Club de vacances, para­dis obligatoire

On y va pour tout oublier et on oublie de véri­fier la fraî­cheur des plats et du sou­rire du per­son­nel. Notre col­la­bo­ra­trice, née au Club Med et qui y a gran­di, nous raconte les rouages de cette fabu­leuse machine qui nous prend pour des quiches. 

rouages club vacances © C.Spathis
© C. Spathis

Je suis un « bébé Club Med ». Nous ne sommes pas si nombreux·ses à pou­voir arbo­rer cette sorte d’appellation d’origine contrô­lée. Il faut être né·e de parents GO (« gen­tils orga­ni­sa­teurs », comme on dit) et avoir été élevé·e en plein cœur de ces mythiques clubs de vacances « all inclu­sive ». Avoir envie de sor­tir de ce péri­mètre doré pour­rait paraître indé­cent… et pour­tant. Mes dix-​sept années au sein de ce milieu cari­ca­tu­ré à grands traits par Patrice Leconte dans la tri­lo­gie Les Bronzés me donnent une cer­taine légi­ti­mi­té pour décrire les backs­tages d’une habile mise en scène du bon­heur. Les « dino­saures » (les plus anciens GO, ceux qui n’ont jamais décro­ché) vous le diront : les années 1970–80 étaient les années fastes. Les nuits blanches à répé­ti­tion, les affec­ta­tions dans des endroits para­di­siaques, un tutoie­ment de base, de vraies ami­tiés. La convi­via­li­té tant recher­chée aujourd’hui était natu­relle, sin­cère et évi­dente. Un état d’esprit qui n’existe plus et que l’on tente de fabri­quer à coups de régle­men­ta­tions et de marketing. 

Le Club vous pro­pose plé­thore d’activités, hélas sou­vent des pres­ta­tions au rabais. Comme beau­coup de bébés Club Med, j’ai été GO bar­maid pour payer mes études. Dans ce chaud pays du nord de l’Afrique, nous ser­vions des litres de moji­to, de 9 heures à 4 heures du matin. Une véri­table usine. Impossible de pré­pa­rer le cock­tail à la demande. Une grosse pou­belle en plas­tique était plan­quée à l’arrière du bar, rem­plie du fameux liquide pré­pa­ré en amont avec du rhum et du soda à bas prix et des citrons écra­sés à la va-​vite. Mais ser­vi avec le sou­rire (et la nausée).

La gen­tillesse des gen­tils orga­ni­sa­teurs n’est plus qu’un objec­tif à atteindre. Le GO qui s’amène au bar, tran­quille, à l’heure de l’apéro, ne vient pas là par hasard. Il n’est pas ravi de vous voir comme son grand sou­rire le pré­tend. Il est ins­crit dans son contrat qu’il doit vous tenir com­pa­gnie, cher GM (gen­til membre). Il récolte des bons points comme un éco­lier qui fait du zèle. 

Si les rela­tions entre GO et GM sont faus­sées, c’est bien parce que tout est noté, sur­veillé et comp­ta­bi­li­sé. « Les yeux » sont par­tout. « Les yeux », c’est le sur­nom que cer­tains donnent aux chefs de ser­vice. Chaque vil­lage est doté d’une hié­rar­chie pyra­mi­dale : à son som­met, le chef de vil­lage, au-​dessous, les chefs de ser­vice et les GO. 

Surveillance

« Les yeux » doivent prendre note de la pré­sence de leurs troupes res­pec­tives, de leurs atti­tudes vis-​à-​vis du client et des règles éta­blies. Leur tenue est essen­tielle, chaque jour un thème ves­ti­men­taire est don­né et doit être res­pec­té. Les télé­phones por­tables ne doivent pas sor­tir des chambres, le port du badge avec le nom de la per­sonne est obli­ga­toire, col­lé sur le côté gauche de la poi­trine. Rien n’est lais­sé au hasard. Vous sou­hai­tez sor­tir du res­tau­rant avec une pomme, anti­ci­pant votre frin­gale de l’après-midi ? Impossible, on vous le fera remar­quer. Un GO ne mange pas devant un client en dehors des heures de repas. Il est beau, il se tient bien, il est dyna­mique, jovial, poly­va­lent, à dis­po­si­tion. Il se nour­rit d’amour et d’eau fraîche. Des réunions heb­do­ma­daires sont orga­ni­sées pour débrie­fer le com­por­te­ment de chacun. 

Concrètement, entrer au Club sous-​entend une cer­taine abné­gation. Au temps de tra­vail lié à votre acti­vi­té (ven­deuse en bou­tique, bar­maid, pro­fes­seur de fit­ness, ani­ma­teur, récep­tion­niste) s’ajoute le temps de « convi­via­li­té », de « contact clien­tèle ». Des moments que le GO se doit de pas­ser dans les par­ties com­munes (bar, res­tau­rant, théâtre, boîte de nuit) avec le client. Lui tenir com­pa­gnie et se dégui­ser lors des ani­ma­tions qui ponc­tuent les moments creux de la jour­née. Le café à 14 heures, l’apéro à 19 ou l’après-spectacle du soir. 

Les GO sont pris du petit déjeu­ner, à 8 heures, jusqu’à la fin de la soi­rée, à 23 heures, six jours sur sept. Il faut aus­si répé­ter les spec­tacles entre minuit et 2 heures 

Chaque semaine, l’emploi du temps est dis­tri­bué lors d’une réunion noc­turne, car c’est fina­le­ment le seul moment où tous les GO peuvent être réunis sans que cela ne fasse défaut à leur ser­vice. Ils sont pris du petit déjeu­ner, à 8 heures – dégui­sés en mar­chande du XVIIIe siècle ou en star des années 1980 –, jusqu’à la fin de la soi­rée, à 23 heures, six jours sur sept. Et ça n’est pas fini. Il faut aus­si répé­ter (entre minuit et 2 heures) les cho­ré­gra­phies des spec­tacles mai­son. Pour toutes ces acti­vi­tés et ces horaires érein­tants, le salaire est sans excès : autour de 900 euros net par mois, après une rete­nue de 240 euros pour la nour­ri­ture et de 67 euros pour le logement. 

Pendant ces – nom­breuses – heures ouvrables, le sou­rire est de mise, il fait par­tie des règles impli­cites. Ainsi qu’être sociable et – même au bord du burn-​out – don­ner l’impression au client ravi que tout baigne. Le all inclu­sive ayant ten­dance à mon­ter à la tête de cer­tains – sur­tout dans les vil­lages adultes inter­dits aux moins de 18 ans –, le GM peut par­fois en venir à pen­ser que le GO est aus­si acces­sible qu’un moji­to. Il m’est arri­vé, à cette même époque où j’étais bar­maid, que l’on me demande de venir dégus­ter sur la plage le cock­tail que je venais de ser­vir… Histoire de faire plus ample connais­sance. Il m’a fal­lu res­ter diplo­mate pour faire com­prendre que ce serait non. 

Parfois, des couples se forment. Les GO peuvent par­ta­ger leur paillote, à condi­tion d’être extrê­me­ment dis­crets. Leur vie pri­vée ne doit jamais être visible aux yeux des clients. Mais si l’enfant paraît, l’affaire se com­plique. Les simples GO, s’ils veulent pou­pon­ner, devront démis­sion­ner et s’installer ailleurs. Seuls les res­pon­sables de vil­lage peuvent avoir un rejeton.

Petit GO au pair

Or, si on peut cacher une rela­tion, esca­mo­ter un gamin, c’est plus dif­fi­cile… Alors les enfants feront-​ils par­tie du show ambiant ? Offriront-​ils des sou­rires à volon­té ? Devront-​ils déjeu­ner, dîner à la table des clients ? Les faire rêver en leur disant que leur vie est for­mi­dable ? La réponse est oui ! Oui, le mou­flet devra se plier aux règles de convi­via­li­té, se ver­ra attri­buer une place à part, com­pa­rable à un petit GO au pair. Il sera logé, nour­ri et blan­chi lui aus­si (la pen­sion d’un enfant est de 140 euros par mois), mais il devra res­ter dis­cret, car il n’est pas chez lui. 

“Tu vois la demoi­selle, là-​bas, si tu ne tra­vailles pas bien à l’école, tu fini­ras comme elle”

Une gen­tille membre (GM) à sa fille, en dési­gnant notre col­la­bo­ra­trice, qui effec­tuait alors un job d’été au Club Med 

Quand j’étais petite, il m’était impos­sible d’inviter des copines. On pou­vait payer pour qu’une amie puisse déjeu­ner avec moi et pro­fi­ter quelques heures de la pis­cine, mais inter­dit de la faire dor­mir « à la mai­son » ou qu’elle assiste à une soirée-​spectacle – toutes ces règles ne devant pas être dévoi­lées aux clients. Mon dis­cours devait res­ter super­fi­ciel ; mieux, je devais me taire et don­ner à voir une petite fille épa­nouie au sein du para­dis des vacances per­ma­nentes. Il fal­lait être sym­pa­thique avec les autres enfants (ceux des client·es) et par­ti­ci­per aux acti­vi­tés du mini­club. Inimaginable de se dis­pu­ter avec l’un·e d’entre eux·elles, sous peine d’incident diplo­ma­tique. Le mini­client est aus­si un miniroi. 

L’école des faux-semblants

Ce fut en tout cas une sacrée école de la vie où l’on apprend vite les faux-​semblants et la dis­cré­tion. Durant un autre de mes jobs d’été au Club, je fus un jour mon­trée du doigt par une gen­tille membre qui expli­quait à sa fille : « Tu vois la demoi­selle, là-​bas, si tu ne tra­vailles pas bien à l’école, tu fini­ras comme elle. » En plus d’avoir donc été à bonne école, j’ai peut-​être été à l’origine de l’empowerment par les études de cette mini­membre. Qui aurait pu, sans moi, ter­mi­ner quiche…

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