• Rechercher
  • Mot de passe oublié ?
  • Mot de passe oublié ?

Amélie Lange, ser­ru­rière : « J’aide les femmes à pro­té­ger ce qu’elles ont de précieux »

Après vingt ans dans la com et la pub, Amélie Lange s’est lan­cée dans la serrurerie-​dépannage. « Comme Fantômette », dit-​elle, elle part à l’aventure jour et nuit pour per­cer les énigmes des portes blo­quées et aider ses clientes à se sen­tir en sécu­ri­té chez elles.

serrurière
©Camille Besse

"Ça s’est fait après une recon­ver­sion, à 40 ans. J’avais com­men­cé dans la com à 20 ans. Et j’étais direc­trice de créa­tion dans la pub depuis mes 30 ans. On ima­gi­nait des cam­pagnes pour des marques comme L’Oréal, Le Crédit Agricole, Volkswagen et même… les crêpes Whaou ! L’idée de la ser­ru­re­rie est venue pen­dant le confi­ne­ment. Une voi­sine de palier n’arrivait plus à entrer chez elle à 23 h 30. Tous les mecs de l’immeuble ont ten­té d’ouvrir la porte, mais n’y arri­vaient pas. J’y suis allée hyper dou­ce­ment et c’est fina­le­ment moi qui ai réus­si. Le sou­la­ge­ment sur son visage m’a mar­quée. Il y avait une gra­ti­tude immé­diate de l’ordre de “Wonder Woman a ouvert ma porte !” Ça contras­tait avec mon bou­lot où tu don­nais tout, dans des délais infer­naux, sans jamais avoir de reconnaissance.

À cause du Covid, mon entre­prise a pro­po­sé une rup­ture conven­tion­nelle col­lec­tive, avec une pos­si­bi­li­té de for­ma­tion. La scène de ma voi­sine m’est reve­nue. C’est fou, mais je me suis dit : “Pourquoi tu ne ferais pas ça ? C’est manuel et humain. C’est mieux que de vendre des yaourts dont les gens n’ont pas besoin.” J’ai appe­lé la seule nana ser­ru­rière à Paris, Samira Jaouadi. Au télé­phone, pen­dant deux heures, elle m’a don­né toutes ses astuces de femme arti­sane. Ça m’a décidée.

Il y a un seul centre de for­ma­tion recon­nu par l’État, à Créteil, dans le Val-​de-​Marne : le FMSD. Il y a donc des gens qui viennent de la France entière pour suivre ce cur- sus. Il en existe d’autres de très bonne qua­li­té (Madelin ou Ouverture fine), mais ils ne sont pas diplô­mants. En arri­vant dans la classe, j’avais les pétoches. On n’était que deux femmes. Mais un super for­ma­teur a tout de suite dit : “Je vous pré­viens, les gars, à chaque fois qu’il y a des femmes en for­ma­tion, elles sont dix fois meilleures.” On t’apprend à recon­naître les ser­rures – une cin­quan­taine de marques et un nombre incal­cu­lable de modèles – pour savoir com­ment les déver­rouiller. Il y a aus­si l’aspect admi­nis­tra­tif pour la ges­tion de ton entre­prise. Et enfin : la pose de portes, volets, grilles de défense, digi­codes de télésurveillance…

Ça dure un mois. Ça coûte 4 000 euros. À la fin, tu es diplô­mée d’État. Après, tu dois ache­ter ton maté­riel, envi- ron 3 000 euros pour un équi­pe­ment de base. Je déplace le tout sur mon petit scoo­ter, comme Fantômette. C’est un métier assez gan­gre­né par des arti­sans peu hon­nêtes. La seule solu­tion pour durer, c’est de pra­ti­quer des prix justes. On nous a don­né des barèmes. Une porte cla­quée en semaine, en jour­née, c’est envi­ron 90 euros. Il faut tou­jours tra­vailler sur devis. En moyenne, en pra­ti­quant ces prix, on peut gagner 3 500–4 000 euros net par mois, après avoir payé les charges, qui sont gros­so modo du même mon­tant. Je n’y suis pas encore, car je débute. Je me suis lan­cée à la fin de l’été, après avoir sui­vi un pote ser­ru­rier sur des dépan­nages et ins­tal­la­tions de porte blin­dée pour m’entraîner. Les dépan­nages sont les plus exci­tants : tu tombes tou­jours sur un pro­blème dif­fé­rent qu’il faut dénouer.

Un soir, une femme sur Twitter a racon­té une mésa­ven­ture qu’elle venait de vivre. Deux ser­ru­riers avaient uti­li­sé leur sta­ture pour lui faire peur et l’obliger à payer hyper cher. J’ai rebon­di pour dire que j’étais fémi­niste et que j’étais là pour aider les femmes dans ce genre de situa­tion. J’ai lais­sé mon numé­ro. C’est là que ma pre­mière cliente m’a appe­lée. Une jeune femme qui avait cla­qué sa porte. J’ai galé­ré pen­dant un quart d’heure, mais j’y suis arri­vée. Mes gouttes de sueur tom­baient sur le sol, c’était ciné­ma­to­gra­phique ! Depuis, j’ai cinq à dix nou­veaux clients par semaine et quatre à cinq chan­tiers. Principalement des femmes.

Il y a dans ce métier un truc de réas­su­rance impor­tant pour moi. Il s’agit d’aider les meufs à pro­té­ger ce qu’elles ont de pré­cieux. J’ai été cam­brio­lée et je l’ai vécu comme une espèce de viol de mon inti­mi­té. J’ai fait une dépres­sion ensuite. Alors, j’ai vrai­ment de l’empathie pour les femmes qui m’appellent. Symboliquement, on peut se dire : “C’est une femme qui me pro­tège.” Je leur dis tou­jours qu’il faut fer- mer à clé, même quand on est chez soi, car de nom­breux cam­brio­lages ont lieu comme ça. Une cliente m’a aus­si dit que c’était sym­pa parce que, contrai­re­ment à un homme arti­san qui ne l’écoutait pas, avec moi, elle avait pu dis­cu­ter. Je dis “Bonne idée” au lieu de “Laissez-​moi faire, je gère, Mademoiselle”, quand on me sug­gère des solutions.

De mon côté, en cas de client insis­tant ou de dépan­nage de nuit chez un homme, j’ai des parades. J’ai tou­jours un petit truc sur moi, genre bombe gazeuse. Si je ne le sens pas, j’envoie le client à mon réseau de l’école. On a un super groupe d’entraide. Parfois on se conseille même via une visio­con­fé­rence en direct chez une cliente.

Il y a un réel aspect artis­tique au métier. J’ai fait des études d’art avant d’arriver dans la pub. Alors, quand les clientes m’interrogent sur une cou­leur de porte ou de métal, j’étudie ça avec des nuan­ciers, le soir, sur pho­to. Le week-​end, je me balade aux puces. C’est une mine d’or. Il y a de sublimes plaques de portes en lai­ton, des ser­rures du XIXe siècle… Une cliente m’en a com­man­dé, c’était génial de lui poser quelque chose qui a eu cent vies. L’autre jour, j’ai per­cé une boîte aux lettres blo­quée. Comme elle était bleue, les éclats 

fai­saient comme une galaxie de paillettes de métal. Il y a de la beau­té par­tout. L’histoire de l’art – et de la ser­ru­re­rie – m’intéresse. En lisant des ouvrages, j’apprends qu’il y avait des bagues-​clés, des pistolets-​clés, et des clés spé­ciales pour les meubles à secret, des meubles qu’on ne peut pas ouvrir sans mani­pu­la­tion à côté… J’agrémente mon tra­vail de ces connais­sances, qu’il m’arrive de raconter.

Plus pro­saï­que­ment, mes télé­phones sont tou­jours allu­més. Mes horaires, c’est 9 h 30–19 heures, mais si une femme en galère m’appelle la nuit, je viens. Sinon, je l’oriente vers des col­lègues de confiance. Le week-​end, pareil, et je m’occupe de la par­tie admi­nis­tra­tive : devis, fac­tures… C’est enva- his­sant, mais c’est la nou­velle vie que j’ai choi­sie. Je me vois ser­ru­rière jusqu’à ce que mon dos me fasse mal et m’empêche de bosser."

Partager