Mélinée Manouchian fera son entrée au Panthéon aux côtés de son mari Missak le 21 février 2024. Si la résistante rescapée du génocide arménien ne sera pas elle-même panthéonisée, sa vie mérite qu’on s’y attarde.
![Qui est Mélinée Manouchian, qui entrera prochainement au Panthéon ? 1 Capture d’écran 2023 06 19 à 17.01.52](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/06/Capture-d’écran-2023-06-19-à-17.01.52-926x1024.jpg)
Le Panthéon comptera bientôt une nouvelle pensionnaire. Après Joséphine Baker en 2021, le monument parisien situé dans le Ve arrondissement va accueillir un couple de résistants arméniens : Missak et Mélinée Manouchian, a annoncé l’Élysée à l’occasion d’un hommage aux résistants fusillés au Mont-Valérien dimanche 18 juin.
Mélinée ne sera pas pour autant elle-même panthéonisée, elle entrera au panthéon en février 2024 parce qu’elle est l’épouse de Missak Manouchian. Comme pour Antoine, l’époux de Simone Veil, entré·es au Panthéon en 2018, la famille ne voulait pas qu’on les sépare dans la mort. Pourtant, la vie de Mélinée mérite à bien des titres qu’on s’y attarde.
Rescapée du génocide arménien
Mélinée Soukémian est née en 1913 dans une famille aisée de Constantinople, alors capitale de l’empire Ottoman, aujourd’hui devenue Istanbul. Elle a à peine quatre ans lorsqu’elle se retrouve orpheline avec sa grande sœur. Leurs parents sont tués dans le génocide arménien. Les frangines sont placées dans un orphelinat en Grèce où les conditions de vie sont très difficiles avant d’être envoyées à Marseille pour poursuivre leur scolarité. À 16 ans, la jeune fille obtient son certificat d’études avec mention. Elle s’installe à Paris où elle suit une formation de secrétaire comptable et de sténo-dactylographie.
Elle a 22 ans lorsqu’elle rencontre Missak Manouchian – plus âgé de six ans – lors d’une fête organisée par la Section française du Comité de secours pour l’Arménie. Lui aussi est orphelin, rescapé du génocide arménien. Missak et Mélinée partagent le même idéal de la République. C’est pourquoi le couple adhère ensemble au Parti communiste, le seul parti politique capable selon eux de protéger la France de la montée du fascisme en Europe.
Première arrestation de Missak
Missak et Mélinée participent aux grèves du Front populaire de 1936, qui laissent espérer des droits – vite douchés – pour les travailleur·euses immigré·es et les sans-papiers. Dans leur petit appartement parisien, le couple fonde l’Union populaire franco-arménienne.
La veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Mélinée assiste impuissante à l’incarcération de son mari en raison de sa proximité avec l’Union soviétique, considérée comme une nation ennemie depuis qu’elle a signé, une semaine plus tôt, le pacte germano-soviétique. En attendant la libération de Missak, Mélinée trouve un emploi dans une usine. Étant apatride aux yeux de l’État français, Mélinée n’aura pas le droit au masque à gaz distribué par les mairies à la population.
L'engagement dans la Résistance
Après la libération de Missak, le couple s’engage dans la Résistance au sein du groupe communiste des Francs-tireurs partisans – Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI). « Missak et moi étions deux orphelins du génocide. Nous n’étions pas poursuivis par les nazis. Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide arménien », déclare Mélinée Manouchian en 1977.
Forte de son expérience de sténo-dactylographie, Mélinée entre dans la résistance où elle a pour rôle de porter des messages secrets. En 1943, le groupe passe à la lutte armée. Mélinée est alors affectée au repérage et à l’espionnage des cibles d’attentats. Elle rédige ensuite des comptes-rendus pour les commandos.
Nouvelle arrestation et exécution de Missak
L’étau se resserre néanmoins autour des résistant·es et Missak est arrêté par les forces allemandes. Il est accusé d’être l’auteur de nombreux attentats. « Ma petite Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, écrit Missak. Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde […]. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais je sais que je ne te verrai plus jamais. » Depuis sa cellule de la prison de Fresnes, il intime à son âme sœur d’être heureuse, de se remarier « sans faute » et, surtout, d’avoir un enfant. Mélinée n’apprendra l’exécution de son mari que plusieurs semaines plus tard. Elle n'aura jamais d'enfants.
Recherchée par les Allemands, elle se teint les cheveux en brun. Désormais veuve, elle poursuit cependant ses actions résistantes jusqu’à la Libération. Une fois la guerre terminée, elle travaille en tant que secrétaire pour la Jeunesse arménienne de France. Avec 3 500 Arménien·nes de France, elle se porte ensuite volontaire pour un programme soviétique destiné à repeupler l’Arménie. Elle s’installe à Erevan où elle occupe un poste au sein de l’Institut de littérature de l’Académie des sciences. En 1954, elle publie, en arménien, une biographie sur son mari.
Mais déçue par la politique soviétique, Mélinée rentre à Paris en 1963 où elle œuvrera désormais discrètement pour la mémoire des résistant·es arménien·nes. Elle publie ainsi un recueil de poèmes de son mari. Elle se bat alors pour sa pension de veuve de guerre : on lui verse vingt ans de retard mais pas autant que ce qu’on lui doit.
Nommée chevalier de la Légion d'honneur
Vingt ans plus tard, elle participe à la réalisation du film Des terroristes à la retraite qui évoque la responsabilité de dirigeants du PCF dans l’arrestation de résistant·es communistes. En 1986, Mélinée Manouchian est nommée chevalier de la Légion d'honneur par François Mitterrand.
Elle meurt en 1989. Elle est enterrée au cimetière parisien d’Ivry non loin du carré militaire où repose son mari. Leurs cercueils ne seront réunis que six ans plus tard. C'est désormais ensemble qu'il·elle rejoindront leur dernière demeure, le Panthéon, le 21 février prochain.