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© Sam Moqadam

Vivement que ça se ter­mine : le confi­ne­ment creuse nos addictions

Avec le recon­fi­ne­ment cet automne, la san­té men­tale des Français·es est de nou­veau mise à rude épreuve. Notamment par le prisme des com­por­te­ments addictifs.

« Pendant le confi­ne­ment, je suis seul et je n’ai pas grand-​chose à faire. Alors le soir, plu­sieurs fois par semaine, j’ai pris l’habitude de boire jusqu’à une bou­teille de rhum. » Malgré une consom­ma­tion à haut risque, Jérôme* ne se consi­dère pas pour autant comme dépen­dant à l’alcool, bien que l’étudiant en droit de 22 ans constate avoir consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té sa consom­ma­tion d’alcool depuis le pre­mier confi­ne­ment. Il par­tage sa situa­tion avec « un usa­ger d’alcool sur dix », selon une enquête CoviPrev de Santé publique France lan­cée le 23 mars dernier.

Alcool, tabac, jeux-​vidéo, sport, drogue, médi­ca­ments et même por­no­gra­phie, nombreux·ses sont les Français·es à avoir ain­si suc­com­bé aux insi­dieuses sirènes de l’addiction depuis le mois de mars der­nier. « L’être humain est pro­gram­mé pour fonc­tion­ner par plai­sir, indique Stéphanie Ladel, addic­to­logue. Mais ces sources de plai­sirs sont aus­si variées que nocives quand on adopte une conduite com­pul­sive. » En somme, à par­tir du moment où l’on ne peut plus se poser ou res­pec­ter ses propres limites et ce en dépit de la connais­sance des risques encou­rus, on peut par­ler d’une addic­tion. Qui sont d’ailleurs recon­nues comme des patho­lo­gies céré­brales par la méde­cine et n’ont donc rien à voir avec un manque de volonté.

Le confi­ne­ment, par­fait ter­rain de jeu pour les addictions 

Ces com­por­te­ments addic­tifs se sont accen­tués par un mode de vie inédit décou­vert en 2020 : le confi­ne­ment. Et si pour ce deuxième du nom enta­mé fin octobre, les études ne per­mettent pas encore de des­si­ner l’évolution des com­por­te­ments addic­tifs, Stéphanie Ladel ne voit pour le moment aucun chan­ge­ment par rap­port au pre­mier, pour­tant plus strict. Au-​delà de sa patien­tèle habi­tuelle, l’addictologue voit arri­ver depuis quelque mois un flux ten­du de nou­velles et nou­veaux patient·es sans anté­cé­dents. « Ils consultent car le confi­ne­ment, le décon­fi­ne­ment puis le recon­fi­ne­ment ont dévoi­lé chez eux des com­por­te­ments addic­tifs inha­bi­tuels en temps nor­mal. », décrypte Stéphanie Ladel.

Qu’est-ce qui déraille ? « Au cours d’un confi­ne­ment, il y a une ques­tion de chro­ni­ci­té, pour­suit Stéphanie Ladel. Chaque jour res­semble au pré­cé­dent et il peut être très dif­fi­cile de gar­der un rythme de vie conti­nu. Cette absence de repère peut don­ner envie de s’exiler dans un autre monde. » Pour Jérôme, l’autre monde a donc pris la forme de spi­ri­tueux. D’une consom­ma­tion impor­tante mais uni­que­ment fes­tive, le jeune homme est désor­mais pas­sé à une consom­ma­tion en solo, colos­sale et quasi-​quotidienne. « Au début, je conti­nuais à boire avec mes amis avec des apé­ros Skype comme tout le monde, se rap­pelle le jeune homme. Au bout de quelques semaines, les apé­ri­tifs se sont faits plus rares et comme je m’ennuyais, j’ai com­men­cé à avoir envie de boire quand même. » Jérôme est loin d’être un cas iso­lé. L’ennuie et le manque d’activité sont deux rai­sons invo­quées par 32 % des consom­ma­trices et consom­ma­teurs d’alcools. Derrière le plai­sir (45 %) et devant le stress (15 %). 

« Pour les gens seuls, le confi­ne­ment est à ce titre très com­pli­qué à gérer puisqu’on se retrouve cou­pés de toute rela­tion sociale. D’un seul coup, on se retrouve à affron­ter ses démons, face à face avec soi-même. » 

Stéphanie Ladel, addictologue. 

En pleine période de confi­ne­ment, dif­fi­cile de gar­der un œil sur la consom­ma­tion de ses proches et de déce­ler des com­por­te­ments à haut risque. « Personne ne sait que je finis tota­le­ment ivre plu­sieurs fois par semaine, confie Jérôme. Comme j’assure niveau sco­laire, ils ne s’inquiètent pas. » Une situa­tion loin d’être ano­dine pour Stéphanie Ladel. « Lorsqu’on vit avec quelqu’un, on essaye de se conte­nir, sou­ligne l’addictologue. Pour les gens seuls, le confi­ne­ment est à ce titre très com­pli­qué à gérer puisqu’on se retrouve cou­pés de toute rela­tion sociale. D’un seul coup, on se retrouve à affron­ter ses démons, face à face avec soi-même. »

Tabac et can­na­bis en forte hausse

Le ralen­tis­se­ment des inter­ac­tions sociales a donc ame­né cer­taines per­sonnes, qui consom­maient déjà de façon impor­tante, sur une pente glis­sante. Selon l’enquête CoviPrev de Santé publique France lan­cée en mars der­nier, un quart des fumeurs déclare en effet avoir aug­men­té sa consom­ma­tion de tabac pen­dant le confi­ne­ment. Une pra­tique encou­ra­gée, par exemple, par de nou­veaux modes de tra­vail. « Le télé­tra­vail influe beau­coup sur la consom­ma­tion, notam­ment de tabac, indique Maria Melchior, épi­dé­mio­lo­giste et direc­trice de recherche à l’Inserm (Institut natio­nal de la san­té et de la recherche médi­cale). D’ordinaire, il est inter­dit de fumer sur son lieu de tra­vail. Les cartes sont redis­tri­buées à la mai­son, où l’on peut faire une pause ciga­rette quand on veut. »  

Une situa­tion pré­oc­cu­pante fai­sant écho à celle du can­na­bis. Car mal­gré des dif­fi­cul­tés d’approvisionnement, l’observatoire fran­çais des drogues et des toxi­co­ma­nies (OFDT) a révé­lé en octobre qu’un consom­ma­teur sur quatre affirme prendre davan­tage de drogue depuis le pre­mier confi­ne­ment. « Ma consom­ma­tion a explo­sé pen­dant le pre­mier confi­ne­ment, raconte Benoît*, 23 ans. Avant, il m’arrivait de faire 4–5 jours de sevrage pour me don­ner bonne conscience. Désormais, je fume un pétard entier et pur [sans nico­tine, ndlr] tous les soirs et un peu plus le week-​end. Je sais que je suis dépen­dant mais pour le moment je n’ai pas envie d’arrêter car le can­na­bis me per­met de me détendre, de décon­nec­ter un peu avec l’aspect stres­sant de la période que l’on vit»

L’anxiété, jus­te­ment, est l’un des ter­reaux de l’addiction. Et à l’heure où près d’un·e Français·e sur cinq se déclare anxieux·euse en rai­son de la crise sani­taire, la ten­ta­tion est grande de se tour­ner vers des échap­pa­toires de toutes sortes. Ce qui n’est pas for­cé­ment une idée viable à long terme. « Le confi­ne­ment est une source de stress impor­tante, confirme Maria Melchior. Consommer de l’alcool, du can­na­bis, regar­der la télé ou du por­no sont autant de manières de gérer l’anxiété du moment. Mais il s’agit d’un cercle vicieux car on sait que cer­taines sub­stances ne font qu’augmenter, à terme, cette anxié­téD’ailleurs, on a remar­qué depuis le début de l’année une aug­men­ta­tion notable des dépres­sions. Et elles vont mal­heu­reu­se­ment très sou­vent de pair avec les addic­tions»

Lire aus­si : La san­té men­tale, dom­mage col­la­té­ral de la Covid-19

Stress, plai­sir, perte de rela­tion sociale, récon­fort, échap­pa­toire. Si les rai­sons pour tom­ber dans le piège de l’addiction sont nom­breuses, une notion revient très sou­vent dans l’ensemble des témoi­gnages. Pour beau­coup, confi­ne­ment rime tout sim­ple­ment avec ennui. Quitte par­fois à aggra­ver des com­por­te­ments addic­tifs déjà exis­tant. Et peu de domaines ont tiré plus de pro­fits de cette situa­tion que les écrans. « En temps nor­mal je joue trois à quatre heures par jour, ce qui est déjà beau­coup, raconte Léopold, 23 ans. Pendant le pre­mier confi­ne­ment, en tant qu’étudiant coin­cé chez mes parents, je n’avais pas grand-​chose à faire. Alors le temps de jeu a aug­men­té. Parfois jusqu’à 12 heures par jour. Ce n’est même pas une réponse à un mal-​être. Simplement une source de confort, un moyen de me diver­tir lorsque j’ai du temps libre. »

La situa­tion du jeune homme s’est méca­ni­que­ment amé­lio­rée lors du deuxième confi­ne­ment car, entre temps, il a trou­vé un tra­vail. Mais Léopold voit bien qu’en dehors de ses heures de bou­lot confi­né, le jeu vidéo conti­nue à enva­hir son temps libre. « La semaine der­nière, je me suis aper­çu qu’en deux ans, j’ai joué 1785 heures sur un même jeu, confie-​il. Quand ce deuxième confi­ne­ment sera ter­mi­né, je me ferai aider par mon méde­cin pour dimi­nuer ma consom­ma­tion car je crains que cette addic­tion finisse par me poser un sérieux pro­blème dans ma vie professionnelle. »

« Il faut faire com­prendre aux gens tou­chés que des aides sont dis­po­nibles. Même en temps de confinement. »

Maria Melchior, épi­dé­mio­lo­giste et direc­trice de recherche à L’inserm

À l’image de Jérôme, Léa, Benoît et Léopold, les jeunes ont davan­tage de risques d’être entrai­nés dans une spi­rale addic­tive. « Les jeunes ont besoin d’expérimenter. Mais plus une consom­ma­tion est pré­coce, plus le risque d’addiction aug­mente », expose Maria Melchior. Pourtant, comme l’a recon­nu le ministre de la Santé, Olivier Véran, le 19 novembre der­nier, « tout le monde peut être concer­né ». Catherine*, 70 ans en est la preuve. En temps nor­mal, cette retrai­tée bre­tonne, pré­si­dente d’une asso­cia­tion qui pro­pose des acti­vi­tés phy­siques, est tou­jours par monts et par vaux et ne regarde jamais le petit écran, à l’exception d’un film du soir de temps à autre. Mais désor­mais tri­bu­taire des res­tric­tions kilo­mé­triques, Catherine s’est mise à englou­tir des séries télé­vi­sées pour trom­per l’ennui. « Je me limite quand même à deux épi­sodes par jour », précise-​t-​elle. Une consom­ma­tion qui semble loin d’être dérai­son­nable mais qui montre que ce contexte cris­tal­lise les peurs de tom­ber dans une forme de dépendance. 

Alors pour aider toutes les per­sonnes dans le besoin, les thé­ra­peutes se sont-​elles et eux aus­si mis·es à la page. « Avec le confi­ne­ment, comme tout le monde, je me suis mis aux télé­con­sul­ta­tions, une véri­table révo­lu­tion pour la méde­cine, s’exclame Stéphanie Ladel. On rentre dans leur inti­mi­té et ça ajoute de l’humanité au lien. » L’addictologue reste éga­le­ment dis­po­nible pour ses patient·es par sms 7j/​7 de 7h à 22h, car en cas de mal être, l’accompagnement est la clef : « On peut anti­ci­per l’addiction, la pré­ve­nir et, lorsqu’elle arrive, faire com­prendre aux gens tou­chés que des aides sont dis­po­nibles, plaide Maria Melchior. Même en temps de confi­ne­ment. » Car para­doxa­le­ment, cette paren­thèse si par­ti­cu­lière de nos vies a aus­si per­mis par­fois à certain·es… de se déli­vrer d’une addic­tion. C’est le cas de Léa, 29 ans, secré­taire dans un cabi­net d’architecte « Avant le Covid, j’étais ce qu’on peut appe­ler une grosse fumeuse, explique la jeune mar­seillaise. Mais il s’agissait sur­tout d’une consom­ma­tion sociale. En une soi­rée, je pou­vais fumer plus d’un paquet entier. Lorsque le confi­ne­ment est arri­vé, j’avais déjà com­men­cé à réduire ma consom­ma­tion. Seule chez moi et sans aucune ten­ta­tion exté­rieure, je me suis dit que l’occasion d’arrêter défi­ni­ti­ve­ment arri­vée à point nom­mé» Déconfinée cet été, l’ancienne « grosse fumeuse » n’a pas refu­mé et est même deve­nue un modèle pour ses potes de soirées.

  • * Les pré­noms ont été modifiés 

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