Qui est Mélinée Manouchian, qui entre­ra pro­chai­ne­ment au Panthéon ?

Mélinée Manouchian fera son entrée au Panthéon aux côtés de son mari Missak le 21 février 2024. Si la résis­tante res­ca­pée du géno­cide armé­nien ne sera pas elle-​même pan­théo­ni­sée, sa vie mérite qu’on s’y attarde.

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Mélinée Manouchian en 1928–1929 ©DR

Le Panthéon comp­te­ra bien­tôt une nou­velle pen­sion­naire. Après Joséphine Baker en 2021, le monu­ment pari­sien situé dans le Ve arron­dis­se­ment va accueillir un couple de résis­tants armé­niens : Missak et Mélinée Manouchian, a annon­cé l’Élysée à l’occasion d’un hom­mage aux résis­tants fusillés au Mont-​Valérien dimanche 18 juin. 

Mélinée ne sera pas pour autant elle-​même pan­théo­ni­sée, elle entre­ra au pan­théon en février 2024 parce qu’elle est l’épouse de Missak Manouchian. Comme pour Antoine, l’époux de Simone Veil, entré·es au Panthéon en 2018, la famille ne vou­lait pas qu’on les sépare dans la mort. Pourtant, la vie de Mélinée mérite à bien des titres qu’on s’y attarde.

Rescapée du géno­cide arménien 

Mélinée Soukémian est née en 1913 dans une famille aisée de Constantinople, alors capi­tale de l’empire Ottoman, aujourd’hui deve­nue Istanbul. Elle a à peine quatre ans lorsqu’elle se retrouve orphe­line avec sa grande sœur. Leurs parents sont tués dans le géno­cide armé­nien. Les fran­gines sont pla­cées dans un orphe­li­nat en Grèce où les condi­tions de vie sont très dif­fi­ciles avant d’être envoyées à Marseille pour pour­suivre leur sco­la­ri­té. À 16 ans, la jeune fille obtient son cer­ti­fi­cat d’études avec men­tion. Elle s’installe à Paris où elle suit une for­ma­tion de secré­taire comp­table et de sténo-dactylographie.

Elle a 22 ans lorsqu’elle ren­contre Missak Manouchian – plus âgé de six ans – lors d’une fête orga­ni­sée par la Section fran­çaise du Comité de secours pour l’Arménie. Lui aus­si est orphe­lin, res­ca­pé du géno­cide armé­nien. Missak et Mélinée par­tagent le même idéal de la République. C’est pour­quoi le couple adhère ensemble au Parti com­mu­niste, le seul par­ti poli­tique capable selon eux de pro­té­ger la France de la mon­tée du fas­cisme en Europe. 

Première arres­ta­tion de Missak 

Missak et Mélinée par­ti­cipent aux grèves du Front popu­laire de 1936, qui laissent espé­rer des droits – vite dou­chés – pour les travailleur·euses immigré·es et les sans-​papiers. Dans leur petit appar­te­ment pari­sien, le couple fonde l’Union popu­laire franco-arménienne.

La veille du déclen­che­ment de la Seconde Guerre mon­diale, Mélinée assiste impuis­sante à l’incarcération de son mari en rai­son de sa proxi­mi­té avec l’Union sovié­tique, consi­dé­rée comme une nation enne­mie depuis qu’elle a signé, une semaine plus tôt, le pacte germano-​soviétique. En atten­dant la libé­ra­tion de Missak, Mélinée trouve un emploi dans une usine. Étant apa­tride aux yeux de l’État fran­çais, Mélinée n’aura pas le droit au masque à gaz dis­tri­bué par les mai­ries à la population.

L'engagement dans la Résistance 

Après la libé­ra­tion de Missak, le couple s’engage dans la Résistance au sein du groupe com­mu­niste des Francs-​tireurs par­ti­sans – Main d’œuvre immi­grée (FTP-​MOI). « Missak et moi étions deux orphe­lins du géno­cide. Nous n’étions pas pour­sui­vis par les nazis. Nous aurions pu res­ter cachés, mais nous ne pou­vions pas res­ter insen­sibles à tous ces meurtres, à toutes ces dépor­ta­tions de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui enca­draient l’armée turque lors du géno­cide armé­nien », déclare Mélinée Manouchian en 1977.

Forte de son expé­rience de sténo-​dactylographie, Mélinée entre dans la résis­tance où elle a pour rôle de por­ter des mes­sages secrets. En 1943, le groupe passe à la lutte armée. Mélinée est alors affec­tée au repé­rage et à l’espionnage des cibles d’attentats. Elle rédige ensuite des comptes-​rendus pour les commandos.

Nouvelle arres­ta­tion et exé­cu­tion de Missak 

L’étau se res­serre néan­moins autour des résistant·es et Missak est arrê­té par les forces alle­mandes. Il est accu­sé d’être l’auteur de nom­breux atten­tats. « Ma petite Mélinée, ma petite orphe­line bien-​aimée, écrit Missak. Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde […]. Cela m’arrive comme un acci­dent dans ma vie, je n’y crois pas mais je sais que je ne te ver­rai plus jamais. » Depuis sa cel­lule de la pri­son de Fresnes, il intime à son âme sœur d’être heu­reuse, de se rema­rier « sans faute » et, sur­tout, d’avoir un enfant. Mélinée n’apprendra l’exécution de son mari que plu­sieurs semaines plus tard. Elle n'aura jamais d'enfants.

Recherchée par les Allemands, elle se teint les che­veux en brun. Désormais veuve, elle pour­suit cepen­dant ses actions résis­tantes jusqu’à la Libération. Une fois la guerre ter­mi­née, elle tra­vaille en tant que secré­taire pour la Jeunesse armé­nienne de France. Avec 3 500 Arménien·nes de France, elle se porte ensuite volon­taire pour un pro­gramme sovié­tique des­ti­né à repeu­pler l’Arménie. Elle s’installe à Erevan où elle occupe un poste au sein de l’Institut de lit­té­ra­ture de l’Académie des sciences. En 1954, elle publie, en armé­nien, une bio­gra­phie sur son mari. 

Mais déçue par la poli­tique sovié­tique, Mélinée rentre à Paris en 1963 où elle œuvre­ra désor­mais dis­crè­te­ment pour la mémoire des résistant·es arménien·nes. Elle publie ain­si un recueil de poèmes de son mari. Elle se bat alors pour sa pen­sion de veuve de guerre : on lui verse vingt ans de retard mais pas autant que ce qu’on lui doit.

Nommée che­va­lier de la Légion d'honneur

Vingt ans plus tard, elle par­ti­cipe à la réa­li­sa­tion du film Des ter­ro­ristes à la retraite qui évoque la res­pon­sa­bi­li­té de diri­geants du PCF dans l’arrestation de résistant·es com­mu­nistes. En 1986, Mélinée Manouchian est nom­mée che­va­lier de la Légion d'honneur par François Mitterrand.

Elle meurt en 1989. Elle est enter­rée au cime­tière pari­sien d’Ivry non loin du car­ré mili­taire où repose son mari. Leurs cer­cueils ne seront réunis que six ans plus tard. C'est désor­mais ensemble qu'il·elle rejoin­dront leur der­nière demeure, le Panthéon, le 21 février prochain. 

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