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©Tania Franco Klein

Vaccin : piqûre d'angoisse

Chaque mois, Cathy Yerle nous parle des choses de la vie. 

"Les vac­cins et moi, on a tou­jours entre­te­nu une rela­tion ambi­guë. Quand j’étais enfant, celle qui me piquait, c’était ma mère, infir­mière de son beau métier. Les jours d’in­jection, j’étais tiraillée entre ma ­pho­bie des aiguilles et la douce ­pro­messe des mains mater­nelles tendres et fraîches sur mon front brûlant.

À mon tour deve­nue mère, mon his­toire avec la vac­ci­na­tion enta­ma un mau­vais tour­ment lorsque le fruit de mes entrailles, encore dou­lou­reuses, se fit ino­cu­ler dès la sor­tie de son pre­mier bain, et à l’insu de mon plein gré, une dose de vac­cin contre l’hépatite B par un doc­teur peu sou­cieux de la notion de consen­te­ment. À par­tir de là, je refu­sais pour Bébé tout ce qui n’était pas obli­ga­toire : rou­geole, rubéole, vari­celle, oreillons… 

Mais à 17 ans, il contrac­ta la rou­geole. Violente. 40 °C de fièvre et un joli doc­teur qui me regar­dait avec des yeux tout ronds quand je ten­tais de lui expli­quer que les vac­cins, j’étais contre. Et lui de m’informer que la rou­geole tue chaque année quelque 200 000 enfants dans le monde et que le risque de contrac­ter les oreillons à l’adolescence, c’est la stérilité. 

Pétrie de culpa­bi­li­té, je regar­dais mon grand rou­geaud bouillon­ner en me jurant de le trem­per, s’il en réchap­pait, dans un chau­dron de potion vac­ci­nale qui le pro­té­ge­rait lui et toute sa des­cen­dance pour les siècles à venir. 

Sauf que la grippe H1N1 est arri­vée du Mexique au galop, sui­vie de près par un vac­cin contro­ver­sé, ali­men­tant ma schi­zo­phré­nie vac­ci­nale et lais­sant au minis­tère de la Santé un trou bud­gé­taire pro­por­tion­nel à l’épaisseur du porte-​monnaie de quelques labo­ra­toires très gour­mands. Et puis l’an der­nier, le Covid, grand accé­lé­ra­teur de yoyo émo­tion­nel, est entré dans nos vies.

Le matin, je suis plu­tôt anti­vax. Et puis au fur et à mesure de la jour­née et de son flot conti­nu de nou­velles anxio­gènes, je ter­gi­verse. Quand arrive l’heure de l’apéro, je suis prête à ava­ler des litres d’ARN à la paille. La nuit, j’épluche des courbes et des pou­centages, je suis experte en para­ly­sie faciale, throm­boses et œdèmes. Et le matin, etc.

Sur ce, ma mère m’a deman­dé de l’accompagner pour se faire vac­ci­ner. Les rôles s’inversent enfin, à moi de lui tenir la main et de la rassurer. 

Aujourd’hui, nous sommes donc arri­vées à la foire-​expo­sition, où se déroule chaque année le Salon de l’agriculture. Dans un box aux rideaux blancs, un mon­sieur aux che­veux de neige nous atten­dait. Ma mère l’a aus­si­tôt recon­nu : notre ancien vété­ri­naire désor­mais à la retraite. Celui-​là même qui a eutha­na­sié Médor. 

Toute joyeuse, elle a lan­cé d’un ton moqueur : « Alors, on pique tou­jours les vieux bes­tiaux ? » Complices, ils ont bien ri. Pas moi. J’ai pré­fé­ré me concen­trer cou­ra­geu­se­ment sur l’aiguille qui s’enfonçait dans la chair mater­nelle, prête à por­ter secours. Et puis j’ai pen­sé à Médor et la lumière s’est éteinte. 

Je suis reve­nue à moi sur une chaise, la douce main apai­sante de ma mère me cares­sait le front et le vieux vété­ri­naire me scru­tait, la seringue mena­çante tou­jours au bout des doigts. Alors j’ai aboyé bien fort et je me suis enfuie. En oubliant Maman."

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