Elles sont nombreuses à ne pas se lancer en politique, faute d’en avoir les codes. Pour gagner en assurance, des femmes se tournent volontiers vers des formations et du coaching. Un accompagnement dans l’ombre, pour mieux prendre la lumière.
Devenir députée ? Même pas peur. À six mois des législatives de 2022, au téléphone comme sur le terrain, Candice Le Tourneur l’affirme : elle va se présenter à Marseille (Bouches-du-Rhône). À force de le répéter, elle va bien finir par convaincre autour d’elle… Et surtout, se convaincre elle-même. Ces derniers mois, la responsable associative de 35 ans a aiguisé ses armes et sa détermination en participant à Investies, un club d’entraînement à la politique.
Inspiré par les programmes américains d’entraînement à la chose politique tels que Justice Democrats ou She Should Run, ce cercle dans lequel on entre par bouche-à-oreille vise à se préparer aux échéances des législatives de 2022 entre femmes, avec des femmes. Le prérequis : venir de la société civile.
C’est parce qu’elle a cofondé le collectif citoyen Mad Mars en amont de l’élection municipale de 2020 que Candice Le Tourneur a été cooptée par Olivia Fortin, la maire adjointe de Marseille. « La force et l’intérêt d’Investies, c’est d’être une formation dont le programme est coconstruit en fonction de nos besoins, explique Candice Le Tourneur. Par exemple, je me posais beaucoup de questions sur la conciliation entre vie pro et vie perso. J’ai pu interroger sans tabou les femmes politiques qui intervenaient, mais aussi les autres femmes du programme. Ce coaching entre femmes était sain. »
Au rythme d’un rendez-vous par semaine pendant neuf mois, au fil des week-ends, masterclass et ateliers, des liens forts se créent entre les soixante femmes du cercle, issues de tous les horizons. Des intervenantes de renom se succèdent pour partager leur expérience et leur savoir-faire : « J’ai été marquée par Caroline de Haas [cofondatrice d’une agence de formation sur l’égalité hommes-femmes, ndlr], que je ne connaissais pas, relève Candice Le Tourneur, Julia Cagé [universitaire spécialisée dans l’économie des médias], que j’ai trouvée excellente, et Cécile Duflot [ex-élue et ministre écologiste, directrice d’Oxfam France], qui a été hyper franche. Elle ne nous a rien caché de ce que s’impliquer en politique signifie au quotidien avec quatre enfants. »
Ne plus subir les règles du jeu
À la manœuvre derrière Investies, on trouve entre autres l’enthousiaste et brillante Quitterie de Villepin (de la même famille que Dominique, mais sans autre lien), à la fois contributrice et participante du programme. La politique, elle connaît : elle a été notamment responsable de la campagne numérique du candidat à la présidence en 2007 François Bayrou, avant de quitter le Modem, dégoûtée par la politique politicienne.
Aujourd’hui, elle dresse un constat sans appel. « Je côtoie des profils extraordinaires depuis vingt ans, des femmes très au fait de la thématique qu’elles portent – migrants, LGBTQ, démocratie, inégalités – et très compétentes dans leur plaidoyer. Pourquoi ces femmes ne sont-elles pas en politique ? Parce qu’elles subissent des règles du jeu qui ont été construites sans elles dans les derniers siècles. On vient les chercher pour les afficher sur des listes, alors qu’elles ne connaissent pas les codes ni les règles du jeu. Elles ne sont pas en position de force, car elles arrivent à la dernière minute. Investies est né d’un double enjeu : faire émerger des talents féminins et leur permettre de porter une autre vision du pouvoir. »
Quitterie de Villepin a donc ouvert son vaste carnet d’adresses et convaincu les anciennes ministres Axelle Lemaire et Najat Vallaud-Belkacem de venir coacher les futures candidates. « Je leur ai dit : “La relève ne va pas venir si vous ne partagez pas votre vécu et si vous ne transmettez pas le flambeau.” Elles ont joué le jeu. Elles-mêmes auraient adoré suivre ce genre de formation à leur entrée en politique. » Le 10 octobre, Quitterie de Villepin a lancé sa propre campagne dans la deuxième circonscription de Paris. Une candidature hors parti, s’appliquant à elle-même les principes d’Investies. « Je ne pouvais pas dire aux filles : “N’ayez pas peur d’y aller”, et ne pas y aller ! »
Dans cet art du théâtre qu’est la joute électorale, il faut acquérir des réflexes et de la confiance en soi. Le normalien diplômé en sciences politiques Grégory Bozonnet a ainsi formé à la prise de parole en public, entre 2014 et 2017, chez Dalloz Formation, plusieurs centaines d’élu·es issu·es des municipales de 2014 (à la suite desquelles les conseils municipaux ont été fortement féminisés). Parmi ses stagiaires, 80 % de femmes, dont une part importante maire ou maire adjointe.
Rien d’étonnant pour l’ancien formateur, aujourd’hui directeur de cabinet du maire de Montpellier (Hérault). « Les personnes qui parlent le mieux en public sont celles qui s’y sont entraînées. Sur ce point, les hommes ont un avantage, car pour eux, c’est naturel. Mais pour les femmes, le réflexe est de se former. La plupart des femmes commencent leur prise de parole par une excuse, en se présentant d’office comme une mauvaise oratrice. Leur sentiment d’infériorité est fort et il faut d’abord les amener à déconstruire leur admiration pour les élus masculins. »
S’armer contre la violence en campagne
Lors de ses cours, Grégory Bozonnet leur a montré comment préparer une prise de parole, rédiger des fiches bristol, moduler sa voix, améliorer sa posture. Cette journée de formation peut être suivie d’un accompagnement sur mesure. Il se souvient d’une candidate dissidente à une élection municipale : « Après dix séances, le changement était visible. » Les élues se familiarisent avec les ficelles de la com en abrégeant leur discours, en le rendant percutant, en parlant aux gens d’eux-mêmes. De quoi combler un peu le fossé qui, sur la ligne de départ, les sépare des hommes. Un peu seulement. « On peut se former autant qu’on veut, la violence du monde politique envers les femmes sera toujours là. Quand un homme parle, on se tait. Quand une femme parle, on part au buffet », déplore Grégory Bozonnet.
Cette violence, la candidate à l’élection présidentielle de 2012 pour Europe Écologie-Les Verts, Eva Joly, l’a bien connue. Pour la dénigrer, certain·es ne retenaient de ses déclarations que son accent norvégien. Son responsable artistique numérique Elliot Lepers étend alors son domaine d’intervention : « Il y avait une nécessité de démontrer sa crédibilité, explique le trentenaire. On a utilisé ses lunettes rouges comme un symbole : on l’a détourné pour en faire un gimmick », ou un logo, dans des visuels de campagne.
Car avant même d’ouvrir la bouche, les femmes politiques sont jugées sur leur apparence. « Un biais de genre persiste : tout ce qui dépasse chez une femme devient un prétexte pour dire qu’elle n’est pas au niveau, analyse Elliot Lepers. Ne pas sourire, par exemple, est beaucoup moins accepté chez les femmes, parce qu’on va les trouver dures, cassantes. Le rôle du conseiller va être de gommer ce qui se voit. »
Les professionnelles de la politique n’hésitent pas à se faire coacher. Dans l’ombre d’Anne Hidalgo, la candidate socialiste à la prochaine présidentielle, ou de Ségolène Royal en 2007, on retrouve l’ancienne dirigeante d’agences de pub Natalie Rastoin. Discrète, celle-ci conseille beaucoup, mais parle peu aux médias. Comme le remarque Elliot Lepers, « qu’elles le veuillent ou non, les femmes sont conditionnées à recevoir des conseils, alors que c’est compliqué de faire bosser un homme sur son look ». Le candidat LREM Emmanuel Macron, novice des meetings, n’a recouru à un coach vocal (ex-chanteur d’opéra) qu’en urgence, alors qu’il avait déjà commencé sa campagne, fin 2016.