Océan : « Être queer, ce n’est pas juste avoir les che­veux bleus et se dire pansexuel·le au café de la Sorbonne »

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© Karl Bewick

Ces der­niers temps, dans les médias, sur les podiums de la Fashion Week et même dans les enseignes de grande dis­tri­bu­tion, on peut voir/​lire le mot « queer » uti­li­sé à toutes les sauces, enfin, sur­tout à la sauce blanche, si je puis me per­mettre la méta­phore par le kebab…

Par exemple, dans GQ du mois der­nier était res­ti­tué un son­dage amé­ri­cain sur « les queers » nous appre­nant, et quelle ne fut pas ma sur­prise, que les trois quarts des queers auraient entre 18 et 25 ans, seraient plus diplômé·es et plus riches que les gays et les les­biennes, elleux-​mêmes plus riches que les hété­ros… Les queer, riches ?! Mais allons bon, en voi­là une bonne nou­velle ! Mais…est-ce que ça vou­drait dire que ma copine queer réfu­giée poli­tique, quand elle saute des repas, ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de quoi bouf­fer tous les jours comme je le croyais, mais parce qu’elle met de côté en douce sur son compte American Express !? Et l’appart en lam­beaux d’une vieille amie trans, est-​ce en fait une cou­ver­ture pour finan­cer son cha­let en Suisse ? Et les 1 354 jeunes queers, croisé·es dans toute la France pen­dant ma tour­née, quand iels m’expliquaient leurs galères depuis qu’iels ont été foutu·es dehors par leurs parents : sont-​iels en réa­li­té une bonne grosse bande de mythos qui, en vrai, branlent rien chez Papa-Maman ?…

Outré, je me jette donc sur mon Smartphone et j’envoie à mon groupe WhatsApp de potes queers : « RENDS L’ARGENT ! » 

Plus sérieu­se­ment : non, les queers ne sont pas né·es en 2010, et être queer, ce n’est pas juste avoir les che­veux bleus, des tatouages, des ongles mul­ti­co­lores et se dire pansexuel·le au café place de la Sorbonne entre deux cours.

Loin de moi l’idée de m’octroyer le droit – et de pen­ser que qui que ce soit aurait cette habi­li­ta­tion – à décer­ner des diplômes du « vrai queer ». Néanmoins, il est inquié­tant de voir ces concepts récu­pé­rés par des hété­ra qui découvrent le queer dans un maga­zine en ligne, n’ayant elles-​mêmes jamais subi de dis­cri­mi­na­tion à l’embauche ou au loge­ment, et qui se disent tout à coup qu’elles se ten­te­raient bien « l’expérience queer » comme on se tente l’expérience saut en para­chute dans le Vercors. Je me per­mets donc quelques rappels.

Le mou­ve­ment queer a com­men­cé à la fin des années 1960 aux États-​Unis avec les femmes trans noires tra­vailleuses du sexe, per­sé­cu­tées notam­ment par la police (cf. Stonewall) ; en France, avec le FHAR (Front homo­sexuel d’action révo­lu­tion­naire créé en 1971) et la créa­tion d’Act Up-​Paris (en 1989). Ces queers-​là, qui ont aujourd’hui 50 ans et plus, sont encore par­mi nous, quand iels n’ont pas été décimé·es par le sida. Et les queers de 20 ans en 2020 en sont le conti­nuum et subissent tou­jours rejet et dis­cri­mi­na­tion. Parler donc de queer sans par­ler de pré­ca­ri­té est hau­te­ment pro­blé­ma­tique. Être queer, c’est faire famille et tou­jours se sou­cier des plus pré­caires – et croyez-​moi, ils sont lar­ge­ment majo­ri­taires ; c’est tis­ser des soli­da­ri­tés, c’est rap­pe­ler l’histoire. D’ailleurs, à Paris, le col­lec­tif Archives LGBTQI se bat avec la Mairie depuis des années pour avoir un local et guess what ? Toujours rien en perspective…

Merci donc de ne jamais oublier qu’être queer va avec une somme de far­deaux dont nous leste cette socié­té patriar­cale dans laquelle nous (sur)vivons, quand bien même le capi­ta­lisme, comme un ogre insa­tiable, ingur­gite et régur­gite tout – dans ce cas pré­cis, on appelle ça du queer­wa­shing –, fai­sant de nos vécus un truc fashion. 

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