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M.G. / Flickr

Prostitution à la cam­pagne : la peur et l’isolement pour les tra­vailleuses du sexe

Loin des asso­cia­tions, dans la crainte per­ma­nente de la dénon­cia­tion ou d'une agres­sion, les pros­ti­tuées qui exercent en milieu rural souffrent de l'isolement, alors que les cam­pagnes fran­çaises voient s'installer les réseaux sud-américains.

Dans un hameau ber­ri­chon, un don­jon se cache, insoup­çon­né. C’est chez elle que la “domi­na­trice pro­fes­sion­nelle” Berthe de Laon reçoit. “Ici, je fais mes séances avec mes sou­mis”, explique la jeune femme, qui se décrit comme une tra­vailleuse du sexe (TDS).

“Il y a une croix de Saint-​André. Je peux atta­cher les sou­mis aux poi­gnets et aux che­villes. Il y a aus­si une chaise prie-​Dieu parce que j’aime faire un peu de blas­phèmes reli­gieux. Il y a une corde pour atta­cher, un ban­deau pour les yeux, un fouet, une cra­vache et un mar­ti­net”, détaille-t-elle.

Installée depuis un peu plus de deux ans dans les envi­rons d'Argenton-sur-Creuse (Indre), Berthe (un pseu­do­nyme) mesure désor­mais les dif­fi­cul­tés d'exercer loin des villes.

“Je suis à deux kilo­mètres d’un vil­lage. Il y a juste trois mai­sons, des champs et des forêts. […] Ça peut faci­li­ter les agres­sions et les cam­brio­lages”, s’inquiète-t-elle.

La porte-​parole du Strass, le Syndicat du tra­vail sexuel en France, vit, elle, dans un petit vil­lage de l’ouest. Anaïs de Lenclos n’exerce pas sur place, comme de nom­breuses TDS rurales, qui s’éloignent le plus pos­sible de leur domi­cile. “Je ne tra­vaille pas là où je vis”, assure l’escorte, jalouse de sa tran­quilli­té au quo­ti­dien. Car, à la cam­pagne, l’anonymat reste “un gros enjeu”, abonde Berthe : “Tout le monde a une réputation.”

Caméras et gros chien

Et puis, il y a les agres­sions. En ville, les pros­ti­tuées se pré­viennent avant un rendez-​vous ou se regroupent dans cer­taines rues. À la cam­pagne, c’est impos­sible. Berthe raconte sa peur, constante. Que faire face à un client violent ? “Crier super fort à la fenêtre pour qu’un voi­sin arrive ? En admet­tant qu’il entende ?”

Pour la jeune femme, la prin­ci­pale crainte reste le cam­brio­lage. Selon le Strass, les pros­ti­tuées, sou­vent payées en liquide, ont la répu­ta­tion d'être des cibles faciles. "Ma stra­té­gie, c'est d'avoir un gros chien qui fait peur et des camé­ras de sur­veillance", s'amuse Berthe, avant de se faire sérieuse. "On ne sait jamais si mon adresse n'a pas été lâchée sur un forum. Ça devient une sus­pi­cion de tous les jours. Dès qu'une voi­ture passe devant chez moi, je me demande ce que c'est."

Dans ce quo­ti­dien anxio­gène, dif­fi­cile aus­si d’aller cher­cher de l’aide. Le Strass regrette le manque de for­ma­tion des soignant·es des petites villes, peu habitué·es aux TDS. “Je vais voir un psy à Tours, à deux heures de route. La plu­part de mes col­lègues ne peuvent pas se le per­mettre, donc on renonce à beau­coup de soins”, déplore Berthe. “Une très grosse dif­fi­cul­té de l’activité reste l’isolement, on est tel­le­ment stig­ma­ti­sé qu’on ne peut pas par­ler de ce qu’on fait”, estime Anaïs.

Quant aux asso­cia­tions, faute de moyens, elles sont par­fois tout sim­ple­ment absentes du pay­sage, se concen­trant sur les zones urbaines ou péri­ur­baines, où la pros­ti­tu­tion est plus dense. Ainsi, le Mouvement du nid, prin­ci­pale asso­cia­tion abo­li­tion­niste en France, admet inter­ve­nir très peu dans les cam­pagnes. Pourtant, mal­gré les dif­fi­cul­tés, les TDS sont de plus en plus nom­breuses à s’y ins­tal­ler, selon le Strass. “Dans la région entre Le Mans, Angers et Tours, dans laquelle je tra­vaille, on était cin­quante ou cent avant le Covid. Maintenant, on est entre deux cents et quatre cents, chiffre Anaïs. Ça suit le mou­ve­ment de pau­pé­ri­sa­tion de la population.”

Dématérialisation

Police et gen­dar­me­rie constatent aus­si cette aug­men­ta­tion. Mais, dans ce phé­no­mène, il n’est plus ques­tion d’escortes ou de “tra­di­tion­nelles” dans des camion­nettes, mais de réseaux. Ces der­niers s’étendent dans les cam­pagnes, selon Lénaïg Le Bail, cheffe de l’Office cen­tral pour la répres­sion de la traite des êtres humains (OCRTEH). Ces der­nières années, l’OCRTEH a consta­té une dimi­nu­tion sen­sible de la pros­ti­tu­tion sur la voie publique, au pro­fit de celle “logée”, en hôtel ou appar­te­ment. Phénomène corol­laire, l’activité passe désor­mais par Internet. Cette “ubé­ri­sa­tion” est deve­nue le mode opé­ra­toire pri­vi­lé­gié des réseaux, à com­men­cer par ceux d’Amérique du Sud, qui percent “depuis trois ou quatre ans”, selon Lénaïg Le Bail.

Les pros­ti­tuées sont alors exploi­tées en sex tours, grâce à des loca­tions de courte durée et des plan­nings bou­clés à l’avance sur des sites spé­cia­li­sés, explique-​t-​elle. “Quatre jours à Lyon, trois jours à Béziers et quatre jours à Châteauroux…”, raconte la poli­cière. “Les réseaux ont inves­ti le champ des petites villes. Les sex tours per­mettent de ne pas être détec­tés rapi­de­ment et de diver­si­fier la clien­tèle. On est dans une logique com­mer­ciale pure.” À ce jour, la lutte contre les réseaux inter­na­tio­naux, qu’ils viennent de Chine, du Nigeria ou d’Amérique du Sud, consti­tue la moi­tié des dos­siers de l’OCRTEH.

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