Douze candidat·es ont obtenu leurs cinq cents signatures. Mais une soixantaine avaient tenté l’aventure, dont certain·es ont contracté un prêt, tenu meeting sur leurs congés payés, enchaîné les nuits sur des canapés-lits. Nous avons suivi cinq de ces « petit·es » candidat·es dans la dernière ligne droite, avant la clôture des parrainages. Ils·elles racontent à Causette cette bataille perdue d’avance, loin d’être inutile à la démocratie.
J‑20 avant la clôture des parrainages : Samedi 12 février
Paris, 10 h 30. Lorsque Hélène Thouy commence son discours devant l’Association des maires de France, le mégaphone lui fait une voix d’animatrice de fête foraine. Il est, par erreur, branché en mode « réverbération ». Pourtant, le ton se veut grave. Nous sommes à un happening du Parti animaliste, qui milite pour une société plus éthique envers les animaux. Depuis début 2021, Hélène Thouy est la candidate du parti à l’élection présidentielle. Elle est là, avec son équipe, sous un ciel bleu glacé, pour « enterrer le pluralisme démocratique ». Autour d’elle, il y a un corbillard, un cercueil orné d’une gerbe de fleurs, une soixantaine de militant·es, une poignée de journalistes et quelques chiens. Sa voix, encore en mode « écho », dénonce les candidat·es « qui ont plus de parrainages » que les cinq cents nécessaires pour accéder au premier tour. En particulier, « certains qui fanfaronnent sur Internet ». Petite référence à Valérie Pécresse, candidate Les Républicains, qui se vante d’en avoir alors 1 249 – elle en aura 2 636 le 4 mars, à la clôture des candidatures. Hélène Thouy a recueilli, elle, trois cents promesses, mais n’a à ce jour que cinquante-six signatures. « On vous demande dix fois par jour “Vous en êtes à combien ?”, souffle la candidate, quelques jours plus tard, devant un café. Ça donne l’impression que c’est la seule chose qui compte. Et que nos efforts ne sont pas suivis d’effets », vu le nombre d’élu·es qui ne tiennent pas parole. Elle avait pourtant tout rodé. Jusqu’à l’été 2021, « on a étudié les parrainages des précédentes années pour développer une stratégie ». Notamment « des techniques d’approche » des maires. « J’essaie de casser le cliché selon lequel les animaux, c’est un truc de bobo. J’incarne la ruralité. Je viens d’un village de cinq mille habitants. »
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le pluralisme démocratique, le 12 février, à Paris.
© Parti animaliste
Avocate spécialiste de la famille et des animaux, Hélène Thouy vit en effetdans le Sud-Ouest avec un chat et « deux lapins sauvés de l’élevage ». Quand elle monte à Paris, elle dort chez des copines. Ses supporteur·rices ne ressemblent pas non plus à des hipsters. On trouve parmi les militant·es venu·es la soutenir Liliane, habitante d’Eure-et-Loir de 72 ans, « végane depuis 2015 ». Ou trois amies de banlieue parisienne, attristées de voir qu’aucun·e autre candidat·e « ne pense aux caniparcs ». Le seul moment où elles pourront voter selon leurs convictions, c’est aujourd’hui, dans le cercueil prévu à cet effet. Les militant·es présent·es y glissent un bulletin « Hélène Thouy » en prononçant « n’a pas pu voter ». La course est en effet perdue d’avance. Mais le marathon continue. Hélène Thouy est déjà en route pour visiter un refuge.
J‑19 : Dimanche 13 février
Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), 9 heures. Aujourd’hui, Anasse Kazib ne travaille pas. Mais il n’est pas en repos pour autant. Ce cheminot fait campagne pour l’élection présidentielle, où il se présente comme « le candidat révolutionnaire des travailleur·ses, de la jeunesse et des quartiers populaires ». Pour l’heure, il a obtenu 99 parrainages. Ce qui fait de lui le plus gros candidat parmi les non-professionel·les de la politique. Mais il fulmine de voir que, une fois de plus, son nom passe à la trappe dans les récap effectués par les médias. Comme celui diffusé la veille sur CNews, où apparaissent pourtant nombre d’outsiders : Hélène Thouy (cinquante-six parrainages), Christiane Taubira (quarante-sept) et même Florian Philippot (crédité d’une seule signature). « Le système ne veut pas voir sur la ligne de départ un candidat ouvrier issu de l’immigration avec un discours qui peut faire déplacer les ouvriers et les quartiers populaires », estime celui qui fut, pendant deux ans, chroniqueur aux Grandes Gueules, sur RMC. Alors, il mobilise ses soutiens sur Twitter. « Je vous invite à jouer de cette situation avec le #OùEstAnasse à chaque fois qu’un média m’efface », lance-t-il ce matin-là à ses 63 000 abonné·es.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 2 AnasseKazib février2022 TeresaSuarez 018](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/AnasseKazib_février2022_TeresaSuarez_018-732x1024.jpg)
J‑17 : Mardi 15 février
Rennes (Ille-et-Vilaine), 19 heures. Dans la salle de danse d’une maison de quartier, une militante fignole une banderole : « RENNES avec ANASSE – En route pour les 500. » Ce soir, Anasse Kazib, le candidat de Révolution permanente (c’est le nom de son organisation politique) arrive de Paris pour animer une réunion publique, comme il l’a déjà fait à Nantes, Strasbourg, Bordeaux ou Metz. « Organiser une réunion comme ça, ça commence avec huit jeunes dans un salon. On fait tout à la force du poignet : le midi, tu vas à Rennes 2 pour tracter ; le soir, tu fais un collage ; le lendemain, tu vas à PSA et le lendemain… tu recommences », résume Erell, qui jongle entre ses études de socio, son taf de surveillante et Révolution permanente. Peu à peu, la salle se remplit d’une bonne centaine de personnes. Parmi elles, il y a Louise, une enseignante à la retraite qui n’a « jamais voté » – et ne votera pas. « Anasse est le seul à soutenir le collectif Vérité et Justice pour Babacar Gueye [un jeune Sénégalais tué par des policiers de la BAC en 2015, ndlr], c’est pour ça que je suis là », explique-t-elle. Deux rangs plus loin, il y a Chloé et Vassili, deux étudiant·es venu·es de Laval. Elle aimerait voter pour un « vrai candidat de gauche », lui est ami avec un membre de Révolution permanente, les deux sont intrigué·es par le projet de ce candidat aux « idées radicales » et au « parcours ouvrier ».
![Petits candidats : et pourtant ils courent 3 AnasseKazib reunion TeresaSuarez 011](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/AnasseKazib_reunion_TeresaSuarez_011-1024x683.jpg)
19 h 30. L’homme de la soirée vient d’arriver. Après avoir laissé la parole aux trois camarades présent·es à ses côtés, il entre dans le vif du sujet. Capitalisme, impérialisme, violences policières, sexistes, crise écologique : voilà pourquoi Anasse Kazib s’est lancé dans la bataille. « Pour faire entrer ces luttes au pied-de-biche dans la présidentielle », défend le candidat, dont la mine fatiguée a laissé place à la fougue militante. Lui qui a été de toutes les mobilisations sociales de ces dernières années ambitionne de créer un bloc de résistance révolutionnaire. « Mais qu’est-ce qui vous distingue de Lutte ouvrière ou du Nouveau Parti anticapitaliste ? » lui demande un homme. Beaucoup de choses, à en croire Kazib. Qui critique leur logique d’appareil (il est lui-même un dissident du NPA), leur inertie et une vision parfois passéiste des luttes sociales. « Quand on demande à Nathalie Arthaud si elle condamne les attaques contre les Hijabeuses 1, elle répond par l’oppression dans les usines. C’est une position adaptée pour parler au prolo blanc, à la classe ouvrière des années 1920–1930. Nous, on s’adresse à la classe ouvrière d’aujourd’hui. Il y a une nouvelle génération qui vient avec une certaine combativité et qui veut prendre en considération les différentes formes d’oppression », détaille-t-il à Causette.
22 h 30. Pour Révolution permanente, le pari est gagné : « Cent personnes présentes, alors qu’on n’existait même pas sur Rennes il y a trois mois, c’est une réussite. Ça pose des bases pour construire des mobilisations futures », se félicite Erell.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 4 AnasseKazib reunion TeresaSuarez 006](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/AnasseKazib_reunion_TeresaSuarez_006-1024x683.jpg)
J‑16 : Mercredi 16 février
Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), 10 heures. Parti à l’aube de Rennes, Anasse Kazib arrive sous les fenêtres du conseil régional d’Île-de-France, où se tient un rassemblement intersyndical contre la « casse du rail ». Entre mégaphones et fumigènes, ce délégué SUD-Rail est venu soutenir les camarades de lutte et serrer quelques paluches (comme celle d’Alexis Corbière, député LFI). L’après-midi, il doit encore rencontrer des militant·es engagé·es contre le validisme 2, emmener son fils faire une prise de sang et, peut-être, trouver le temps de manger. « Il y a dix jours, j’ai posé des congés. Le mois de janvier a été horrible : après ma journée de boulot, je prenais le train pour Chambéry, je faisais un meeting, puis je revenais le lendemain matin et j’enchaînais avec le travail », raconte cet aiguilleur du rail. Son café à la main, il poursuit : « Ma candidature montre que c’est pas juste une histoire de “y a qu’à, faut qu’on” : en réalité, un ouvrier ne peut pas faire de politique, sinon en faisant énormément de sacrifices. Car ce système est calibré pour des partis bourgeois, qui n’ont pas besoin de travailler et qui vivent sur l’argent du contribuable. » Et l’argent, précisément, c’est le nerf de la guerre. « Plus d’une dizaine de banques ont refusé de nous ouvrir un compte. La Banque de France est intervenue mais, deux mois après, notre compte n’est toujours pas ouvert », constate-t-il. Son seul atout de cheminot, c’est qu’il ne paie pas le train. Mais il faut encore financer les tracts, les affiches, la recherche de parrainages… « On a collecté 40 000 euros, beaucoup grâce à nos proches », précise Anasse Kazib. Il peut aussi compter sur les 450 militant·es engagé·es à ses côtés, qui y vont parfois de leur poche. Comme Yassine, qui a récemment posé une semaine de congés pour partir en Haute-Saône à la pêche aux parrainages. « Là, on avait un contact sur place, on a pris sa voiture et on a été voir une trentaine de maires », raconte ce salarié de la RATP. Bilan de l’opération : une signature. Et un enregistrement audio dans lequel on entend le maire d’une commune rurale expliquer pourquoi la publication des parrainages le dissuade de donner le sien. Il craint, dit-il, que cela ne le « catalogue » politiquement, et qu’on lui refuse ensuite certaines subventions départementales ou régionales, dont sa commune a besoin.« On estime avoir 190 promesses de validées », compte Anasse Kazib. Tic-tac, tic-tac…
![Petits candidats : et pourtant ils courent 5 AnasseKazib février2022 TeresaSuarez 008](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/AnasseKazib_février2022_TeresaSuarez_008-1024x683.jpg)
Albertville (Savoie), 16 heures. À l’autre bout de la France, au creux des montagnes alpines, débarque une petite Dacia rouge. À son bord, trois énergumènes arrivent d’Auvergne. Martin Rocca, le plus jeune candidat à l’élection présidentielle (22 ans), avec sa silhouette de grand ado intello. Marc Batard, 70 ans, alpiniste mythique (surnommé « le sprinteur de l’Everest » – il n’aime pas ce surnom – pour l’avoir gravi en solitaire, sans oxygène en moins de vingt-quatre heures, en 1988). Cet ancien des Insoumis s’est improvisé « coach » électoral de Martin après avoir découvert le projet du petit sur Facebook. Et enfin, Denis, le mari de Marc, qui filme toutes les aventures de l’intrépide duo sur leur tour de France. Ils en sont à 16 000 kilomètres de route, pour obtenir leurs signatures. Mais ce jour-là, on surfe plutôt sur le sillon de la lose. Sur trois-quatre rendez-vous promis avec les maires du coin, seuls deux auront lieu, dont un décalé au lendemain. Mais en plus, l’outil principal de campagne de Martin Rocca est tombé en panne : sa caravane parsemée d’autocollants bleu et jaune (les couleurs de sa campagne) est restée bloquée aux alentours de Roanne.
D’habitude, Marc et Denis dorment dedans (Martin, dans des hôtels ou des campings environnants), lorsqu’ils traversent le pays pour aller à la rencontre des élu·es. Ils ont commencé à l’été 2021. Le regretté véhicule abrite « le meilleur et le pire souvenir » de campagne de Martin Rocca. Il nous le raconte en conduisant sur les sinueuses routes alpines qui le mènent chez une amie de Marc pour passer la nuit. « Il était 6 h 30. Je dormais pour une fois dans le fourgon. Il faisait – 3 °C. La chienne de Marc et Denis dormait avec nous. Imaginez l’odeur… On était sur le parking d’une usine. J’ai eu une grosse remise en question. “Qu’est-ce que je fous là ?!” On avait rendez-vous à 11 heures avec un maire hyper sceptique vis-à-vis du projet. » Ça, c’est pour la partie cauchemar. Une fois à la mairie, face à l’élu, Martin Rocca a retrouvé la foi en déroulant son projet.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 6 MFache 17022022 Martin Rocca Candidat presidentielles Causette France0033](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/MFache_17022022_Martin-Rocca-Candidat-presidentielles_Causette_France0033-1024x683.jpg)
![Petits candidats : et pourtant ils courent 7 MFache 17022022 Martin Rocca Candidat presidentielles Causette France0002](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/MFache_17022022_Martin-Rocca-Candidat-presidentielles_Causette_France0002-1024x683.jpg)
Il se veut « ni de droite ni de gauche » (mais anti extrême droite). Son objectif n’est pas d’être élu, mais d’accéder au premier tour pour appeler à la création d’une assemblée constituante, dans le but de « rénover nos institutions » et « faire plus pour l’écologie ». Déployer son argumentaire donne des ailes au jeune idéaliste. Il est diplômé d’une double licence histoire-philo et a bossé en tant que traducteur. Mais Martin Rocca a aussi été livreur à vélo « deux ans en banlieue nord de Paris ». Il a fait un prêt de 20 000 euros et pris une année sabbatique pour aller au bout de son idée. Avec « une cinquantaine » de promesses de parrainages, dont trois officialisées à ce jour, la réalité est plus dure que le rêve. « Il y a un an que je n’ai fait aucun sport. J’ai perdu 6 kilos. Je suis une crevette. » Les lave-glaces de la voiture crissent. Il éteint le moteur.
J‑15 : Jeudi 17 février
Albertville (Savoie), 11 heures. Aujourd’hui est censé être un plus grand jour. Après une interview avec un journaliste du Dauphiné libéré, Martin Rocca rencontre le maire d’Ugine à 11 heures. Mais Marc, son coach, a oublié de prévenir l’équipe municipale que le journaliste en question et l’équipe de Causette seraient présent·es. (« Je ne suis pas très bien organisé… j’oublie souvent de rappeler », avouera-t-il à l’heure du déjeuner, attablé devant une bavette). L’élu s’énerve. Il se sent « piégé ». Et annonce n’accorder que dix minutes au candidat. Dans son sweat-shirt bleu à bouloches Patagonia, Martin Rocca ne se démonte pas. Ledit maire « n’a jamais accordé de parrainage à personne, commente en scred le journaliste du Dauphiné libéré, et c’est un soutien de Sarkozy ». Comme lui, près de 70 % des élu·es habilité·es n’ont pas accordé leur parrainage aux précédentes élections. En sortant de la réunion, Marc positive. « Il a écouté Martin pendant vingt minutes au lieu de dix. Mais il a plutôt essayé de lui donner des conseils pour une carrière politique. Je vais essayer de le harceler ! Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. »
La team du candidat a envisagé quelques secondes d’aller tracter au marché d’à côté. Mais réunion éprouvante et pluie froide obligent, l’équipe remonte dans la Dacia, direction Annecy. Sur le trajet, Denis, le discret vidéaste, tient à s’arrêter sur un ponton du lac pour s’entraîner à l’appareil. Il photographie donc les montagnes. Oh ! un petit canard passe par là… Martin Rocca prend la pose pour ses vidéos de campagne. La troupe, satisfaite, reprend la route du restaurant. Mange sa bavette. Puis erre de nouveau sur les bords du lac. Marc tente de retrouver le numéro de l’élu booké à 17 heures. Il l’a perdu. L’occasion pour Martin Rocca d’appeler son deuxième coach, Olivier Grima, maire de Castelculier, dans le Lot-et-Garonne, son premier parrain électoral. « Mon souci, c’est qu’il n’y a qu’une centaine de maires qui ont entendu parler du projet », regrette-t-il. Ce qui l’énerve le plus : les cinq tribunes qu’il a proposées au Monde et autres grands médias, toutes refusées. « Ça n’est pas facile, répond Olivier Grima, mais c’est encore possible, il faut aller au bout de la démarche. » Le candidat regarde au loin. « Si Marc ne m’avait pas soutenu, j’aurais arrêté. » Il a tout de même hâte que ça se termine pour se remettre aux jeux vidéo. « Dès que c’est fini, je pense que je vais m’enfermer et jouer à Civilisation. »
J‑13 : Samedi 19 février
Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), 14 heures. Ambiance relax dans cette petite maison de banlieue parisienne. Florie Marie (c’est un pseudo), 34 ans, vient de s’habiller. C’est le week-end pour cette « consultante pour un logiciel technico-fonctionnel ». Elle a enfilé un slim, une chemise grise et des Dr. Martens en croco rouge. Ici, chez ses parents, c’est son QG de campagne, qu’elle mène intégralement sur Internet. Elle occupe la chambre d’ami en attendant de déménager et n’a pour soutien logistique que Loulou, splendide chat café au lait. Sa candidature, au nom du Parti pirate, défenseur des libertés sur Internet et de l’autogestion, situé à l’extrême gauche, n’a été annoncée que cette semaine. Comme deux autres pirates candidats, elle a simplement envoyé un mail aux 36 000 maires et affiché « candidat·e » sur sa bio Twitter. « On n’est pas un parti traditionnel, on ne fait pas les choses comme les autres, s’amuse Florie Marie. Notre objectif est clair : les législatives. Pour nous, c’est l’élection importante qui permet d’accéder ou non à un financement public, en ayant au moins 1 % des voix dans cinquante circonscriptions. En juillet dernier, on a fait un vote entre nous pour savoir si on se présentait ou non à la présidentielle en parallèle. Quelques pirates voulaient le faire. D’autres non. Certains voulaient le faire dans un registre comique pour faire un coup de com. Au final, on a repoussé la décision. » Et nous voilà à douze jours de la date butoir. « On est parfaitement conscients qu’on ne les aura pas. On en aimerait un pour apparaître dans la liste du Conseil constitutionnel. » L’important, c’est de défendre leurs idées.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 8 FlorieMarie test TeresaSuarez 015](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/FlorieMarie_test_TeresaSuarez_015-682x1024.jpg)
de campagne dans le pavillon de ses parents, en banlieue parisienne. © TS
![Petits candidats : et pourtant ils courent 9 FlorieMarie test TeresaSuarez 001 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/FlorieMarie_test_TeresaSuarez_001-2-682x1024.jpg)
Florie Marie le fait à travers sa quasi unique action de campagne : son live Twitch. « Dans un coin du salon, sur un bureau d’un mètre sur un mètre. » Tous les samedis, pour ce dernier mois et demi de campagne, elle s’y connecte vers 16 heures afin de lire le manifeste du Parti pirate, un manuscrit de trois cents pages. Aujourd’hui, elle reprend sa lecture à la section agriculture. Elle s’installe avec sa bouteille de thé glacé, allume sa webcam et son nouveau joujou : un luminaire circulaire (comme son casque audio, il change de couleur). Après deux-trois blagues à la vingtaine d’internautes en ligne, elle se lance. « Je ne suis pas spécialiste de l’agriculture, mais je sens qu’il y a des choses à changer », commente-t-elle, au sujet du manifeste, en plaidant pour « l’agriculture de conversion ». Autre particularité du parti : « Le programme évolue tous les mois. » Les pirates votent à son sujet lors de réunions mensuelles, au gré des conclusions de leurs débats. Mais certains thèmes restent. « La suppression de l’échelon départemental, la défense du pouvoir des localités, la suppression des mutilations des personnes intersexes, le fait de descendre à quatre cents députés » et « l’élection proportionnelle intégrale », c’est-à-dire la fin du système majoritaire. Ses proches la soutiennent moyennement. « Ils ne me prennent pas au sérieux. Mes parents n’ont pas vraiment noté que j’étais candidate à l’élection présidentielle. » Pourtant, Florie Marie est loin d’être amatrice. Elle a bossé chez les Verts pendant sept ans avant de devenir pirate et a mené plusieurs campagnes locales. « Le Code électoral a été mon livre de chevet. » 2022, c’est juste « trop tôt » pour elle. « J’aurais aimé que ce soit dans cinq ans. Je compte le refaire à ce moment-là. » En attendant, il reste Loulou.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 10 FlorieMarie test TeresaSuarez 021](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/FlorieMarie_test_TeresaSuarez_021-1024x683.jpg)
J‑9 : Mercredi 23 février
Tilloy-lez-Marchiennes (Nord), 11 heures. Marie Cau est en train d’éplucher un tas d’obscurs documents administratifs sur la gestion des voies d’eau. « Un casse-tête », selon cette ancienne ingénieure. Depuis 2020, elle est maire de cette petite bourgade de 541 âmes – et la première femme transgenre à avoir été élue à ce poste, comme le rappellent régulièrement les médias. Voilà un an, elle a décidé de se lancer dans la course à la présidentielle. « À l’époque, on parlait de Bigard, de Zemmour comme potentiels candidats. Je me suis dit : “Ce n’est pas possible” », se souvient la quinquagénaire. Alors elle a décidé d’y aller, histoire d’incarner une voix citoyenne progressiste. « J’avais une bonne notoriété par rapport à ma situation, donc je me suis dit que ça pourrait être l’occasion de faire passer des messages. C’était un coup de poker. Je savais que ça allait être très compliqué. Mais pas qu’il y aurait autant de freins », concède-t-elle, pendant que sa femme, Nat, finit de préparer le déjeuner – filet-mignon, pommes de terre et flageolets.
![Petits candidats : et pourtant ils courent 11 MarieCau test TeresaSuarez 032](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/MarieCau_test_TeresaSuarez_032-1024x683.jpg)
Ces freins, c’est d’abord l’argent. « Il y a 35 000 maires. Si vous envoyez un courrier à chacun, c’est 35 000 euros. 70 000 si vous envoyez une relance. Là, il faut hypothéquer la maison ! Parfois, les gens me demandent : “On peut venir vous voir en meeting ?” Je leur dis : “Vous rigolez ?” Il faut être réaliste : ma campagne, c’est une campagne à coût zéro, ou presque », résume-t-elle depuis sa salle à manger. Depuis six mois, Marie Cau et la quinzaine de bénévoles qui la soutiennent s’attèlent donc à envoyer des milliers de mails et, parfois, à appeler directement les maires. « Ça n’a donné quasiment aucun résultat. Parfois, les gens nous raccrochent même au nez. Et puis j’ai eu quelques coups bas, on a fait circuler le bruit que je ne me présentais plus… C’est dur », constate cette élue rurale, qui n’a, pour l’heure, grappillé que trois signatures.
Restent les médias, seuls à même de pouvoir faire décoller sa candidature. Mais si La Voix du Nord, Le Point ou France 3 Régions ont répondu présent, les chaînes nationales, elles, boudent les « petit·es » candidat·es. « Petits candidats, grandes idées », corrige Marie Cau, qui défend « un programme avec des actions simples, concrètes et techniquement réalisables. Moi, je ne suis pas dans l’utopie, je ne cherche pas à révolutionner le monde. Je propose des mesures de bon sens. Par exemple, que les pensions alimentaires soient prélevées par les impôts et plus par la CAF [Caisse d’allocations familiales, ndlr]. Ou que les délits sexuels soient imprescriptibles ». Pour autant, elle ne se berce pas d’illusions. « On se retrouve dans une élection à trois tours, où les maires décident qui a le droit d’être élu », dénonce-t-elle en haussant les épaules. Lucide, mais sans regret. « Ma candidature permet de donner une visibilité aux personnes LGBT. Ça, c’est quand même une victoire. »
![Petits candidats : et pourtant ils courent 12 MarieCau test TeresaSuarez 020](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/MarieCau_test_TeresaSuarez_020-1024x683.jpg)
de donner une visibilité aux personnes LGBTQI. © TS
J‑3 : Mardi 1er mars
Paris, 11 heures. Une candidate animaliste dans l’antre de l’exploitation des bêtes, ça n’est pas de bon augure. Et cela résume bien la situation d’Hélène Thouy à son passage au Salon de l’agriculture. Elle porte un sac beige en cuir végan (c’est noté en gros dessus). Elle est attendue sur le plateau éphémère de Public Sénat pour deux débats : l’élevage et la chasse. Le contexte est tellement serein que Public Sénat a reçu « des menaces » pour avoir également invité à ces débats la cofondatrice de L214, Brigitte Gothière. Pour sa sécurité, elle a dû intervenir en visio. Parmi les autres invités : Thierry Coste, lobbyiste de la chasse ; Étienne Gangneron, du syndicat pro-exploitation FNSEA ; et, assis à la gauche d’Hélène Thouy, Emmanuel Rizzi, éleveur jurassien, vice-président de la Coordination rurale. Son voisin de table est là pour la descendre. Il dénonce « deux loups » présents sur le plateau (Hélène Thouy et Brigitte Gothière), qui « ne sont pas qualifiés pour parler d’élevage », parmi « les agneaux » que sont les autres invités (eux, donc). Puis vient le tour de la candidate animaliste, « responsable des suicides d’agriculteurs ». Thierry Coste coupe la parole à Hélène Thouy. « Non, je ne vous laisserai pas finir ! Vous racontez tellement de conneries ! » beugle-t-il. L’avocate résiste. Rappelle que le Parti animaliste a créé la surprise en recueillant 2,2 % des suffrages aux européennes, « beaucoup plus que le parti Chasse, pêche, nature et traditions », qui a dû s’allier aux Républicains et aux centristes pour continuer d’exister.
Le combat de boxe dure quarante-cinq minutes. À la sortie du ring, Hélène Thouy semble incroyablement épanouie. « On est légitimes à parler. Il faut vraiment prendre la place », philosophe-t-elle. La femme de droit est habituée aux moments de tension. Le 4 mars, elle sera au tribunal en train de plaider dans une affaire d’abattoir. Elle boira un coup à la fin de la campagne, si elle ne rentre pas trop tard. En attendant, elle en redemande. Prochain rendez-vous, dans l’après-midi : une interview chez Chassons.com.
Jour J : Vendredi 4 mars
Saint-Denis, 18 heures. Comme les autres candidat·es que Causette a suivi·es, Anasse Kazib n’a pas obtenu les cinq cents sésames 3. Mais la partie n’est pas encore terminée. La veille, il a été convoqué au commissariat pour un rassemblement non autorisé, organisé un mois plus tôt devant la Sorbonne. « Mon avocat m’annonce que le parquet de Paris s’acharne et a décidé de me convoquer le 18 mai prochain devant le procureur », prévient-il. En attendant, l’heure est à la fête : celle de la soirée de clôture de la campagne. Et déjà, Anasse Kazib pense à la suite : « Autant la présidentielle est inaccessible, autant les législatives sont abordables. » Quoi qu’il advienne, il n’aura pas fait tout ça pour rien. « Si, demain, il y a une phase de lutte de classes, les gens se diront : “Ah oui, c’est Anasse, le gars qui était candidat à la présidentielle et qui n’a pas pu s’exprimer”. Un profil comme le mien aura beaucoup plus de légitimité. La légitimité de celui qui a essayé de lutter contre le système et face auquel le système a été plus fort à ce moment-là. » Dans cette lutte digne de David contre Goliath, ces candidat·es ont peut-être perdu la manche de la présidentielle, mais ils et elles n’ont pas dit leur dernier mot. Et comptent bien continuer à se battre, dans les urnes ou dans la rue, pour réanimer un système démocratique à bout de souffle.
1. Collectif de femmes qui militent pour le droit de porter le voile
sur les terrains de foot.
2. Discrimination à l’encontre des personnes atteintes d’un handicap.
Le validisme repose sur l’idée qu’être valide représente la norme sociale.
3. Nombre de parrainages validés : Marie Cau, 8 ; Florie Marie, 0 ; Anasse Kazib, 160 ; Martin Rocca, 9 ; Hélène Thouy, 139.