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© Brieuc Le Bars

En pri­son, l’association Code Phenix forme les déte­nus au métier de déve­lop­peur informatique

Dans un envi­ron­ne­ment car­cé­ral aux oppor­tu­ni­tés limi­tées, l’association Code Phenix, créée par Brieuc Le Bars, a lan­cé une for­ma­tion au codage infor­ma­tique dans le centre de déten­tion de Melun, en Seine-​et-​Marne. Un moyen de redon­ner confiance aux déte­nus et d’ouvrir les pos­sibles à leur sortie.

L’endroit pour­rait res­sem­bler à une salle de classe un peu défraî­chie, avec ses murs blancs et son sol en damier. Devant leurs écrans, plu­sieurs per­sonnes concen­trées tapent sur leur cla­vier ou se donnent des conseils. À leurs côtés, un homme plu­tôt jeune, barbe de trois jours et col de che­mise débor­dant du pull, passe d’un poste à l’autre pour répondre aux ques­tions de ces élèves d’un autre genre. Lui, c’est Brieuc Le Bars, créa­teur et for­ma­teur de l’association Code Phenix. Ce matin-​là, comme tous les jours du lun­di au ven­dre­di, il inter­vient auprès de sa pro­mo­tion d’apprenants au centre de déten­tion de Melun. « Nous pro­po­sons une for­ma­tion de 520 heures à dif­fé­rents lan­gages de code, HTML, CSS et JavaScript, explique-​t-​il. Puis nous pas­sons ensuite en mode agence, où les appre­nants réa­lisent des sites Web pour des clients. Et ils sont rému­né­rés pour leurs prestations. » 

Un uni­vers méconnu

Dans le milieu car­cé­ral fran­çais, c’est du jamais vu. La plu­part des for­ma­tions pour les déte­nus se concentrent sur des métiers indus­triels comme la métal­le­rie, la pein­ture, l’imprimerie… peu en phase avec les évo­lu­tions du mar­ché du tra­vail. « Autour du numé­rique, il n’y avait rien », se sou­vient le fon­da­teur de Code Phenix, asso­cia­tion créée en 2017. Il voyait pour­tant toutes les oppor­tu­ni­tés d’insertion et d’emploi à la sor­tie que pou­vait engran­ger une telle démarche. 

codephenix Léana Vigier
Brieuc Le Bars © Léana Vigier

Le déve­lop­peur de 27 ans, ancien élève de Centrale à Paris, a décou­vert le milieu des pri­sons un peu par hasard, au gré de ses études. Tout d’abord, c’est le domaine de l’économie sociale et soli­daire qui l’a inter­pel­lé en deuxième année. Puis, alors qu’il s’intéressait à l’informatique et qu’il réflé­chis­sait à « com­ment aider les gens », il s’est aper­çu du manque d’opportunités pro­po­sées dans le domaine car­cé­ral. « Ce sont des pro­blé­ma­tiques que je connais­sais très mal, comme une grande par­tie de la popu­la­tion, déplore-​t-​il. Avant de consta­ter, amer : Nous sommes dés­in­for­més parce que les pri­sons ont été dépla­cées en dehors des centres-​villes, là où on ne peut plus et on ne veut plus les voir. » Coup de chance, en 2016, l’école Centrale pro­po­sait un par­cours entre­pre­neu­rial en der­nière année pour pou­voir déve­lop­per un pro­jet per­son­nel. Le Breton en a pro­fi­té pour appro­fon­dir ses savoirs sur l’univers péni­ten­tiaire, pour s’initier dans des centres d’hébergement et à la mai­son d’arrêt de Fresnes (Val-​de-​Marne), puis créer son asso­cia­tion Code Phenix avec trois béné­voles. Le tout avant d’avoir l’autorisation, un an plus tard, de démar­rer une for­ma­tion au centre de déten­tion de Melun. « En Île-​de-​France, dans un gros bas­sin d’emplois dans le numé­rique et dans une ins­ti­tu­tion aux peines longues [plus de deux ans, ndlr], pour que la for­ma­tion se fasse sur le temps long », motive l’initiateur du pro­jet. Le temps de mettre en place la tota­li­té du pro­jet et il lan­çait la for­ma­tion avec la pre­mière pro­mo­tion en jan­vier 2019. 

Redonner confiance

Chaque jour de la semaine, Brieuc Le Bars passe la mati­née dans les locaux de Melun, où trois cents déte­nus écopent leur peine. Huit d’entre eux, sélec­tion­nés sur le volet, ont sui­vi la pre­mière ses­sion de la for­ma­tion de deux ans. Test infor­ma­tique basique, éva­lua­tion de fran­çais et entre­tien de moti­va­tion fai­saient par­tie du pro­ces­sus d’accès aux cours. « On sou­hai­tait mélan­ger les per­sonnes qui vou­laient appro­fon­dir leurs connais­sances et celles qui s’y connais­saient peu, mais se disaient prêtes à se don­ner », assume le for­ma­teur. Dkya*, 27 ans, répond au pre­mier pro­fil. Alors qu’avant son incar­cé­ra­tion il avait com­men­cé un BTS d’informatique, aban­don­né entre-​temps pour trou­ver un emploi, il a vou­lu accroître ses connais­sances en code avec la for­ma­tion. Son bilan ? « Il y avait de l’entraide et de la com­plé­men­ta­ri­té, ce qui nous a per­mis d’avancer tous ensemble. » Plus encore, cet ancien mana­ger a appré­cié la convi­via­li­té de cette agence en pri­son, pour laquelle il a com­men­cé à tra­vailler après les six mois de for­ma­tion et qu’il a quit­tée à sa sor­tie de pri­son en novembre 2020. « On res­sen­tait une forte ému­la­tion, et j’ai pu appor­ter ma pierre à l’édifice », se réjouit-​il. Parmi les réa­li­sa­tions du groupe, le site tout ani­mé du pro­jet de l’association Animafac, Animaville, ou encore celui de l’entreprise de pro­duits dédiés à l’aquaponie, Cocoplant.co.

Brieuc Le Bars de Code Phenix a pour­tant dû faire face à des obs­tacles propres au milieu car­cé­ral pour créer de bonnes condi­tions de tra­vail, notam­ment à l’impossibilité d’avoir Internet dans les locaux du centre de déten­tion. Il indique : « On a créé notre propre Intranet, ce qui allonge notre temps de pres­ta­tion pour la créa­tion de sites. » Conscient de ces freins, il n’a pas man­qué pour autant d’ouvrir ses séances au monde exté­rieur, en invi­tant des déve­lop­peurs en pri­son pour par­ler de leur métier et en pro­po­sant des mis­sions aux appre­nants – sept au total pour la pre­mière pro­mo­tion – afin de refondre des sites dans le cadre de l’agence Web. « Ils ont pu échan­ger d’égal à égal et reprendre confiance en eux », se félicite-t-il.

Poursuivre l'accompagnement à la sortie

L’autre défi de Code Phenix ? La pré­ven­tion de la réci­dive. D’après les chiffres du Conseil éco­no­mique, social et envi­ron­ne­men­tal (Cese), en 2017, 61 % des hommes condam­nés à une peine d’emprisonnement ferme sont repas­sés à l’acte. « Une bonne par­tie, un an après leur libé­ra­tion », com­plète Brieuc Le Bars. De sa cas­quette de for­ma­teur, celui qui est aus­si le seul sala­rié à plein temps de Code Phenix, passe donc à celle d’accompagnateur pour les déte­nus ayant sui­vi la for­ma­tion. « Je suis sor­ti il y a peu et il m’a envoyé un mail, m’a indi­qué des for­ma­tions. Je ne me suis pas sen­ti lâché dans la nature », appré­cie Dkya, qui a main­te­nant un solide bagage de déve­lop­peur sous le bras. 

Le fon­da­teur de l’association, dont les finan­ce­ments pro­viennent essen­tiel­le­ment de mécènes et de sub­ven­tions publiques, voit de son côté plus loin et espère répli­quer son pro­jet dans d’autres éta­blis­se­ments en France, notam­ment auprès d’un public fémi­nin. « Aujourd’hui, les offres de for­ma­tions pour les déte­nues sont cari­ca­tu­rales et la repré­sen­ta­tion des femmes dans le numé­rique est trop faible », plaide-​t-​il. D’ici là, une deuxième ses­sion débu­te­ra au centre de déten­tion de Melun en jan­vier, avec de nou­veaux apprenants.

* Pour des rai­sons de confi­den­tia­li­té, le pré­nom a été modifié. 

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