Pour les dix ans de Causette, Nicole Ferroni a accepté de nous écrire depuis le turfu, tel qu’elle l’imagine. Bienvenue en 2029.
Chère Causette,
J’ai bien reçu ta proposition de lettre du futur, mais je n’ai pas bien compris le sujet que tu souhaitais que j’aborde… ce que tu appelles « Éducation nationale » ? Je suppose qu’il s’agit de ce qu’on appelle désormais « l’Éducationale » ?
En effet, je ne sais pas si tu avais eu vent de ce changement, mais suite aux grands mouvements de suppressions de postes d’enseignants, le gouvernement en place (en 2023 ou 2024 ?) avait décidé de donner un nom plus en cohérence avec la dynamique de ce ministère. La fameuse campagne dont le slogan était (de mémoire) : « De l’Éducation nationale à l’Éducationale : moins de professeurs, moins de lettres… mais toujours une même exigence ! ».
Ce qui tombait plutôt bien, puisque l’éducation a effectivement définitivement cessé d’être nationale en 2026 : l’enseignement n’est désormais assuré que par des structures privées (et quand je dis « privées », je parle y compris privées d’élèves, puisque dorénavant tout se fait en ligne… ce qui diminue considérablement le coût lié à l’accueil des élèves depuis qu’on n’en accueille plus aucun). Concernant l’exigence, c’est vrai qu’elle a plutôt été croissante pour les enseignants : par exemple, il leur a été assez difficile d’accepter l’idée de travailler bénévolement, mais je crois que comme les infirmières et les pompiers, ils s’y sont désormais habitués depuis que l’État leur fournit gracieusement des rations de plats en poudre, qu’ils peuvent consommer à volonté sur leur lieu de travail.Évidemment, concernant le contenu pédagogique que l’on enseigne aux élèves, j’aimerais beaucoup te renseigner, mais il est désormais lui aussi protégé par le « Secret des affaires », ce qui empêche toute forme de suivi extérieur.
En fait, de nos jours, il est assez difficile de savoir qui enseigne quoi, car chaque entreprise anime « son » école en vue de former « ses » élèves à « sa » pratique professionnelle, et ce dès l’âge de 6 ans. Et c’est pour préserver ce monopole du savoir que la loi « Stratégie École : apprendre ou à laisser », promulguée en 2018, a interdit à tout frère et sœur de se prêter un cahier de coloriage, une tablette ou tout autre support qui pourrait avoir une valeur informative et transmissive, dès lors que les deux enfants ne sont pas dans le même établissement : nos entreprises ne peuvent pas se permettre de laisser circuler bêtement des informations… D’ailleurs, si tu le permets, je vais te laisser, car j’ai bien peur que le fait de participer à la circulation d’informations, de surcroît dans un espace-temps différent du nôtre, puisse être sanctionné par mon employeur. Mais je pense parfois à toi, et à ce support fou et doux sur lequel je t’ai connu et qui me manque tellement : le papier !
Bises, Nicole F.
Nicole Ferroni est humoriste et chroniqueuse radio. Le Billet de Nicole Ferroni est à retrouver tous les mercredis à 8 h 55 sur France Inter.