Le média d'investigation Mediapart a consacré une enquête à ce phénomène largement impensé par notre société à l'encontre de victimes particulièrement fragiles. Il a recensé une centaine de judiciarisations de ces affaires depuis 2013, « la face émergée de l’iceberg », selon toute évidence.
C'est un phénomène glaçant et encore tabou sur lequel a enquêté Mediapart. Celui des violences sexuelles commises au sein des les Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Il toucherait à 98% des résidentes femmes, selon le criminologue Julien Chopin, interrogé par le média d'investigation. Alors que Mediapart a recensé une centaine d'affaires judiciarisées depuis 2013, le chiffre réel des viols et agressions sexuelles en Ehpad pourrait être « monstrueux », de l'aveu même du ministère des Solidarités.
En effet, vu la situation de grande vulnérabilité des victimes, leur isolement et leur état de dépendance – selon Mediapart, la population des Ehpad est à 80 % atteinte de troubles de la cohérence et à 40 % de maladies neurodégénératives – il est très rare qu'elles se confient. De fait, « la majorité de ces affaires sont révélées par un flagrant délit, les victimes rendues muettes ou inconscientes par leur pathologie étant rarement en mesure de témoigner », souligne Mediapart. Pourtant, l'ampleur du phénomène est corroborée par un chiffre vertigineux de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, la seule ayant répondu à Mediapart : « Entre le 1er septembre et le 24 octobre dernier, elle a reçu 78 "réclamations" qui "comporteraient un motif 78 de suspicions de violences sexuelles". »
46% des agresseurs sont des membres du personnel
Qui sont les agresseurs ? Sur la centaine d'affaires sordides étudiées par le média, tous sont des hommes et presque la moitié (46%) d'entre eux sont des membres du personnel de l'établissement. « Pourtant, la loi est très claire sur le sujet, souligne Mediapart. Nul ne peut exercer une fonction dans les établissements médico-sociaux s’il a été précédemment condamné pour un crime ou un délit, comme le viol et l’agression sexuelle. » Mais le journal, dont les chiffres sont similaires à ceux du criminologue Julien Chopin et ceux de l'association Alma, qui lutte contre la maltraitance des personnes âgées, explique les trous dans la raquette : « D’après une syndicaliste, ces vérifications de rigueur ne s’appliqueraient pas forcément aux vacataires très nombreux en Ehpad. »
Viennent ensuite, quasi dans les mêmes proportions, les résidents eux-mêmes. A ce propos, le criminologue Julien Chopin, qui a écrit un livre sur les violences sexuelles visant les personnes âgées remarque : « Les personnes ayant un passé criminel en matière de violences sexuelles vieillissent comme tous les autres. » Enfin, dans une moindre mesure sont recensés des crimes et des délits commis par des personnes extérieures au lieu, ce qui soulève d'évidentes questions sur la sécurité des bâtiments.
"Disponibilité des corps"
D'une manière générale, le sujet pose la question du sous-effectif chronique des Ehpad, limitant la surveillance des lieux, surtout la nuit où il n'est pas rare que seul·es deux membres du personnel ont à leur charge 150 résident·es. A ce propos, le ministère des Solidarités, interrogé par Mediapart explique ne pas croire à « la multiplication des effectifs » mais plutôt à la « stabilité des équipes » et à la formation du personnel « qui ne sait pas forcément » détecter les faits.
Reste que selon une étude américaine citée par Mediapart, il est très rare que les victimes de ces crimes qui relèvent de « la disponibilité des corps » selon Julien Chopin obtiennent justice : plus de la moitié du peu de celles dont l'affaire est portée devant un tribunal décèdent dans l'année qui suit les faits.
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