Hier, Israël Nisand était l’invité de la matinale sur Inter pour parler d’éducation à la sexualité. Le Dr Kpote, qui pratique cette activité depuis des années, a cru s’étrangler à deux, trois reprises.
Hier, Israël Nisand était l’invité de la matinale sur Inter pour parler d’éducation à la sexualité. Et, honnêtement, j’ai eu du mal à avaler mon café. D’entrée, l’ambiance était à l’admiration dénuée d’esprit critique plutôt qu’à l’interview journalistique, quand Demorand a étalé le CV long comme le bras de l’éminent professeur, puis a ajouté dans la foulée : “Pourquoi, vous, Monsieur le professeur de gynécologie obstétrique à l’université de Strasbourg, avez-vous estimé que c’était de votre devoir de faire ce travail devant les ados ?” C’est vrai qu’a posteriori on se le demande bien.
Israël Nisand a tenu quand même à rendre hommage à la troupe, celles et ceux qui sont en première ligne au quotidien, les infirmières et les profs qui, je cite, “pallient au manque [sic] et c’est déjà pas si mal”. Pas trop appuyé l’hommage, faudrait pas non plus que ça fasse de l’ombre.
Rappelons au passage que la loi de 2001 ne prévoit pas “trois heures depuis le CP” comme le dit le professeur, mais trois séances par an depuis le primaire. Puisqu’il se targue de vouloir “lutter contre les fake news”, faudrait pas en donner des tronquées.
À propos de ces trois séances justement : “Ça fait des années que JE demande l’application de la loi”, assure-t-il, sans un mot pour la plainte contre l’État portée, il y a un an, par Sidaction, le Planning familial et SOS Homophobie à ce sujet. Je tenais à rassurer M. Nisand : vous n’êtes plus seul !
Darmanin a dû exulter…
Côté tambouille éducative, Israël Nisand ouvre rapidement le volet “panique morale n° 1”, en évoquant, et ce à l’heure du petit déjeuner, des “fellations collectives dans les toilettes” par des gamins qui n’auraient pas reçu d’éducation à la morale par leurs parents. Il martèle que ce n’est “pas rattrapable”. J’ai imaginé Darmanin avoir un second morning glory devant son bol de céréales, à l’écoute de cette affirmation, lui qui rêve de faire sauter les allocs à tous ces parents déficients qui ont oublié de faire la morale à leur progéniture.
Mais le festival a continué avec l’allusion aux questions anonymes des jeunes posées pendant les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle qu’il animait, dont celle-ci : “J’ai 13 ans. Mon grand frère a 17 ans. Il vient dans ma chambre le soir, lèche mon sexe, essaye de me pénétrer. Comme ça me fait mal et que ça fait du bruit, il s’en va pour ne pas réveiller les parents. Aidez-moi !” Israël Nisand raconte à l’antenne n’avoir pas lu cette question pendant la séance, mais demandé à la jeune, venue lui réclamer des comptes à la fin, son numéro de téléphone. Au retour des vacances familiales, plusieurs jours après, il a appelé les parents qui n’ont pas souhaité aborder le sujet avec lui. On les comprend, vu la gravité des faits soulevés par un “illustre” inconnu au téléphone ! Il les “menace de les signaler au procureur de la République”, mais, rassurez-vous, braves gens, tout est bien qui finit bien dans la vie merveilleuse d’Israël Nisand qui a réussi le tour de force d’envoyer toute la famille en soins psy sans passer par la case signalement. Après tout, nous dit-il, “il n’y avait pas encore eu viol ou tout juste”… Avec ma compagne, qui bosse dans la protection de l’enfance, on s’est regardé·es, atterré·es. Qu’on soit bien d’accord, la notion de “viol tout juste” n’existe nulle part. Nisand termine par : “J’ai décidé de suivre moi-même cette affaire-là, afin d’assurer la protection de la gamine tout en évitant une catastrophe familiale.”
“Petit arrangement”
Une travailleuse sociale a logiquement appelé dans la foulée, car elle s’interrogeait sur le traitement de cette affaire par le professeur, faisant fi des lois et de toutes les institutions, dont celle où il intervenait ! Elle dénonce au téléphone, à juste titre, le “petit arrangement” entre Nisand et les parents pour mettre en place un suivi psy familial, hors de tout cadre légal. Fort de sa toute-puissance, il est allé au-delà des procédures (information préoccupante, signalement au sein de l’institution, appel au proc). Le pire est qu’en attendant la fin des vacances, il a renvoyé la jeune fille face à son bourreau, négligeant la notion d’enfant en danger immédiat avec l’agresseur au domicile ! Il assure avoir pris ses responsabilités, “celles qui sont réservées aux médecins et pas aux travailleurs sociaux”. Le mépris de classe, de statut, est tellement évident que j’attends une réaction du duo de journalistes. Silence radio.
Je passe sur le volet “porno” et la seconde couche de panique morale. Sur ce sujet, il ne dit pas que des inepties, mais je vous conseille plutôt de lire l’excellent travail des sociologues Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux sur le site de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) “Construire et partager sa sexualité en ligne. Usages d’Internet dans la socialisation à la sexualité à l’adolescence”, beaucoup plus nuancé sur le sujet, mais moins vendeur dès potron-minet à la radio.
Dans la foulée, Nisand critique ouvertement le Planning familial et Aides sur leur façon d’intervenir en classe, s’appuyant sur sa propre représentation très datée de leurs contenus, qui seraient uniquement hygiénistes (IST et contraception), là où lui seul évoquerait plaisir et amour. L’interassociatif et le respect des camarades de lutte, c’est pas vraiment son truc. À l’heure où on a besoin de tous et toutes et surtout d’avancer soudé·es, c’est pas très malin de tirer la couverture à soi. “Stop aux #fakenews Israel Nisand ! Le Planning familial défend une approche globale et positive de l’éducation à la #sexualité, basée sur la libération de la parole, qui permet de lever les tabous dès le plus jeune âge, de déconstruire les idées reçues sur les questions relatives à la sexualité et l’anatomie et favoriser les échanges entre pairs”, a immédiatement réagi le Planning sur Twitter.
On dirait du Zemmour…
Il nous reste le bouquet final, soit la panique morale n° 3, avec le volet transidentités. D’après le professeur, les jeunes préféreraient aujourd’hui se dire “trans plutôt qu’homosexuels” à cause de l’homophobie ! L’influence des “transactivistes” sur les jeunes serait forte avec des “intoxications” du type “si tu ne vas pas bien, c’est que tu n’es pas dans le bon corps”. Je vois déjà SOS éducation et les parents vigilants de Zemmour se frotter les mains. Tous ses éléments de langage sont empruntés à l’extrême droite, et c’est très inquiétant.
En tant qu’animateur·rices de prévention, nous nous devons d’aborder toutes les identités et orientations, d’accueillir le sentiment intime des personnes quant à leur identité, de nous assurer que les concerné·es évoluent dans un environnement safe et non discriminant. Rien ne nous oblige à donner notre avis sur les bloqueurs de puberté et les transitions ! Quand on ne sait pas, quand on n’est pas sûr·es, on invite les jeunes à se tourner vers les associations de concerné·es ou les centres de santé sexuelle basés sur la non-discrimination et l’acceptation des modes de vie sexuelle de chacun·e (le 190 à Paris par exemple).
Pour conclure, le professeur nous savonne la planche à un moment où l’éduc sex est attaquée de partout. Comme Thérèse Hargot à une époque, il nourrit la bête immonde de plateau en plateau. Tout n’est pas à jeter dans ce qu’il dit aux jeunes, mais sa pratique, débutée dans les années 1990, mérite vraiment une actualisation de logiciel. Si, un jour, j’en suis là, j’espère que mes collègues m’inviteront fermement à prendre ma retraite.