Douze candidat·es ont obtenu leurs cinq cents signatures. Mais une soixantaine avaient tenté l’aventure, dont certain·es ont contracté un prêt, tenu meeting sur leurs congés payés, enchaîné les nuits sur des canapés-lits. Nous avons suivi cinq de ces « petit·es » candidat·es dans la dernière ligne droite, avant la clôture des parrainages. Ils·elles racontent à Causette cette bataille perdue d’avance, loin d’être inutile à la démocratie.
J‑20 avant la clôture des parrainages : Samedi 12 février
Paris, 10 h 30. Lorsque Hélène Thouy commence son discours devant l’Association des maires de France, le mégaphone lui fait une voix d’animatrice de fête foraine. Il est, par erreur, branché en mode « réverbération ». Pourtant, le ton se veut grave. Nous sommes à un happening du Parti animaliste, qui milite pour une société plus éthique envers les animaux. Depuis début 2021, Hélène Thouy est la candidate du parti à l’élection présidentielle. Elle est là, avec son équipe, sous un ciel bleu glacé, pour « enterrer le pluralisme démocratique ». Autour d’elle, il y a un corbillard, un cercueil orné d’une gerbe de fleurs, une soixantaine de militant·es, une poignée de journalistes et quelques chiens. Sa voix, encore en mode « écho », dénonce les candidat·es « qui ont plus de parrainages » que les cinq cents nécessaires pour accéder au premier tour. En particulier, « certains qui fanfaronnent sur Internet ». Petite référence à Valérie Pécresse, candidate Les Républicains, qui se vante d’en avoir alors 1 249 – elle en aura 2 636 le 4 mars, à la clôture des candidatures. Hélène Thouy a recueilli, elle, trois cents promesses, mais n’a à ce jour que cinquante-six signatures. « On vous demande dix fois par jour “Vous en êtes à combien ?”, souffle la candidate, quelques jours plus tard, devant un café. Ça donne l’impression que c’est la seule chose qui compte. Et que nos efforts ne sont pas suivis d’effets », vu le nombre d’élu·es qui ne tiennent pas parole. Elle avait pourtant tout rodé. Jusqu’à l’été 2021, « on a étudié les parrainages des précédentes années pour développer une stratégie ». Notamment « des techniques d’approche » des maires. « J’essaie de casser le cliché selon lequel les animaux, c’est un truc de bobo. J’incarne la ruralité. Je viens d’un village de cinq mille habitants. »

le pluralisme démocratique, le 12 février, à Paris.
© Parti animaliste
Avocate spécialiste de la famille et des animaux, Hélène Thouy vit en effetdans le Sud-Ouest avec un chat et « deux lapins sauvés de l’élevage ». Quand elle monte à Paris, elle dort chez des copines. Ses supporteur·rices ne ressemblent pas non plus à des hipsters. On trouve parmi les militant·es venu·es la soutenir Liliane, habitante d’Eure-et-Loir de 72 ans, « végane depuis 2015 ». Ou trois amies de banlieue parisienne, attristées de voir qu’aucun·e autre candidat·e « ne pense aux caniparcs ». Le seul moment où elles pourront voter selon leurs convictions, c’est aujourd’hui, dans le cercueil prévu à cet effet. Les militant·es présent·es y glissent un bulletin « Hélène Thouy » en prononçant « n’a pas pu voter ». La course est en effet perdue d’avance. Mais le marathon continue. Hélène Thouy est déjà en route pour visiter un refuge.
J‑19 : Dimanche 13 février
Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), 9 heures. Aujourd’hui, Anasse Kazib ne travaille pas. Mais il n’est pas en repos pour autant. Ce cheminot fait campagne pour l’élection présidentielle, où il se présente comme « le candidat révolutionnaire des travailleur·ses, de la jeunesse et des quartiers populaires ». Pour l’heure, il a obtenu 99 parrainages. Ce qui fait de lui le plus gros candidat parmi les non-professionel·les de la politique. Mais il fulmine de voir que, une fois de plus, son nom passe à la trappe dans les récap effectués par les médias. Comme celui diffusé la veille sur CNews, où apparaissent pourtant nombre d’outsiders : Hélène Thouy (cinquante-six parrainages), Christiane Taubira (quarante-sept) et même Florian Philippot (crédité d’une seule signature). « Le système ne veut pas voir sur la ligne de départ un candidat ouvrier issu de l’immigration avec un discours qui peut faire déplacer les ouvriers et les quartiers populaires », estime celui qui fut, pendant deux ans, chroniqueur aux Grandes Gueules, sur RMC. Alors, il mobilise ses soutiens sur Twitter. « Je vous invite à jouer de cette situation avec le #OùEstAnasse à chaque fois qu’un média m’efface », lance-t-il ce matin-là à ses 63 000 abonné·es.

J‑17 : Mardi 15 février
Rennes (Ille-et-Vilaine), 19 heures. Dans la salle de danse d’une maison de quartier, une militante fignole une banderole : « RENNES avec ANASSE – En route pour les 500. » Ce soir, Anasse Kazib, le candidat de Révolution permanente (c’est le nom de son organisation politique) arrive de Paris pour animer une réunion publique, comme il l’a déjà fait à Nantes, Strasbourg, Bordeaux ou Metz. « Organiser une réunion comme ça, ça commence avec huit jeunes dans un salon. On fait tout à la force du poignet : le midi, tu vas à Rennes 2 pour tracter ; le soir, tu fais un collage ; le lendemain, tu vas à PSA et le lendemain… tu recommences », résume Erell, qui jongle entre ses études de socio, son taf de surveillante et Révolution permanente. Peu à peu, la salle se remplit d’une bonne centaine de personnes. Parmi elles, il y a Louise, une enseignante à la retraite qui n’a « jamais voté » – et ne votera pas. « Anasse est le seul à soutenir le collectif Vérité et Justice pour Babacar Gueye [un jeune Sénégalais tué par des policiers de la BAC en 2015, ndlr], c’est pour ça que je suis là », explique-t-elle. Deux rangs plus loin, il y a Chloé et Vassili, deux étudiant·es venu·es de Laval. Elle aimerait voter pour un « vrai candidat de gauche », lui est ami avec un membre de Révolution permanente, les deux sont intrigué·es par le projet de ce candidat aux « idées radicales » et au « parcours ouvrier ».

19 h 30. L’homme de la soirée vient d’arriver. Après avoir laissé la parole aux trois camarades présent·es à ses côtés, il entre dans le vif du sujet. Capitalisme, impérialisme, violences policières, sexistes, crise écologique : voilà pourquoi Anasse Kazib s’est lancé dans la bataille. « Pour faire entrer ces luttes au pied-de-biche dans la présidentielle », défend le candidat, dont la mine fatiguée a laissé place à la fougue militante. Lui qui a été de toutes les mobilisations sociales de ces dernières années ambitionne de créer un bloc de résistance révolutionnaire. « Mais qu’est-ce qui vous distingue de Lutte ouvrière ou du Nouveau Parti anticapitaliste ? » lui demande un homme. Beaucoup de choses, à en croire Kazib. Qui critique leur logique d’appareil (il est lui-même un dissident du NPA), leur inertie et une vision parfois passéiste des luttes sociales. « Quand on demande à Nathalie Arthaud si elle condamne les attaques contre les Hijabeuses 1, elle répond par l’oppression dans les usines. C’est une position adaptée pour parler au prolo blanc, à la classe ouvrière des années 1920–1930. Nous, on s’adresse à la classe ouvrière d’aujourd’hui. Il y a une nouvelle génération qui vient avec une certaine combativité et qui veut prendre en considération[…]