On y va pour tout oublier et on oublie de vérifier la fraîcheur des plats et du sourire du personnel. Notre collaboratrice, née au Club Med et qui y a grandi, nous raconte les rouages de cette fabuleuse machine qui nous prend pour des quiches.
![Club de vacances, paradis obligatoire 1 rouages club vacances © C.Spathis](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/03/rouages-club-vacances-©-C.Spathis-819x1024.jpg)
Je suis un « bébé Club Med ». Nous ne sommes pas si nombreux·ses à pouvoir arborer cette sorte d’appellation d’origine contrôlée. Il faut être né·e de parents GO (« gentils organisateurs », comme on dit) et avoir été élevé·e en plein cœur de ces mythiques clubs de vacances « all inclusive ». Avoir envie de sortir de ce périmètre doré pourrait paraître indécent… et pourtant. Mes dix-sept années au sein de ce milieu caricaturé à grands traits par Patrice Leconte dans la trilogie Les Bronzés me donnent une certaine légitimité pour décrire les backstages d’une habile mise en scène du bonheur. Les « dinosaures » (les plus anciens GO, ceux qui n’ont jamais décroché) vous le diront : les années 1970–80 étaient les années fastes. Les nuits blanches à répétition, les affectations dans des endroits paradisiaques, un tutoiement de base, de vraies amitiés. La convivialité tant recherchée aujourd’hui était naturelle, sincère et évidente. Un état d’esprit qui n’existe plus et que l’on tente de fabriquer à coups de réglementations et de marketing.
Le Club vous propose pléthore d’activités, hélas souvent des prestations au rabais. Comme beaucoup de bébés Club Med, j’ai été GO barmaid pour payer mes études. Dans ce chaud pays du nord de l’Afrique, nous servions des litres de mojito, de 9 heures à 4 heures du matin. Une véritable usine. Impossible de préparer le cocktail à la demande. Une grosse poubelle en plastique était planquée à l’arrière du bar, remplie du fameux liquide préparé en amont avec du rhum et du soda à bas prix et des citrons écrasés à la va-vite. Mais servi avec le sourire (et la nausée).
La gentillesse des gentils organisateurs n’est plus qu’un objectif à atteindre. Le GO qui s’amène au bar, tranquille, à l’heure de l’apéro, ne vient pas là par hasard. Il n’est pas ravi de vous voir comme son grand sourire le prétend. Il est inscrit dans son contrat qu’il doit vous tenir compagnie, cher GM (gentil membre). Il récolte des bons points comme un écolier qui fait du zèle.
Si les relations entre GO et GM sont faussées, c’est bien parce que tout est noté, surveillé et comptabilisé. « Les yeux » sont partout. « Les yeux », c’est le surnom que certains donnent aux chefs de service. Chaque village est doté d’une hiérarchie pyramidale : à son sommet, le chef de village, au-dessous, les chefs de service et les GO.
Surveillance
« Les yeux » doivent prendre note de la présence de leurs troupes respectives, de leurs attitudes vis-à-vis du client et des règles établies. Leur tenue est essentielle, chaque jour un thème vestimentaire est donné et doit être respecté. Les téléphones portables ne doivent pas sortir des chambres, le port du badge avec le nom de la personne est obligatoire, collé sur le côté gauche de la poitrine. Rien n’est laissé au hasard. Vous souhaitez sortir du restaurant avec une pomme, anticipant votre fringale de l’après-midi ? Impossible, on vous le fera remarquer. Un GO ne mange pas devant un client en dehors des heures de repas. Il est beau, il se tient bien, il est dynamique, jovial, polyvalent, à disposition. Il se nourrit d’amour et d’eau fraîche. Des réunions hebdomadaires sont organisées pour débriefer le comportement de chacun.
Concrètement, entrer au Club sous-entend une certaine abnégation. Au temps de travail lié à votre activité (vendeuse en boutique, barmaid, professeur de fitness, animateur, réceptionniste) s’ajoute le temps de « convivialité », de « contact clientèle ». Des moments que le GO se doit de passer dans les parties communes (bar, restaurant, théâtre, boîte de nuit) avec le client. Lui tenir compagnie et se déguiser lors des animations qui ponctuent les moments creux de la journée. Le café à 14 heures, l’apéro à 19 ou l’après-spectacle du soir.
Les GO sont pris du petit déjeuner, à 8 heures, jusqu’à la fin de la soirée, à 23 heures, six jours sur sept. Il faut aussi répéter les spectacles entre minuit et 2 heures
Chaque semaine, l’emploi du temps est distribué lors d’une réunion nocturne, car c’est finalement le seul moment où tous les GO peuvent être réunis sans que cela ne fasse défaut à leur service. Ils sont pris du petit déjeuner, à 8 heures – déguisés en marchande du XVIIIe siècle ou en star des années 1980 –, jusqu’à la fin de la soirée, à 23 heures, six jours sur sept. Et ça n’est pas fini. Il faut aussi répéter (entre minuit et 2 heures) les chorégraphies des spectacles maison. Pour toutes ces activités et ces horaires éreintants, le salaire est sans excès : autour de 900 euros net par mois, après une retenue de 240 euros pour la nourriture et de 67 euros pour le logement.
Pendant ces – nombreuses – heures ouvrables, le sourire est de mise, il fait partie des règles implicites. Ainsi qu’être sociable et – même au bord du burn-out – donner l’impression au client ravi que tout baigne. Le all inclusive ayant tendance à monter à la tête de certains – surtout dans les villages adultes interdits aux moins de 18 ans –, le GM peut parfois en venir à penser que le GO est aussi accessible qu’un mojito. Il m’est arrivé, à cette même époque où j’étais barmaid, que l’on me demande de venir déguster sur la plage le cocktail que je venais de servir… Histoire de faire plus ample connaissance. Il m’a fallu rester diplomate pour faire comprendre que ce serait non.
Parfois, des couples se forment. Les GO peuvent partager leur paillote, à condition d’être extrêmement discrets. Leur vie privée ne doit jamais être visible aux yeux des clients. Mais si l’enfant paraît, l’affaire se complique. Les simples GO, s’ils veulent pouponner, devront démissionner et s’installer ailleurs. Seuls les responsables de village peuvent avoir un rejeton.
Petit GO au pair
Or, si on peut cacher une relation, escamoter un gamin, c’est plus difficile… Alors les enfants feront-ils partie du show ambiant ? Offriront-ils des sourires à volonté ? Devront-ils déjeuner, dîner à la table des clients ? Les faire rêver en leur disant que leur vie est formidable ? La réponse est oui ! Oui, le mouflet devra se plier aux règles de convivialité, se verra attribuer une place à part, comparable à un petit GO au pair. Il sera logé, nourri et blanchi lui aussi (la pension d’un enfant est de 140 euros par mois), mais il devra rester discret, car il n’est pas chez lui.
“Tu vois la demoiselle, là-bas, si tu ne travailles pas bien à l’école, tu finiras comme elle”
Une gentille membre (GM) à sa fille, en désignant notre collaboratrice, qui effectuait alors un job d’été au Club Med
Quand j’étais petite, il m’était impossible d’inviter des copines. On pouvait payer pour qu’une amie puisse déjeuner avec moi et profiter quelques heures de la piscine, mais interdit de la faire dormir « à la maison » ou qu’elle assiste à une soirée-spectacle – toutes ces règles ne devant pas être dévoilées aux clients. Mon discours devait rester superficiel ; mieux, je devais me taire et donner à voir une petite fille épanouie au sein du paradis des vacances permanentes. Il fallait être sympathique avec les autres enfants (ceux des client·es) et participer aux activités du miniclub. Inimaginable de se disputer avec l’un·e d’entre eux·elles, sous peine d’incident diplomatique. Le miniclient est aussi un miniroi.
L’école des faux-semblants
Ce fut en tout cas une sacrée école de la vie où l’on apprend vite les faux-semblants et la discrétion. Durant un autre de mes jobs d’été au Club, je fus un jour montrée du doigt par une gentille membre qui expliquait à sa fille : « Tu vois la demoiselle, là-bas, si tu ne travailles pas bien à l’école, tu finiras comme elle. » En plus d’avoir donc été à bonne école, j’ai peut-être été à l’origine de l’empowerment par les études de cette minimembre. Qui aurait pu, sans moi, terminer quiche…