Les psychologues se sont mobilisé·es lors de manifestations sur l'ensemble du territoire jeudi 10 juin. En cause, l’annonce d’un protocole de remboursement de dix consultations de trente minutes à 22 euros, sous condition.
Environ 400 manifestant·es (selon la police) s'étaient donné rendez-vous jeudi 10 juin, à quelques dizaines de mètres du ministère de la Santé dans le 7ème arrondissement de Paris. Psychologues indépendant·es, mais aussi psychologues de l’Éducation nationale, psychothérapeutes, étudiant·es et enseignant·es-chercheur·euses en psychologie ont répondu, à Paris mais aussi dans d'autres villes françaises, à l’appel du 10 juin lancé par le Syndicat National des Psychologues (SNP), la CGT, l’association Siueerpp (qui regroupe des enseignant·es-chercheur·euses en psychologie) et la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP). Les psychologues, d’ordinaire davantage habitué·es à écouter, veulent cette fois faire entendre leur colère qui monte depuis quelques mois déjà contre une série de mesures gouvernementales visant à « paramédicaliser » et donc, selon elles et eux, « précariser » la profession.
Une séance de 30 minutes payée et remboursée 22 euros reviendra à 10 euros net pour le psychologue. « On va devoir multiplier les rendez-vous pour compenser. Mais un psy qui fait quinze consultations par jour, c’est un psy épuisé, pas disponible pour ses patients », souligne Marion Thélisson, psychologue clinicienne qui reçoit aujourd'hui jusqu'à neuf patient·es par jour. Car à cette somme, il faut encore déduire le loyer du cabinet, les formations et les différents outils thérapeutiques à la charge seule du psychologue.

L'agacement qui se lit sur les pancartes brandies lors du rassemblement parisien. « Ni bradés, ni soumis », « On vous écoute, écoutez-nous », « Psychologues bradés = patients sacrifiés ». Dans le viseur des manifestant·es, un protocole de l'Assurance maladie proposant le remboursement de dix séances de psychothérapie de 30 minutes chacune, pour un montant de 22 euros. Les psychologues sont en très grande majorité favorables au remboursement des séances qui favoriserait l’égalité d’accès aux soins – jusqu'à présent, seules les consultations en psychiatrie sont remboursées par la sécurité sociale – mais dénoncent derrière ce procédé un « manque cruel de respect et de reconnaissance » de la part du gouvernement.
Dans ce dispositif, le public désireux d’entamer un accompagnement psy devra ainsi préalablement passer par un médecin généraliste, qui lui seul jugera s’il est nécessaire de voir un·e psychologue. « Nous serions sous la tutelle des médecins qui pourraient nous demander d’utiliser telle ou telle thérapie, tel ou tel outil, dénonce Chloé Duchemin, psychologue clinicienne en poste depuis un an dans une institution parisienne. Nous ne serons plus libres d’exercer comme nous en avons l’habitude, mais les plus impactés seront d’abord les patients. »
Des psychologues sous tutelle
Car, plus grave encore selon les manifestant·es, passer par son médecin généraliste pourrait finalement s’avérer être un parcours du combattant lorsqu’on entame un processus de soin pour la première fois. « Pour beaucoup, c’est déjà compliqué de faire la démarche d’aller voir soi-même un psychologue, poursuit la jeune psychologue de 25 ans. Avec ce projet, le patient devra exposer son histoire personnelle, ses souffrances à plusieurs reprises, à son médecin d'abord et ensuite à son psy. Cela peut être néfaste pour des personnes fragiles. » Néfaste, voire dangereux craignent les psychologues, dans le cadre des violences conjugales : pour pouvoir bénéficier du remboursement de dix séances, une femme devra d'abord s'adresser à son médecin de famille qui peut être le même que celui de son conjoint violent.
Et un autre point de cette mesure suscite des crispations. Dans le cas où le·la médecin généraliste accepterait la prescription d’une thérapie, le·la psychologue devra lui fournir un compte rendu au terme des dix séances afin que le·la médecin décide de nouvelles séances. « Les médecins prescriront des séances sans tenir compte des besoins du patient et alors qu’ils ne sont pas formés à la psychologie, ils ne sont pas qualifiés pour cela, réagit Servane Legrand, présidente de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (A.NAP.PSY.p.e) et psychologue clinicienne depuis 23 ans. C’est choquant et ça n’a pas de sens. »
« On nous demande d’intervenir pour accompagner les gens et en même temps, on voit une profession qui se précarise. »
Martine Ravineau, psychologue à la protection judiciaire de la jeunesse depuis 35 ans et membre du SNP.
« Se rendre chez un psychologue, ce n’est pas comme prendre des séances chez un kiné, ajoute Lucie, psychologue libérale depuis 3 ans. On ne sait pas au début du processus de soin, de combien de séances le patient aura besoin. Il faut aussi penser à la brutalité de l’arrêt. Nous sommes là pour créer des liens, et d’un coup au bout de dix séances, ce lien s’arrête. » Sans compter la durée de ces séances. « C’est très court 30 minutes, souligne Marion Thélisson, psychologue clinicienne libérale depuis 5 ans. Un rendez-vous dure en réalité entre 45 minutes et 1H30 selon les besoins. »

La crise sanitaire a mis en lumière la nécessité de prendre soin de sa santé mentale. On a, à vrai dire, jamais autant sollicité les psychologues que depuis le Covid 19. « On nous demande d’intervenir pour accompagner les gens et en même temps, on voit une profession qui se précarise », dénonce Martine Ravineau, psychologue à la protection judiciaire de la jeunesse depuis 35 ans et membre du SNPP. À l’image du chèque psy, opérationnel depuis février, qui permet aux étudiant·es de bénéficier d’un accompagnement psychologique sur six séances maximum, d’un montant de 30 euros chacune. Là encore, le dispositif est critiqué par la profession. « Le chèque psy a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, indique Chloé Duchemin. Favoriser l’accès aux soins psychiques est une nécessité mais pas comme ça. » Car là encore, les étudiant·es doivent passer par la case médecin généraliste avant de toquer à la porte d’un cabinet libéral.
Une expérimentation en cours
Dans un rapport rendu en février 2021, la Cour des comptes s’est dite favorable au remboursement par la Sécurité sociale des séances chez le psychologue libéral. Les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, les Landes et le Morbihan l’expérimentent déjà depuis 2018 sous l’égide de l’Assurance-maladie. Une mesure qui, selon la Cour, permettrait de désengorger les Centres Médico Psychologiques (CMP) qui accueillent le public gratuitement.
Mais les psy en libéral craignent que la mesure les pénaliser eux. « Je suis en train de faire construire mon cabinet, si le projet passe, je le louerais un AirBnB, ça sera plus rentable », ironise Guillaume Lelong, psychologue depuis 2016 et membre du collectif Manifestepsy créé en réaction au projet de remboursement. Chloé, elle, désire s’installer en libéral d’ici un an mais craint de ne pouvoir suivre financièrement. « J’ai peur car vivant à Paris, les loyers seront forcément exorbitants. »

Écarté·es du Ségur de la santé il y a un an, les psychologues réclament aujourd’hui l'annulation de ce protocole tout en admettant qu’un meilleur accès aux soins psychiques est nécessaire. « Je trouve ça super que le gouvernement cherche à améliorer l’accès à la santé mentale, souligne Lucie. Mais il devrait plutôt renforcer les institutions déjà existantes comme les CMP, les maisons des ados ou les hôpitaux psychiatriques. Il ne faut pas oublier qu’on attend parfois un an pour obtenir un rendez-vous dans un CMP. »
Avec cet appel du 10 juin, les psychologues demandent au gouvernement de rétropédaler et en profitent pour faire valoir leurs revendications : la création de postes, de moyens supplémentaires pour les institutions ainsi qu’une revalorisation des salaires à la hauteur des cinq années d’études et des 500 heures de stage nécessaires pour obtenir le titre de psychologue.