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“La fringue éthique est un pri­vi­lège de per­sonne mince” : péna­li­ser Shein, c'est oublier que cela péna­lise les per­sonnes grosses

Mi-mars, l’Assemblée nationale adoptait une proposition de loi pénalisant l’ultra fast-fashion. Si on se réjouit d’une première étape vers une mode plus éthique, elle laisse de côté les personnes grosses, pour qui Shein and co restent souvent le seul moyen de s’acheter des vêtements à sa taille sans se ruiner. 

Comment s’habiller lorsqu’on fait une taille 52, 54 ou plus, qu’on a une conscience écologique mais pas le pouvoir d’achat de Jeff Bezos ? La question semble épineuse tant, pour de nombreuses personnes grosses, s’habiller de manière éthique et sans se ruiner semble antinomique. D’autant plus lorsqu’elles se retrouvent en situation de précarité. Pour elles, consommer de l’ultra fast-fashion ne relève souvent pas du choix, mais de la nécessité. 

Oui, mais voilà que l’ultra fast-fashion se retrouve aujourd’hui dans le viseur d’une proposition de loi siglée Horizons (l’une des trois composantes de la majorité présidentielle). La marque chinoise Shein en première ligne. Adoptée le 14 mars à l’unanimité par l’Assemblée nationale, la loi prévoit l’interdiction de la publicité pour ces entreprises ainsi que la création d’un “malus” environnemental pour toute pièce achetée sur des sites mettant en ligne plus de mille modèles différents par jour. Une manière de responsabiliser les consommateur·rices et de rendre la fast-fashion moins attractive. 

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La loi, qui doit encore être examinée par le Sénat, ferait ainsi de la France le premier pays au monde à légiférer pour limiter les dérives de l’ultra fast-fashion. Une très bonne nouvelle quand on sait que l’industrie textile est responsable de près de 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Et qu’au-delà d’apporter sa pierre au désastre environnemental, la fast fashion viole pléthore de droits humains. Prenons la marque Shein par exemple. C’est en moyenne plus de 7 200 nouveaux modèles de vêtements par jour et au total plus de 470 000 produits différents à très bas prix fabriqués à l’autre bout du monde dans des conditions particulièrement effroyables – la marque est accusée d’exploiter des Ouïghour·es. Chez Shein, le renouvellement des vêtements quasi permanent, leur composition douteuse, leur prix peu coûteux et leur condition de fabrication symbolisent le consumérisme à son paroxysme.

Mais s’il faut bien entendu se réjouir que cette proposition soit une première et nouvelle étape vers une mode plus éthique et durable, un détail nous chagrine quelque peu. Cette proposition ne semble pas se diriger vers une mode plus égalitaire pour autant. Car, pardon de casser l’ambiance, mais pénaliser l’ultra fast-fashion c’est culpabiliser et pénaliser aussi les personnes qui en consomment par nécessité, les personnes grosses notamment. Et nous ne sommes visiblement pas les seules à le penser. “Pénaliser la fast-fashion (à juste titre) mais sans alternative pour les personnes grosses participe de leur discrimination”, tweetait ainsi l'autrice, compositrice, interprète et militante féministe, Mathilde, à la veille du vote à l’Assemblée nationale.

“Quand on achète sur ces sites-là [de fast fashion, ndlr], on sait ce qu’on fait et on contribue à une pollution massive de notre environnement”, affirmait la députée Horizons à l’origine de la proposition de loi, Anne-Cécile Violland, au micro de France 2 début mars. La députée oublie au passage que pour les femmes faisant plus qu’une taille 46 par exemple, Shein n’est pas un choix et reste le seul moyen de ne pas sortir à poil dans la rue. Et que la majorité d’entre elles, bien conscientes de l’impact environnemental et des conditions de travail de ces marques, aimeraient sûrement avoir une alternative. 

Devoir s’habiller sur Internet

Car, en réalité, rien ne semble être fait pour leur permettre de s’habiller ailleurs. Au contraire. Les rayons dits “grandes tailles”, c’est-à-dire allant au-delà du 46, ont disparu ces dernières années de la plupart des magasins standards (comme Mango ou C&A, pas méga éthiques par ailleurs), obligeant donc certaines femmes à devoir acheter leurs fringues sur Internet, en les faisant disparaître de l’espace public au passage. Consacrer des rayons spécifiques aux grandes tailles peut certes être perçu comme stigmatisant pour les personnes concernées, mais c’est toujours moins invisibilisant que de ne jamais pouvoir essayer les vêtements que l’on souhaite acheter. Reste Gemo ou Kiabi, mais les deux entreprises françaises s’arrêtent au 54. Au-delà, il faut se tourner vers des marques spécialisées dont les modèles ne collent pas vraiment à l’air du temps. Raison pour laquelle elles sont nombreuses à se tourner alors vers Shein, l’une des rares marques à aller jusqu’à la taille 68.

Peu de chiffres existent sur le nombre de personnes concernées. La dernière campagne nationale de mensuration réalisée par l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH) date de 2006 et établissait que la taille 40 était la taille commerciale la plus observée chez les femmes (20,6 %) suivi de la taille 42 (16,6 %). Des chiffres qui ne sont certainement plus à jour, 43,7 % des Français·es étant aujourd’hui “en surpoids ou en situation d’obésité” selon la dernière étude réalisée par l’Inserm en 2023. Selon une enquête réalisée en 2018 par le magazine Ma grande taille sur près de 4 900 femmes, 65 % des femmes faisant du 58 et plus s’habillaient sur Internet contre 33,5 % celles faisant du 38-40. 

Et pour les personnes grosses, se poser des questions d’éthique reste encore un privilège. Il faut bien souvent débourser une centaine d’euros pour un vêtement fabriqué dans de bonnes conditions en France ou en Europe. Ce qui n’est évidemment pas donné à toutes les bourses et ne laisse que peu de place à l’imprévu et à l'urgence. Pour une jupe chez Make my lemonade, par exemple, marque française qui fait fabriquer ses vêtements en Europe, il faut compter 145 euros et les tailles disponibles ne vont pas au-delà du 52. En réalité, rares sont les marques éthiques à produire une “vraie inclusivité” à prix accessible. Et elles sont souvent encore confidentielles – à l’instar de Big Fab Fashion, dont nous avions rencontré la créatrice en août 2022.

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Il faut bien souvent choisir entre son argent et ses valeurs, pointe Mathilde auprès de Causette. La fringue éthique est un privilège de personne mince et le problème de cette loi, c’est qu’elle renforce ce privilège.” Alors oui, il existe bien la seconde main. Vinted notamment. “Mais ce sont bien souvent des fringues de fast-fashion, pointe l'artiste féministe. Donc des fringues qui de toute façon ne seront pas très durables.” Et les friperies ? “Quand j’y vais, j’ai des flash-back de cours de sports au collège où il fallait choisir des maillots et où je me retrouvais toujours avec les plus déglingués parce que c’étaient les seuls à ma taille”, déplore-t-elle. 

Mathilde, elle aussi, a été confrontée au terrible dilemme de devoir s’habiller tout en respectant les droits humains et la planète. Car l’artiste et militante féministe est aussi une écolo convaincue. Du genre à faire son propre savon ménager par exemple. Devant l’offre inexistante en matière de mode inclusive, éthique et accessible, elle a aussi dû apprendre à coudre ses propres fringues. “Je fais une taille 54-56 et j’ai appris à coudre parce que je ne voulais plus justement m’habiller en fast-fashion”, explique-t-elle. Mais utiliser machine à coudre implique d’avoir du temps… et de l’argent. “Pour confectionner une robe, par exemple, quand ma meilleure amie qui fait un 34 va avoir besoin d’un coupon de tissus de 2 mètres qui va lui coûter 20 euros, moi, je vais avoir besoin de 4,50 m pour la même robe ”, précise-t-elle.

Financer l’inclusivité 

Que faut-il faire alors pour espérer tendre enfin vers une mode éthique qui ne pénaliserait pas une partie de la population en cours de route ? Pour Mathilde, la proposition de loi manque d’un vrai intérêt pour les subventions accordées aux entreprises françaises ou européennes qui voudraient faire de la mode éthique ET inclusive. “C’est un cercle vertueux : plus ces entreprises seront inclusives, plus elles seront financées et dans cette logique, elles voudront être plus inclusives.” Et si on obligeait les entreprises textiles françaises et européennes à faire des grandes tailles et ce dans les mêmes quantités que celles dites "standards" ? “On nous sortirait l’argument capitaliste que ça ne rapportera pas, car il n’y a pas assez de demandes après la taille 46, mais aujourd’hui, de plus en plus de femmes font du 44 et plus, pointe Mathilde. Pour moi, c’est surtout une grossophobie sociétale : c’est encore la honte d’habiller les gros.”

Le chemin semble encore long donc. Mais en attendant une éventuelle loi garantissant cette fois éthique et inclusivité, les personnes grosses doivent bien continuer à s’habiller. Et ce, sans culpabiliser. “C’est interdit de se déplacer nu dehors, lance Mathilde. Alors, à partir de là, laissez-nous acheter des vêtements où l’on peut.” On n’aurait pas mieux dit.

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