Petit stage de résis­tance non violente

C’est deve­nu un mode d’action plé­bis­ci­té dans la lutte contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique. Non vio­lente, mais illé­gale, la déso­béis­sance civile attire de plus en plus de citoyen·nes, prêt·es à s’enchaîner ou à finir en garde à vue. Mais déso­béir, ça s’apprend.

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© Camille Besse

« Je suis venue cher­cher de l’action parce qu’on ne fait que par­ler et que nos solu­tions sont inef­fi­caces. » Velina, 31 ans, a pris place à l’étage d’une res­sour­ce­rie 1 de La Riche, à côté de Tours (Indre-​et-​Loire), pour assis­ter à une for­ma­tion de déso­béis­sance civile orga­ni­sée par l’ANV-COP21, mou­ve­ment popu­laire et non violent, pour rele­ver le défi cli­ma­tique. Avec Mathilde, 31 ans, elles se sont connues lorsqu’elles tra­vaillaient dans le milieu du déve­lop­pe­ment durable, mais ont réa­li­sé que « cela ne ser­vait à rien ». Pour elles, il faut désor­mais aller beau­coup plus loin. C’est tout l’enjeu de cette for­ma­tion, à laquelle assiste une quin­zaine de per­sonnes. « Je suis déjà enga­gée, je fais très atten­tion à ma consom­ma­tion, je suis végé­ta­rienne, mais je veux faire beau­coup plus », détaille Jeanne, 20 ans, étu­diante en licence des sciences de la terre et de l’environnement.
« J’ai déjà pra­ti­qué la déso­béis­sance civile, raconte de son côté Marc, 68 ans. Mais c’était il y a qua­rante ans, je dois me mettre à jour. » Les participant·es ont entre 20 et 68 ans, autant d’hommes que de femmes, sont étudiant·es, pro­fes­seur d’université, « gilet jaune » ou ancien chef d’entreprise. Déjà sensibilisé·es à l’urgence cli­ma­tique, ils et elles viennent se for­mer pour pas­ser à l’acte. La déso­béis­sance civile peut prendre plein de formes : empê­cher l’accès aux bâti­ments d’entreprises pol­luantes, décro­cher les por­traits de Macron dans les mai­ries, fau­cher les chaises de la BNP pour dénon­cer l’évasion fis­cale… Des actions illé­gales mais non vio­lentes.
« La non-​violence n’est pas de la fai­blesse », com­mence Matthias, 23 ans, ingé­nieur récem­ment diplô­mé, mili­tant cli­mat et for­ma­teur de l’ANV-COP21 ce soir-​là. « En blo­quant le siège d’Amazon, en s’asseyant pour empê­cher les sala­riés d’y accé­der, on pro­voque le conflit avec l’entreprise et on cherche à la faire plier. C’est un rap­port de force, mais sans actes vio­lents, ni phy­siques ni ver­baux. » Mais l’appréciation de la non-​violence inter­roge les participant·es. « Détruire du mobi­lier, c’est violent ? » inter­pelle Charlaine. « On ne détruit pas par plai­sir, mais par néces­si­té sym­bo­lique », répond Pascal, 70 ans, for­ma­teur. « Les fau­cheurs d’OGM sont dans la non-​violence, mais détruisent la pro­duc­tion d’agriculteurs », poursuit-​il. « Si un flic me tire le bras et que je résiste, c’est de la vio­lence ? » demande Nils 2« Oui, car les gestes brusques peuvent être mal per­çus », répond Pascal. À la pause, Charlaine s’interroge quand même si ces actions non vio­lentes sont utiles. « C’est bien de mobi­li­ser l’opinion publique, mais chan­ger les com­por­te­ments sociaux, ça prend au moins trente ans, s’agace l’étudiante en droit et science poli­tique. Je ne suis pas sûre que ça suf­fise, car, d’ici là, on aura déjà pris 5 degrés. »

À cha­cun son rôle

Pascal et Matthias pré­sentent ensuite les cou­lisses d’actions de déso­béis­sance civile. « En amont, il faut recru­ter suf­fi­sam­ment de mili­tants pour rem­plir tous les rôles, détaille Matthias. Si on veut blo­quer une banque, il faut repé­rer au préa­lable les entrées, s’il y a des badges ou des vigiles, les horaires d’ouverture, etc. Tout est mil­li­mé­tré pour le jour J et cha­cun connaît son rôle : cer­tains seront des gar­diens de la paix pour apai­ser les ten­sions, d’autres négo­cie­ront avec la police, fil­me­ront, par­le­ront aux jour­na­listes. D’autres encore por­te­ront les ban­de­roles, s’enchaîneront pour blo­quer une entrée et décla­me­ront les reven­di­ca­tions. »
Mais ce qu’attendent le plus les militant·es, c’est de par­ler de répres­sion poli­cière et des arres­ta­tions. Vérification d’identité, garde à vue, com­pa­ru­tion immé­diate, les pro­cé­dures aux­quelles ils et elles peuvent être confronté·es sont pas­sées en revue. « Vous ferez sans doute face à des ten­ta­tives d’intimidation de la part des poli­ciers, mais la ligne de conduite de l’association est claire : sur­tout, ne répon­dez pas aux ques­tions et ne don­nez pas d’informations sur l’action », mar­tèle Matthias. L’aspect juri­dique, c’est jus­te­ment pour ça qu’est venue Mathilde. « J’ai déjà par­ti­ci­pé à des actions, mais je n’occupais que des mis­sions à faibles risques, explique-​t-​elle. Je vou­drais être plus active, mais j’avais d’abord besoin d’avoir des infor­ma­tions sur nos droits en tant que militants. »

Poids mort et chenille

Les for­ma­teurs pro­posent enfin aux participant·es de tes­ter une série de tech­niques pour résis­ter, tou­jours sans vio­lence, aux forces de l’ordre et ralen­tir une éva­cua­tion. « On va com­men­cer par le poids mort, pro­pose Matthias. Vous vous lais­sez glis­ser sur le sol, vous vous déten­dez le plus pos­sible et vous pesez de tout votre poids. Vous ren­dez la tâche dif­fi­cile aux poli­ciers, qui devront vous dépla­cer pour vous éva­cuer. » Un par­ti­ci­pant joue un acti­viste au sol, deux autres des poli­ciers qui doivent l’embarquer. « Attention, la police n’a pas le droit de traî­ner les per­sonnes, elle doit les por­ter », leur indique Matthias. Autre tech­nique : la che­nille. Les militant·es s’imbriquent les un·es aux autres pour blo­quer une entrée ou empê­cher une éva­cua­tion. « Il faut cacher vos pieds et vos mains en vous accro­chant à la per­sonne devant vous. La police n’aura donc pas de prise pour vous attra­per et aura du mal à vous dis­per­ser », explique Matthias. Les un·es der­rière les autres, cuisses dessus-​dessous, mains accro­chées sur le torse de la per­sonne de devant, une che­nille, un peu ban­cale, prend forme.
Après trois heures de for­ma­tion, plu­sieurs participant·es sont prêt·es à pas­ser à l’action. « Je veux tota­le­ment me lan­cer, s’enthousiasme Jeanne. Ça m’a ras­su­rée de savoir que l’on pou­vait aban­don­ner si les forces de l’ordre étaient trop fortes et qu’on fai­sait tout pour évi­ter la vio­lence et la force. » En revanche, Charlaine n’est pas convain­cue : « J’ai l’impression qu’il y a peu d’impact et que les risques juri­diques sont très éle­vés. Peut-​être que des actions vio­lentes auraient plus d’effets. »
En atten­dant, Matthias et Pascal reçoivent de plus en plus de demandes. « On a essayé les marches et les péti­tions, ça ne fonc­tionne pas, ana­lyse Matthias. Aujourd’hui, les citoyens veulent se faire entendre, et la déso­béis­sance civile est pour moi la seule solution. »

1. Centre de récu­pé­ra­tion, de valo­ri­sa­tion, de revente d’objets et maté­riaux, et d’éducation à l’environnement.
2. Le pré­nom a été modifié.

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