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La façade du lieu de répit à Marseille © Y.S.

À Marseille, une alter­na­tive unique à l'hospitalisation psychiatrique

Situé en plein centre-​ville de Marseille, le « lieu de répit » est une alter­na­tive à l'hospitalisation psy­chia­trique, unique en France. Depuis fin 2016, il accueille des per­sonnes en crise psy­chique qui refusent l'internement, sans pré­sence de méde­cin, et sans obli­ga­tion de prise de médicaments.

Il faut tendre l'oreille pour dis­tin­guer les pro­pos de Valérie1, dont la voix fluette entre­cou­pée de rire ner­veux peine à s'imposer. Depuis la salle com­mune du « lieu de répit », une alter­na­tive à l'enfermement psy­chia­trique ins­tal­lée à Marseille et sou­te­nue notam­ment par l'agence régio­nale de san­té, la qua­dra­gé­naire se remé­more ses séjours en hôpi­tal psy­chia­trique. « Ils m'attachaient les mains et les pieds du matin au soir. C'était tel­le­ment ser­ré… J'avais mal, je me plai­gnais, mais ils s'en fou­taient. Et la nuit, ils me don­naient des médi­ca­ments pour m'endormir. »

Comme la majo­ri­té des pen­sion­naires de cette struc­ture unique en France, Valérie souffre de schi­zo­phré­nie et de bipo­la­ri­té. « C'est mon méde­cin qui m'a par­lé du lieu de répit », indique-​t-​elle, tas­sée dans son fau­teuil. Les per­sonnes accueillies sont orien­tées par le per­son­nel de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM) quand elles ont besoin d’hospitalisation et de repos, à la suite d'une crise psy­chique, mais refusent l’internement. Elles peuvent aus­si se pré­sen­ter d'elles-mêmes. La dif­fé­rence avec l'hôpital ? Ici, pas de méde­cins, ni de médi­ca­ments obli­ga­toires. Sept média­trices et média­teurs se relayent le long de la semaine, et ont, pour for­ma­tion, leurs expé­riences per­son­nelles. Certain·es ont été amené·es à aider des proches souf­frants de troubles psy­chia­triques sévères. D'autres ont per­son­nel­le­ment vécu des hos­pi­ta­li­sa­tions en psy­chia­trie ou des crises psychiques.

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Dans le réfec­toire du lieu de répit © Y.S.

C'est le cas de Fred, trente ans, diag­nos­ti­qué schizo-​affectif – un trouble à la fron­tière entre schi­zo­phré­nie et bipo­la­ri­té. « Je suis aus­si là pour mon­trer que c'est pos­sible d'aller mieux », explique celui à qui le lieu de répit offre un pre­mier emploi. Comme ses col­lègues, il prône le « réta­blis­se­ment ». Une approche thé­ra­peu­tique dont le but n'est « pas de se confor­mer à la ''norme'' et faire dis­pa­raître les symp­tômes. Mais d'apprendre à mieux les connaître, et vivre avec. » Pour cela, il mène des entre­tiens heb­do­ma­daires avec les pen­sion­naires afin d'évaluer leurs besoins et dis­cu­ter de leurs ressentis.

« Ici, on ne me shoote pas avec les médicaments »

Le lieu est pen­sé « comme une grande colo­ca­tion », s'amuse Fred. Chaque per­sonne a sa propre chambre, sa propre clé et est libre d'aller et venir à l'intérieur comme à l'extérieur. Cette auto­no­mie séduit Nathalie, qui depuis quinze jours reporte son départ. « Ici, j'ai mon propre espace et per­sonne ne m'emmerde. On ne me prend pas de haut, on ne me néglige pas et on ne me shoote pas avec les médi­ca­ments. Je me gère seule. »

Dans sa chambre, en face d'un miroir sur lequel sont ins­crits au mar­queur les pré­noms de ses deux filles, elle sort d'une pochette ses bilans heb­do­ma­daires réa­li­sés au lieu de répit. « C'est écrit là : j'ai beau­coup pro­gres­sé depuis mon arri­vée ici. J'ai peur du départ. » Du haut de ses 1 mètre 60, la quin­qua­gé­naire à la sil­houette frêle a déjà vécu mille vies. Et avec elles, mille vio­lences. Ses mul­tiples hos­pi­ta­li­sa­tions pour ten­ta­tives de sui­cide et addic­tions à la drogue et à l'alcool sont relé­guées au cha­pitre des anecdotes.

Au loin, aboie­ments et miau­le­ments attirent jusqu'à la pièce com­mune. Cette grande salle, qui fait office de cui­sine et de salle à man­ger, voit défi­ler dif­fé­rents visages. Certain·es se reposent, d'autres gri­gnotent, et chien et chat se courent après. Les ani­maux de com­pa­gnies sont auto­ri­sés. « C'est ma déesse », s'émerveille Jennifer, que tout le monde sur­nomme « Jenny », en évo­quant sa chatte Athéna.

De plus en plus de jeunes accueilli·es

Très extra­ver­tie et très coquette, elle soigne par­ti­cu­liè­re­ment son look, de son trait d'eye-liner à sa manu­cure fuch­sia. Elle parle fort, rit aux éclats et écrit des poèmes sur l'amour et le désir char­nel, lorsqu'elle ne pro­mène pas son petit chat blanc dans sa laisse rose. Mais sa bonne humeur camoufle un pas­sé trau­ma­ti­sant, qu'elle dis­tille à coup d'anecdotes, comme lors d'une dis­cus­sion autour d'un repas, où elle explique : « Moi, j'ai le ver­tige parce que quand j'étais petite, mon beau-​père me sus­pen­dait par les pieds dans le vide depuis le bal­con en me criant des­sus », avant d'éclater de rire et de chan­ger de sujet.

Jenny habite au lieu de répit depuis trois ans, et refuse de par­tir. « Elle fait par­tie des murs », com­mente Nora, l'une des inter­ve­nantes. Normalement, les séjours ne devraient pas dépas­ser les trois mois. La struc­ture ne compte que huit places, et fait face à une demande crois­sante, avec, depuis le début de la crise sani­taire, de nou­veaux pro­fils. « On a de plus en plus de jeunes entre 18 ans et 30 ans, qui ont consom­mé plus de drogue qu'à leur habi­tude pen­dant le confi­ne­ment. Conséquence, ça accen­tue des symp­tômes qui étaient déjà là », observe Nora. Autre évo­lu­tion récente : « En une dizaine de jours, on a reçu deux migrants. C'est aus­si une nou­veau­té. »

Depuis sa créa­tion fin 2016, le lieu de répit a accueilli près d'une cen­taine de per­sonnes, venues par des biais dif­fé­rents. Mais dès février 2022, le pro­ces­sus d'accueil va chan­ger. « Les futures per­sonnes accueillies seront désor­mais tirées au sort. Elles devront accep­ter de répondre à un ques­tion­naire sur leur expé­rience sur place », détaille Juliette Robert, psy­cho­logue sociale de la san­té char­gée de mener une éva­lua­tion pour l'APHM. L'objectif, péren­ni­ser le lieu de répit mar­seillais et en créer dans d'autres villes en France.

Lire aus­si l Nicolas Rainteau, le schizofrère

  1. Le pré­nom a été modi­fié[]
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