Les mains dans la vulve

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives.

Marta Blue Cream A
© Marta Blue

Forcément, quand j’ai reçu l’invitation de la média­thèque de Neuville-​sur-​Saône, dans le Rhône, pour une soi­rée d’échanges sur la sexua­li­té et les ados, en pleine semaine de pro­mo du beau­jo­lais nou­veau, j’ai pré­su­mé que ma petite virée au pays de Guignol aurait peut-​être un goût de banane. D’ailleurs, j’ai eu une pen­sée pour cette scène de la série Sex Education dans laquelle Eric se mue en prof de fel­la­tion pour don­ner un cours col­lec­tif aux filles du lycée en les invi­tant à sucer gou­lû­ment ce fruit, le plus phal­lique du ver­ger. J’ai évo­qué, en apar­té, cet épi­sode auprès de parents d’ados venus assis­ter à cet échange : ce cours-​là, dis­pen­sé par Netflix, leur pro­gé­ni­ture ne l’avait pas séché et il s’est avé­ré bien plus assi­mi­lé que celui sur les probabilités !

Le len­de­main de cette soi­rée, qui s’était ter­mi­née sur des échanges de pra­tiques entre professionnel·les de la pré­ven­tion, sou­vent isolé·es sur leur ter­ri­toire res­pec­tif, il était pré­vu que j’anime une séance d’information non mixte avec les jeunes de l’Espace Jeunesse. Le rendez-​vous était fixé dans un appar­te­ment muni­ci­pal, par­fai­te­ment amé­na­gé pour rece­voir des groupes. À l’heure dite, un ani­ma­teur est arri­vé avec huit gar­çons de 14 ans. 

Installés autour d’une table ronde, on pou­vait tous se regar­der les yeux dans les yeux, sans tri­cher. L’éducateur et l’animateur sont res­tés en retrait pour libé­rer la parole tout en gar­dant un œil bien­veillant sur le groupe. La pré­sence d’adultes réfé­rents – sur­tout celles et ceux qui côtoient les jeunes toute l’année – lors de mes ani­ma­tions est plus que sou­hai­table. Ce qui est échan­gé sur un sujet aus­si intime que la sexua­li­té réclame un temps d’assimilation afin d’être repris par la suite et décons­truit. Faire émer­ger la parole juste pour « faire par­ler » des gamins qui n’ont rien deman­dé, ça ne m’intéresse pas. On ne va tout de même pas sor­tir la gégène et les injec­tions de Pentothal pour jus­ti­fier nos actions auprès de l’ARS (Agence régio­nale de san­té). Pour être effi­cace, la pré­ven­tion doit se faire sur la durée et se répé­ter à l’envi. 

Comme sou­vent, le débat sur le consen­te­ment a été vif, les jeunes n’étant pas tous d’accord sur le niveau de pres­sion accep­table pour obte­nir l’accord de son ou de sa par­te­naire. La science du for­ceur à faire céder l’autre n’étant pas exacte, cha­cun y est allé de sa capa­ci­té à jouer les com­mer­ciaux de l’ego, éta­lant ses tech­niques de vente du rap­port sexuel, le pied dans la porte, à l’ancienne. Là où, fut un temps, on mari­vau­dait, puis bara­ti­nait, aujourd’hui, on fait plu­tôt le « cha­ro* ». Comme je les ques­tion­nais pour savoir s’il pou­vait y avoir du plai­sir sous la pres­sion et le chan­tage, ils n’étaient plus aus­si cer­tains de leur fait. Mais que connaissaient-​ils réel­le­ment du plai­sir fémi­nin hors péné­tra­tion ? Visiblement, ils butaient un peu sur l’anatomie, confon­dant vagin et vulve. J’ai alors extrait de mon sac une vulve mou­lée dans du sili­cone avec un cli­to­ris esca­mo­table, gland et bulbes ves­ti­bu­laires com­pris. La bande a hur­lé comme un seul homme, aus­si exci­tée qu’une tri­bune d’ultras au coup de sif­flet final de la Coupe du monde de 2018. Intelligemment, l’éduc a lais­sé faire, parce qu’on savait tous qu’il fal­lait en pas­ser par là. Ils ont vou­lu la pal­per et avaient bien du mal à com­prendre com­ment était fichu le cli­to­ris, visible grâce à la trans­pa­rence du sili­cone. La vulve est pas­sée de main en main et tous ont bran­lé les lèvres, jau­geant au pas­sage leurs connais­sances en la matière. C’était la pre­mière fois que, en petit comi­té, je tes­tais l’outil en le fai­sant cir­cu­ler. Les gestes étaient gauches, un peu bru­taux, mais cet acte cathar­tique a eu le mérite de les calmer. 

Comme ils se deman­daient com­ment j’avais obte­nu cet obs­cur objet du désir, je leur ai expli­qué qu’une asso­cia­tion de pré­ven­tion cana­dienne, Sex-​Ed+, me l’avait gra­cieu­se­ment envoyé. 

Biberonnés au por­no sur Brazzers, la nou­velle pla­te­forme en vogue qui squatte les sites de strea­ming, ils dou­taient de la forme des lèvres de ma vulve en sili­cone, loin des sté­réo­types fil­més. Je leur ai assu­ré que le mou­lage avait été fait sur une vraie vulve.

J'ai invi­té les jeunes à par­ta­ger ce qu’ils avaient envie de rete­nir de cette séance. À ma grande sur­prise, ils n’ont pas évo­qué la vulve sili­co­née, mais le consentement.

« Quoi ? La meuf vous envoie un moule de sa teu­cha ? Et votre femme n’a rien dit ?! » Celui qui avait décré­té que j’étais donc hété­ro et marié s’est mis à reni­fler le moule à la recherche d’un reste de fra­grance de cyprine, pro­vo­quant l’hilarité de ses potes. Forcément, il a aus­si fait sem­blant de le lécher, tout en y four­rant son nez. Il y avait un petit côté bull­dog anglais dans sa façon de cun­ni­lin­guer qui ne fai­sait pas vrai­ment rêver. Comme il se plai­gnait que « ça ne sen­tait pas la chatte », j’ai embrayé sur les odeurs cor­po­relles et l’hygiène per­son­nelle. Excitantes ou incom­mo­dantes, les odeurs jouent un rôle essen­tiel dans la rela­tion à l’autre. Malheureusement, dans notre socié­té très asep­ti­sée, on tend à les mas­quer tout en codi­fiant le corps et la beau­té. L’un d’eux m’a cité l’exemple des poils qu’il conve­nait de raser. En deux heures, les jeunes avaient tout don­né, et comme les odeurs ne les fai­saient pas trop kif­fer, je les ai invi­tés à par­ta­ger ce qu’ils avaient envie de rete­nir de cette séance. À ma grande sur­prise, ils n’ont pas évo­qué la vulve sili­co­née, mais le consen­te­ment. Même le plus cha­ro d’entre eux, for­çant jusqu’à sa pos­ture, a tenu à ajou­ter qu’on ne devrait pas obte­nir une rela­tion en insis­tant. Cette belle conclu­sion m’a redon­né la banane, jusqu’au moment où je les ai vus, dehors, se faire ques­tion­ner par des poli­ciers en voi­ture, qui devaient les trou­ver trop exci­tés, pré­ser­va­tifs à la main. J’ai salué le tra­vail de l’équipe édu­ca­tive qui avait réus­si à moti­ver huit jeunes à venir échan­ger autour d’une table plu­tôt que de taper un foot. Le geek qui me main­tient que c’est l’intelligence arti­fi­cielle qui va sau­ver l’humanité, je lui glisse une peau de banane sous le pied. 

* Charo : dimi­nu­tif de cha­ro­gnard. Coureur de jupons et bara­ti­neur invétéré.

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