Depuis que ma fille se fait des tresses et ne jure plus que par Greta (Thunberg), dont elle apprend les discours par cœur pour nous les ressasser de sa petite voix aiguë, j’ai décidé de faire ma transition écologique : fini le plastique, à bas les légumes hybrides aux pesticides, les plats tout préparés, haro sur le cadavre animal et la voiture, au garage !
Ce matin, après une douche au savon de Marseille et au shampoing solide fait maison, qui me laissent la peau et le poil rêches, mais sains, j’enfourche mon vélo pour rejoindre mon boulot, heureuse de participer à la sauvegarde de la planète. Dans la première côte, le cœur au bord de l’explosion et le mollet qui tiraille, le deux-roues déraille. Pas grave, je le retourne, attrape la chaîne à pleines mains, me coince un peu de peau dans un maillon et puis, hourra, je remonte sur la bête, les paluches noires de cambouis. Et le jean deuxième main aussi.
Mais ce n’est pas un peu de graisse qui va entamer ma résolution. Je poursuis donc ma révolution à grands coups de pédales, essayant de rattraper le temps perdu et je m’arrête à la boutique bio pas loin du boulot pour acheter de quoi combler ma Gretounette. J’ai dans mon tote bag en coton quelques sacs en papier. Je choisis en courant un chou-fleur, des patates, de la crème fermière, tout ça au prix d’un Smic horaire. Et puis je cavale vers le vrac. Je suis toujours dans les temps. Mais là, ça se complique, j’ai pas vraiment le coup de main avec la manette qui fait dégringoler les graines dans le sac. Le mien déborde et explose littéralement sous le jet de lentilles qui se répand dans l’allée du magasin. Je m’accroupis prestement et, à l’aide de mes pattes avant graisseuses, je remets les lentilles et des poussières dans un autre sac que j’ai très envie de refourguer dans le distributeur transparent, mais la dame de la caisse me regarde. Je ne me risque pas au quinoa, de toute façon, avec le chou-fleur et les lentilles, j’ai déjà dépassé le taux acceptable des émissions carbone de la famille. Je me rue vers la caisse où je fais la queue derrière deux tortues chargées de laitues. Quand arrive enfin mon tour, j’ai dix minutes dans la vue, j’ai oublié le tea tree pour l’acné de fiston, le bicarbonate et le vinaigre blanc pour fabriquer mes produits ménagers et l’huile essentielle de géraniol pour tuer les puces du chat sans déclencher une guerre chimique.
C’est quand la caissière m’a dit d’aller peser mes légumes au fond du magasin que j’ai élevé la voix, laissant échapper un peu de mon échauffement climatique intérieur. Du coup, elle a menacé d’appeler la sécurité et, à mon tour, j’ai déraillé.
J’ai tout déballé en reniflant, mes soucis à propos de Greta, des enfants, de leur avenir, de la planète qui meurt, de ma charge mentale qui explose et de ma transition que j’allais devoir remettre à demain parce que j’étais vraiment trop à la bourre, désolée !
Après, je me suis enfuie, le cœur au bord des lèvres, plantant là graines et légumes pour enfourcher mon vélo et arriver au boulot, en retard, bredouille et complètement en vrac.