Situé en plein centre-ville de Marseille, le « lieu de répit » est une alternative à l'hospitalisation psychiatrique, unique en France. Depuis fin 2016, il accueille des personnes en crise psychique qui refusent l'internement, sans présence de médecin, et sans obligation de prise de médicaments.
Il faut tendre l'oreille pour distinguer les propos de Valérie1, dont la voix fluette entrecoupée de rire nerveux peine à s'imposer. Depuis la salle commune du « lieu de répit », une alternative à l'enfermement psychiatrique installée à Marseille et soutenue notamment par l'agence régionale de santé, la quadragénaire se remémore ses séjours en hôpital psychiatrique. « Ils m'attachaient les mains et les pieds du matin au soir. C'était tellement serré… J'avais mal, je me plaignais, mais ils s'en foutaient. Et la nuit, ils me donnaient des médicaments pour m'endormir. »
Comme la majorité des pensionnaires de cette structure unique en France, Valérie souffre de schizophrénie et de bipolarité. « C'est mon médecin qui m'a parlé du lieu de répit », indique-t-elle, tassée dans son fauteuil. Les personnes accueillies sont orientées par le personnel de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM) quand elles ont besoin d’hospitalisation et de repos, à la suite d'une crise psychique, mais refusent l’internement. Elles peuvent aussi se présenter d'elles-mêmes. La différence avec l'hôpital ? Ici, pas de médecins, ni de médicaments obligatoires. Sept médiatrices et médiateurs se relayent le long de la semaine, et ont, pour formation, leurs expériences personnelles. Certain·es ont été amené·es à aider des proches souffrants de troubles psychiatriques sévères. D'autres ont personnellement vécu des hospitalisations en psychiatrie ou des crises psychiques.
![À Marseille, une alternative unique à l'hospitalisation psychiatrique 2 IMG 0028](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/01/IMG_0028-1024x768.jpg)
C'est le cas de Fred, trente ans, diagnostiqué schizo-affectif – un trouble à la frontière entre schizophrénie et bipolarité. « Je suis aussi là pour montrer que c'est possible d'aller mieux », explique celui à qui le lieu de répit offre un premier emploi. Comme ses collègues, il prône le « rétablissement ». Une approche thérapeutique dont le but n'est « pas de se conformer à la ''norme'' et faire disparaître les symptômes. Mais d'apprendre à mieux les connaître, et vivre avec. » Pour cela, il mène des entretiens hebdomadaires avec les pensionnaires afin d'évaluer leurs besoins et discuter de leurs ressentis.
« Ici, on ne me shoote pas avec les médicaments »
Le lieu est pensé « comme une grande colocation », s'amuse Fred. Chaque personne a sa propre chambre, sa propre clé et est libre d'aller et venir à l'intérieur comme à l'extérieur. Cette autonomie séduit Nathalie, qui depuis quinze jours reporte son départ. « Ici, j'ai mon propre espace et personne ne m'emmerde. On ne me prend pas de haut, on ne me néglige pas et on ne me shoote pas avec les médicaments. Je me gère seule. »
Dans sa chambre, en face d'un miroir sur lequel sont inscrits au marqueur les prénoms de ses deux filles, elle sort d'une pochette ses bilans hebdomadaires réalisés au lieu de répit. « C'est écrit là : j'ai beaucoup progressé depuis mon arrivée ici. J'ai peur du départ. » Du haut de ses 1 mètre 60, la quinquagénaire à la silhouette frêle a déjà vécu mille vies. Et avec elles, mille violences. Ses multiples hospitalisations pour tentatives de suicide et addictions à la drogue et à l'alcool sont reléguées au chapitre des anecdotes.
Au loin, aboiements et miaulements attirent jusqu'à la pièce commune. Cette grande salle, qui fait office de cuisine et de salle à manger, voit défiler différents visages. Certain·es se reposent, d'autres grignotent, et chien et chat se courent après. Les animaux de compagnies sont autorisés. « C'est ma déesse », s'émerveille Jennifer, que tout le monde surnomme « Jenny », en évoquant sa chatte Athéna.
De plus en plus de jeunes accueilli·es
Très extravertie et très coquette, elle soigne particulièrement son look, de son trait d'eye-liner à sa manucure fuchsia. Elle parle fort, rit aux éclats et écrit des poèmes sur l'amour et le désir charnel, lorsqu'elle ne promène pas son petit chat blanc dans sa laisse rose. Mais sa bonne humeur camoufle un passé traumatisant, qu'elle distille à coup d'anecdotes, comme lors d'une discussion autour d'un repas, où elle explique : « Moi, j'ai le vertige parce que quand j'étais petite, mon beau-père me suspendait par les pieds dans le vide depuis le balcon en me criant dessus », avant d'éclater de rire et de changer de sujet.
Jenny habite au lieu de répit depuis trois ans, et refuse de partir. « Elle fait partie des murs », commente Nora, l'une des intervenantes. Normalement, les séjours ne devraient pas dépasser les trois mois. La structure ne compte que huit places, et fait face à une demande croissante, avec, depuis le début de la crise sanitaire, de nouveaux profils. « On a de plus en plus de jeunes entre 18 ans et 30 ans, qui ont consommé plus de drogue qu'à leur habitude pendant le confinement. Conséquence, ça accentue des symptômes qui étaient déjà là », observe Nora. Autre évolution récente : « En une dizaine de jours, on a reçu deux migrants. C'est aussi une nouveauté. »
Depuis sa création fin 2016, le lieu de répit a accueilli près d'une centaine de personnes, venues par des biais différents. Mais dès février 2022, le processus d'accueil va changer. « Les futures personnes accueillies seront désormais tirées au sort. Elles devront accepter de répondre à un questionnaire sur leur expérience sur place », détaille Juliette Robert, psychologue sociale de la santé chargée de mener une évaluation pour l'APHM. L'objectif, pérenniser le lieu de répit marseillais et en créer dans d'autres villes en France.
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- Le prénom a été modifié[↩]