humaines où « on a aussi affaire à des hommes, souvent à des postes à responsabilité, avec qui il faut parfois se battre quand on constate des dysfonctionnements et des manquements au droit du travail. Ça plombe. »

Soraya a découvert l’école Gustave sur Internet, y a postulé et a failli ne jamais y venir à cause d’un problème de mails perdus dans les limbes internetiennes. Quiproquo vite réglé par un appel de Marie, qui n’allait sûrement pas laisser filer l’un des rares profils féminins à se présenter. L'ex-RH a passé l'entretien avec brio et s'est bien vite adaptée à l'école Gustave et ses élèves, dont elle loue l'esprit de camaraderie, « ils sont tous très gentils, je me suis fait des copains.»

Jeremy (33 ans), Julien (26) et Kabiné (27) témoignent tous trois d'un premier mouvement de surprise quand ils ont découvert qu'ils côtoieraient des femmes durant leur formation. L'étonnement premier a cependant vite laissé place à de l'enthousiasme, au point qu'ils louent désormais tous l'avantage d'une équipe mixte sur un chantier. « C'est bien que le métier se diversifie », affirme Jeremy, car, comme le souligne Julien : « Cela permet d’avoir différents points de vue sur un chantier, de définir différents aspects des travaux. L’homme est plutôt "brouillon" sur un chantier et la femme canaliserait l’homme dans les tâches. » Kabiné ajoute qu'il « essaye de mettre ses collègues femmes les plus à l’aise possible surtout qu’elles pourraient souffrir d’un manque de confiance de la part de certains, “rapport aux préjugés”. » 

Lire aussi : Amélie Lange, serrurière : « J’aide les femmes à protéger ce qu’elles ont de précieux »

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