Pédophilie dans l'église : prendre le diable par les couilles

sardinia kidnapping valeria cherchi
© Valeria Cherchi

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives. 

L’affaire Preynat, prêtre pédo­phile lyon­nais condam­né à cinq ans de pri­son ferme en mars, a secoué l’opinion publique, mais aus­si les fon­da­tions de toute l’Église. À vol de cor­beaux de la capi­tale des Gaules, le dio­cèse de Valence a pris le diable par les cornes et les couilles, en créant un poste à temps com­plet de réfé­rente dio­cé­saine pour l’Éducation affec­tive, rela­tion­nelle et sexuelle (EARS) ! Une pre­mière en France qui mérite qu’on s’y arrête, d’autant plus que sur le reste du ter­ri­toire, les dio­cèses s’appuient sur des temps par­tiels ou des per­sonnes qui ont d’autres mis­sions que l’EARS. Avec trente ans de ter­rain auprès de l’éducation catho­lique et une for­ma­tion de conseillère conju­gale et fami­liale, Brigitte Roudière avait le pro­fil idéal et c’est elle que le dio­cèse a choi­sie. Jointe par télé­phone, elle expli­cite son rôle : en plus des ani­ma­tions sco­laires, elle va mettre en place des for­ma­tions auprès des enseignant·es et de tous et toutes les encadrant·es d’activités dio­cé­saines (prêtres, animateur·trices cathés, accompagnant·es de per­sonnes por­teuses de han­di­caps, inter­ve­nants en aumô­ne­ries, res­pon­sables de camps scouts, etc.). 

Brigitte Roudière évo­quait le 14 sep­tembre, sur le site du Dauphiné libé­ré, l’importance d’« une proxi­mi­té ajus­tée avec les enfants. Ni trop près ni trop loin ». Forcément, je lui ai deman­dé de déve­lop­per : « On n’a pas à enva­hir l’enfant de son désir de bien faire, de son atta­che­ment. Même s’il cherche par­fois de l’affection, l’adulte n’a pas à l’encourager, car il perd la notion du col­lec­tif et, sur­tout, il peut géné­rer une dépen­dance affec­tive toxique. » À ce sujet, de nombreux·euses ­accompagnant·es lui ont fait part de leur dif­fi­cul­té à avoir la bonne dis­tance avec les enfants. Peut-​on tou­cher les jeunes ? Est-​ce pros­crit ? Peut-​on les rac­com­pa­gner chez eux ou pas ? 

Pour répondre à toutes ces ques­tions, la réfé­rente a déjà orga­ni­sé une ren­contre entre les prêtres, le per­son­nel de l’ensei­gnement catho­lique et la CRIP26 (cel­lule ­dépar­te­men­tale de recueil de trai­te­ment et d’évaluation des infor­ma­tions pré­oc­cu­pantes concer­nant les enfants en dan­ger ou en risque de dan­ger), pour que tous et toutes les acteurs·trices se connaissent, soient au fait des lois de pro­tec­tion de la petite enfance et des pro­cé­dures à mettre en place en cas de soup­çons de vio­lence. « Carré », comme disent les jeunes.

Elle sou­haite, avec la béné­dic­tion du dio­cèse, tra­vailler plus en pro­fon­deur. « Le grand drame des actes pédo­philes, c’est que les prêtres pré­da­teurs étaient seuls, sans regard de la com­mu­nau­té », souffle-​t-​elle, ajou­tant : « On ne peut plus faire sem­blant. On devient “veilleur” les uns des autres pour décloi­son­ner et libé­rer la parole ! » Elle pense sin­cè­re­ment qu’il y a eu une sorte de « déi­fi­ca­tion du sta­tut de prêtre », pla­cé trop sou­vent par leurs ouailles dans la toute-​puissance. « Si on en fait des super­stars, des gou­rous, on pro­voque les dérives ! » 

Et l’éducation des jeunes dans tout ça ? Joint à son tour, le vicaire géné­ral du dio­cèse de Valence, Guillaume Tessier, m’a assu­ré vou­loir « ancrer les jeunes dans une vision anthro­po­lo­gique. La dif­fi­cul­té pour nous est de faire com­prendre que la concep­tion chré­tienne de l’amour et de la sexua­li­té ne s’inscrit pas uni­que­ment dans le registre de l’interdit, du per­mis et du défen­du ». Pour s’affranchir de cette dimen­sion mani­chéenne qui colle aux san­dales de l’Église, le vicaire va devoir se retrous­ser les manches et mettre les mains dans le cam­bouis de la Genèse, rha­biller Adam et Ève, et enter­rer tous les tro­gnons de pommes qui traînent. 

Comme je lui fai­sais part de mes craintes d’une pré­ven­tion trop hété­ro­nor­mée, axée sur la famille, il m’a répon­du clai­re­ment : « Il y a des valeurs pro­fon­dé­ment ancrées dans la reli­gion chré­tienne : l’altérité, la trans­cen­dance. La cel­lule fami­liale est le lieu d’apprentissage de la vie. On a des valeurs aux­quelles on est atta­ché, mais il faut avoir une bonne intel­li­gence des choses et ne pas ânon­ner des dis­cours pré­mâ­chés. » Tout de même, le vicaire, qui sou­haite « faire de l’Église une mai­son sûre », tient par­ti­cu­liè­re­ment à « réen­chan­ter un peu la vie affec­tive, car on évoque trop sou­vent les peurs, celles des mala­dies, des pre­mières fois. Redonnons du sens à tout ça ! » Dans cette optique, l’apport de Brigitte Roudière est essen­tiel, car elle le dit clai­re­ment : « Sur la thé­ma­tique sexua­li­té, l’Église est en dif­fi­cul­té, car elle s’est beau­coup appuyée sur le cer­veau, l’esprit. Elle est moins à l’aise avec le corps, les affects, les pul­sions, en gros tout ce qui nous bous­cule… Tout est très rai­son­né, très pen­sé. Les prêtres ne savent pas gérer les choses trop passionnelles. »

D’après le vicaire, les prêtres sont assez désta­bi­li­sés par le vécu des jeunes aujourd’hui : « De mon expé­rience de prêtres en confes­sion, le pro­blème des addic­tions est mas­sif, que ce soit aux pro­duits ou à la por­no­gra­phie. À cela, on peut ajou­ter la fra­gi­li­sa­tion des struc­tures fami­liales, liée aux nom­breuses sépa­ra­tions. Ça devient pré­oc­cu­pant. » 

La chasse au por­no, c’est la nou­velle croi­sade des cathos. Le pape François en a fait un de ses objec­tifs majeurs. Du coup, à Valence, le dio­cèse a créé un groupe de recherche sur l’addiction à la por­no­gra­phie, avec des prêtres, des méde­cins addic­to­logues, des per­sonnes concer­nées et deux psy­cho­logues cli­ni­ciens, pas for­cé­ment tous et toutes croyant·es.

Je n’ai pas osé deman­der si, pour l’occasion, ils ont vision­né Quêteuse d’Église, elle se fait trouer l’ostie, sur Tukif.com, un site dont les jeunes m’avaient fait la pro­mo, mais cette démarche d’investigation et de réflexion sur le cul en ligne est une vraie révo­lu­tion œcuménique. 

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