herd of sheep on green grass field during daytime
©Illiya Vjestica

Ruralité : « Une Française sur trois subit des inéga­li­tés ter­ri­to­riales fortes », selon Annick Billon

Un rapport sénatorial sur la condition des femmes rurales publié le 14 octobre dernier pointe de fortes inégalités entre les femmes vivant dans des territoires urbains et ruraux.

Elles étaient les grandes oubliées de l’agenda rural du gouvernement présenté à l’automne 2019. Aucune des 181 mesures que contenait ce socle de la politique gouvernementale en faveur de la France rurale – qui représente 88 % des communes – ne traitait en effet de l’égalité femmes-hommes, et surtout des problématiques spécifiques aux femmes rurales. C’est donc pour combler ces lacunes que la délégation aux droits des femmes du Sénat présidée par Annick Billon (Union Centriste) a lancé, en juin 2020, une mission d'information sur les femmes rurales intitulée « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l’égalité ». Dévoilées le 14 octobre dernier à l’occasion de la Journée internationale des femmes rurales, les 300 pages du rapport brossent un état des lieux alarmant sur la situation des 11 millions de femmes rurales, soit une Française sur trois : ces dernières sont davantage victimes d’inégalité que les femmes des territoires urbains.

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©Yoann Leveque

Le rapport expose en effet les nombreux obstacles auxquels elles sont confrontées à tout âge et dans tous les aspects de leur vie. Pour pallier ces inégalités, le rapport liste soixante-dix recommandations qui seront remises à tous les sénateur·rices, et dans les jours à venir à Elisabeth Moreno, la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu’à Joël Giraud, secrétaire d’État à la Ruralité. Pour comprendre les enjeux de ce rapport et les inégalités criantes dont sont victimes les femmes rurales, Causette s’est entretenue avec la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Annick Billon.

Causette : Après dix mois de travaux sur la situation des 11 millions de femmes vivant dans les territoires ruraux, quel état des lieux dressez-vous dans ce rapport ? 
Annick Billon : Ce n’est pas un état des lieux réjouissant. Autant on parle beaucoup plus aujourd’hui des inégalités femmes-hommes mais très peu des inégalités entre les femmes urbaines et les femmes rurales en France qui se sont d’ailleurs accentuées avec la crise de la Covid. C’est ce que nous voulions avec ce rapport : parler des difficultés qui touchent aujourd’hui un tiers des Françaises de ce pays. Huit rapporteurs représentant tous les groupes politiques ont donc balayé, pendant dix mois, toutes les thématiques liées aux femmes rurales à travers des auditions, des tables rondes et des échanges avec les élus locaux et le tissu local associatif. Il en ressort des inégalités territoriales très fortes qui concernent toutes les femmes rurales, aucune génération n’est épargnée. L’une des principales inégalités réside dans les difficultés de mobilité dans des territoires où la voiture représente 80 % des déplacements, ce qui constitue, bien souvent, un critère d’embauche mais également un moyen d’être indépendante. Dans ces territoires, seules 80 % d’entre elles sont détentrices du permis B contre 90 % des hommes. Si les transports en commun – dont deux tiers des passagers sont des femmes – peuvent apparaître comme une solution, il ne faut pas oublier que les zones rurales n’ont pas la possibilité comme les zones urbaines de mettre en place des réseaux de métro ou de tram et sont donc souvent mal desservies. Ce qui signifie un accès plus compliqué à l’emploi, aux services publics, aux soins, aux commerces, aux associations et aux loisirs. 
Les élus ont également noté une offre de formation faible et peu diversifiée ainsi que peu d’opportunités professionnelles pour les jeunes filles qui souhaitent rester dans ces territoires. Elles sont d’ailleurs souvent cantonnées aux secteurs de la santé et du social : 25% des femmes rurales travaillent dans ce secteur contre contre 11% dans les territoires urbains. Des inégalités dans l’accès à la santé sexuelle et reproductive sont également mises en lumière. Nous avons noté que le désert médical touche particulièrement les femmes rurales. Dans 89 départements sur 101, on compte moins de 3,7 gynécologues pour 100 000 femmes en âge de consulter [3,7 étant la moyenne nationale, ndlr] et 13 départements en sont complètement dépourvus. Alors que le nombre de maternité a, lui, été divisé par trois en 40 ans. 

En février 2021, Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du Service des droits des femmes, rappelait que la moitié des féminicides ont lieu en milieu rural, alors même que les femmes rurales représentent seulement 26 % des appels vers le 3919 (selon la Fédération nationale solidarité femmes). Comment expliquer cette disparité ? 
A.B. : Nous avons travaillé sur la spécificité des violences faites aux femmes dans les territoires ruraux. Elles sont davantage isolées et souffrent d’un accès difficile aux gendarmeries, aux services publics et aux solutions d'hébergement. Elles vont donc moins dénoncer les violences dont elles sont victimes. En raison de cet isolement géographique et social, elles sont aussi moins nombreuses à connaître leurs droits et les dispositifs existants. Un isolement aggravé par la récente crise sanitaire qui a entravé la lutte contre les violences conjugales pour ces femmes en rendant plus difficile leur déplacement en gendarmerie ainsi que leur départ du domicile. C’est donc un peu une double peine pour les femmes qui vivent en milieu rural. 

Quelles sont les principales recommandations que vous avez apportées à travers ce rapport pour lutter contre ces inégalités ? 
A.B. : En ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes dans les milieux ruraux, nous souhaitons entre autres voir se développer des brigades spécialisées dans la lutte contre les violences conjugales, sexistes et sexuelles. D’avoir également dans chaque conseil municipal un référent égalité qui, comme un chef d’orchestre, sera en capacité de mettre en musique les différents acteurs dans l’orientation de la plainte, des soins et du départ du domicile afin d’accompagner au mieux la victime. 
Il faut aussi développer des actions de prévention, d'information et de sensibilisation aux violences au sein des établissement scolaires dès le plus jeune âge mais aussi pérenniser et renforcer le système de point d’accueil dans les centres commerciaux pour les femmes victimes de violences. 
Pour lutter contre les inégalités de mobilité qui sont à l’intersection de tous les sujets, nous recommandons d’intégrer l’apprentissage du code de la route dans le parcours scolaire ainsi que de développer des simulateurs de conduite et mieux faire connaître les aides au permis de conduire. Mais aussi encourager les plateformes de covoiturage et autoriser les « arrêts à la demande » dans les transports publics. Sur la santé sexuelle et reproductive, notre rapport recommande de généraliser des solutions médicales itinérantes sur le dépistage, l’information et la prévention. Ainsi que renforcer l’utilité et revaloriser la profession de sages-femmes. Il faut aussi accompagner les jeunes filles rurales qui veulent quitter leur département et celles qui choisissent d’y rester. La ruralité ne doit en aucun cas être un obstacle pour le devenir des jeunes filles rurales. 

Certaines de ces recommandations seront-elles traduisibles par la loi ? 
A.B. Les 70 recommandations portées par le rapport n’ont pas toutes vocation à entrer dans le champ législatif. Elles ont pour objectif principal d’accompagner les élus qui doivent s’en emparer. Nous avons besoin d’un engagement politique local fort. On a découvert, durant l’élaboration de ce rapport, des initiatives associatives locales et des réseaux de solidarités qui font beaucoup, mais qui ne sont pas encore assez nombreux. Ils doivent être dupliqués dans l’ensemble des territoires ruraux. 
Il y a bien cependant au moins une de ces recommandations qui a vocation de déboucher sur une loi : faciliter l’engagement politique des femmes dans les milieux ruraux en rendant la parité obligatoire dans les conseils municipaux des communes de 1000 habitants et moins. On sait déjà que cela suscitera de longs et tumultueux débats au parlement. 

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