capture decran 2021 12 20 a 10.50.39
© Gros pour Causette

Derrière les femmes poli­tiques, les coachs

Elles sont nom­breuses à ne pas se lan­cer en poli­tique, faute d’en avoir les codes. Pour gagner en assu­rance, des femmes se tournent volon­tiers vers des for­ma­tions et du coa­ching. Un accom­pa­gne­ment dans l’ombre, pour mieux prendre la lumière.

Devenir dépu­tée ? Même pas peur. À six mois des légis­la­tives de 2022, au télé­phone comme sur le ter­rain, Candice Le Tourneur l’affirme : elle va se pré­sen­ter à Marseille (Bouches-​du-​Rhône). À force de le répé­ter, elle va bien finir par convaincre autour d’elle… Et sur­tout, se convaincre elle-​même. Ces der­niers mois, la res­pon­sable asso­cia­tive de 35 ans a aigui­sé ses armes et sa déter­mi­na­tion en par­ti­ci­pant à Investies, un club d’entraînement à la politique. 

Inspiré par les pro­grammes amé­ri­cains d’entraînement à la chose poli­tique tels que Justice Democrats ou She Should Run, ce cercle dans lequel on entre par bouche-​à-​oreille vise à se pré­pa­rer aux échéances des légis­la­tives de 2022 entre femmes, avec des femmes. Le pré­re­quis : venir de la socié­té civile. 

C’est parce qu’elle a cofon­dé le col­lec­tif citoyen Mad Mars en amont de l’élection muni­ci­pale de 2020 que Candice Le Tourneur a été coop­tée par Olivia Fortin, la maire adjointe de Marseille. « La force et ­l’intérêt d’Investies, c’est d’être une ­for­ma­tion dont le pro­gramme est cocons­truit en fonc­tion de nos besoins, explique Candice Le Tourneur. Par exemple, je me posais beau­coup de ques­tions sur la conci­lia­tion entre vie pro et vie per­so. J’ai pu inter­ro­ger sans tabou les femmes poli­tiques qui inter­ve­naient, mais aus­si les autres femmes du pro­gramme. Ce coa­ching entre femmes était sain. » 

Au rythme d’un rendez-​vous par semaine pen­dant neuf mois, au fil des week-​ends, mas­ter­class et ate­liers, des liens forts se créent entre les soixante femmes du cercle, issues de tous les hori­zons. Des inter­ve­nantes de renom se suc­cèdent pour par­ta­ger leur expé­rience et leur savoir-​faire : « J’ai été mar­quée par Caroline de Haas [cofon­da­trice d’une agence de for­ma­tion sur l’égalité hommes-​femmes, ndlr], que je ne connais­sais pas, relève Candice Le Tourneur, Julia Cagé [uni­ver­si­taire spé­cia­li­sée dans l’économie des médias], que j’ai trou­vée excel­lente, et Cécile Duflot [ex-​élue et ministre éco­lo­giste, direc­trice d’Oxfam France], qui a été hyper franche. Elle ne nous a rien caché de ce que s’impliquer en poli­tique signi­fie au quo­ti­dien avec quatre enfants. »

Capture d’écran 2021 12 20 à 10.50.55
© Gros pour Causette
Ne plus subir les règles du jeu

À la manœuvre der­rière Investies, on trouve entre autres l’enthousiaste et brillante Quitterie de Villepin (de la même famille que Dominique, mais sans autre lien), à la fois contri­bu­trice et par­ti­ci­pante du pro­gramme. La poli­tique, elle connaît : elle a été notam­ment res­pon­sable de la cam­pagne numé­rique du can­di­dat à la pré­si­dence en 2007 François Bayrou, avant de quit­ter le Modem, dégoû­tée par la poli­tique politicienne. 

Aujourd’hui, elle dresse un constat sans appel. « Je côtoie des pro­fils extra­or­di­naires depuis vingt ans, des femmes très au fait de la thé­ma­tique qu’elles portent – migrants, LGBTQ, démo­cra­tie, inéga­li­tés – et très com­pé­tentes dans leur plai­doyer. Pourquoi ces femmes ne sont-​elles pas en poli­tique ? Parce qu’elles subissent des règles du jeu qui ont été construites sans elles dans les der­niers siècles. On vient les cher­cher pour les affi­cher sur des listes, alors qu’elles ne connaissent pas les codes ni les règles du jeu. Elles ne sont pas en posi­tion de force, car elles arrivent à la der­nière minute. Investies est né d’un double enjeu : faire émer­ger des talents fémi­nins et leur per­mettre de por­ter une autre vision du pou­voir. » 

Quitterie de Villepin a donc ouvert son vaste car­net d’adresses et convain­cu les anciennes ministres Axelle Lemaire et Najat Vallaud-​Belkacem de venir coa­cher les futures can­di­dates. « Je leur ai dit : “La relève ne va pas venir si vous ne par­ta­gez pas votre vécu et si vous ne trans­met­tez pas le flam­beau.” Elles ont joué le jeu. Elles-​mêmes auraient ado­ré suivre ce genre de for­ma­tion à leur entrée en poli­tique. » Le 10 octobre, Quitterie de Villepin a lan­cé sa propre ­cam­pagne dans la deuxième cir­cons­crip­tion de Paris. Une can­di­da­ture hors par­ti, s’appliquant à elle-​même les prin­cipes d’Investies. « Je ne pou­vais pas dire aux filles : “N’ayez pas peur d’y aller”, et ne pas y aller ! »

Dans cet art du théâtre qu’est la joute élec­to­rale, il faut acqué­rir des réflexes et de la confiance en soi. Le nor­ma­lien diplô­mé en sciences poli­tiques Grégory Bozonnet a ain­si for­mé à la prise de parole en public, entre 2014 et 2017, chez Dalloz Formation, plu­sieurs cen­taines d’élu·es issu·es des muni­ci­pales de 2014 (à la suite des­quelles les conseils muni­ci­paux ont été for­te­ment fémi­ni­sés). Parmi ses sta­giaires, 80 % de femmes, dont une part impor­tante maire ou maire adjointe. 

Rien d’étonnant pour l’ancien for­ma­teur, aujourd’hui direc­teur de cabi­net du maire de Montpellier (Hérault). « Les per­sonnes qui parlent le mieux en public sont celles qui s’y sont entraî­nées. Sur ce point, les hommes ont un avan­tage, car pour eux, c’est natu­rel. Mais pour les femmes, le réflexe est de se for­mer. La plu­part des femmes com­mencent leur prise de parole par une excuse, en se pré­sen­tant d’office comme une mau­vaise ora­trice. Leur sen­ti­ment d’infériorité est fort et il faut d’abord les ame­ner à décons­truire leur admi­ra­tion pour les élus mas­cu­lins. » 

S’armer contre la vio­lence en campagne

Lors de ses cours, Grégory Bozonnet leur a mon­tré ­com­ment pré­pa­rer une prise de parole, rédi­ger des fiches bris­tol, modu­ler sa voix, amé­lio­rer sa pos­ture. Cette jour­née de for­ma­tion peut être sui­vie d’un accom­pa­gne­ment sur mesure. Il se sou­vient d’une can­di­date dis­si­dente à une élec­tion muni­ci­pale : « Après dix séances, le chan­ge­ment était visible. » Les élues se fami­lia­risent avec les ficelles de la com en abré­geant leur dis­cours, en le ren­dant per­cu­tant, en par­lant aux gens d’eux-mêmes. De quoi com­bler un peu le fos­sé qui, sur la ligne de départ, les sépare des hommes. Un peu seule­ment. « On peut se for­mer autant qu’on veut, la vio­lence du monde poli­tique envers les femmes sera tou­jours là. Quand un homme parle, on se tait. Quand une femme parle, on part au buf­fet », déplore Grégory Bozonnet.

Capture d’écran 2021 12 20 à 10.51.04
© Gros pour Causette

Cette vio­lence, la can­di­date à l’élection pré­si­den­tielle de 2012 pour Europe Écologie-​Les Verts, Eva Joly, l’a bien connue. Pour la déni­grer, certain·es ne rete­naient de ses décla­ra­tions que son accent nor­vé­gien. Son res­pon­sable artis­tique numé­rique Elliot Lepers étend alors son domaine d’intervention : « Il y avait une néces­si­té de démon­trer sa ­cré­di­bi­li­té, explique le tren­te­naire. On a uti­li­sé ses lunettes rouges comme un sym­bole : on l’a détour­né pour en faire un gim­mick », ou un logo, dans des visuels de campagne. 

Car avant même d’ouvrir la bouche, les femmes poli­tiques sont jugées sur leur appa­rence. « Un biais de genre per­siste : tout ce qui dépasse chez une femme devient un pré­texte pour dire qu’elle n’est pas au niveau, ana­lyse Elliot Lepers. Ne pas sou­rire, par exemple, est beau­coup moins accep­té chez les femmes, parce qu’on va les trou­ver dures, cas­santes. Le rôle du conseiller va être de gom­mer ce qui se voit. » 

Les pro­fes­sion­nelles de la poli­tique n’hésitent pas à se faire coa­cher. Dans l’ombre d’Anne Hidalgo, la can­di­date socia­liste à la pro­chaine pré­si­den­tielle, ou de Ségolène Royal en 2007, on retrouve l’ancienne diri­geante d’agences de pub Natalie Rastoin. Discrète, celle-​ci conseille beau­coup, mais parle peu aux médias. Comme le remarque Elliot Lepers, « qu’elles le veuillent ou non, les femmes sont condi­tion­nées à rece­voir des conseils, alors que c’est com­pli­qué de faire bos­ser un homme sur son look ». Le can­di­dat LREM Emmanuel Macron, novice des mee­tings, n’a recou­ru à un coach vocal (ex-​chanteur d’opéra) qu’en urgence, alors qu’il avait déjà com­men­cé sa cam­pagne, fin 2016.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.