C’est devenu un mode d’action plébiscité dans la lutte contre le dérèglement climatique. Non violente, mais illégale, la désobéissance civile attire de plus en plus de citoyen·nes, prêt·es à s’enchaîner ou à finir en garde à vue. Mais désobéir, ça s’apprend.
![Petit stage de résistance non violente 1 chenille a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/01/chenille_a.jpg)
« Je suis venue chercher de l’action parce qu’on ne fait que parler et que nos solutions sont inefficaces. » Velina, 31 ans, a pris place à l’étage d’une ressourcerie 1 de La Riche, à côté de Tours (Indre-et-Loire), pour assister à une formation de désobéissance civile organisée par l’ANV-COP21, mouvement populaire et non violent, pour relever le défi climatique. Avec Mathilde, 31 ans, elles se sont connues lorsqu’elles travaillaient dans le milieu du développement durable, mais ont réalisé que « cela ne servait à rien ». Pour elles, il faut désormais aller beaucoup plus loin. C’est tout l’enjeu de cette formation, à laquelle assiste une quinzaine de personnes. « Je suis déjà engagée, je fais très attention à ma consommation, je suis végétarienne, mais je veux faire beaucoup plus », détaille Jeanne, 20 ans, étudiante en licence des sciences de la terre et de l’environnement.
« J’ai déjà pratiqué la désobéissance civile, raconte de son côté Marc, 68 ans. Mais c’était il y a quarante ans, je dois me mettre à jour. » Les participant·es ont entre 20 et 68 ans, autant d’hommes que de femmes, sont étudiant·es, professeur d’université, « gilet jaune » ou ancien chef d’entreprise. Déjà sensibilisé·es à l’urgence climatique, ils et elles viennent se former pour passer à l’acte. La désobéissance civile peut prendre plein de formes : empêcher l’accès aux bâtiments d’entreprises polluantes, décrocher les portraits de Macron dans les mairies, faucher les chaises de la BNP pour dénoncer l’évasion fiscale… Des actions illégales mais non violentes.
« La non-violence n’est pas de la faiblesse », commence Matthias, 23 ans, ingénieur récemment diplômé, militant climat et formateur de l’ANV-COP21 ce soir-là. « En bloquant le siège d’Amazon, en s’asseyant pour empêcher les salariés d’y accéder, on provoque le conflit avec l’entreprise et on cherche à la faire plier. C’est un rapport de force, mais sans actes violents, ni physiques ni verbaux. » Mais l’appréciation de la non-violence interroge les participant·es. « Détruire du mobilier, c’est violent ? » interpelle Charlaine. « On ne détruit pas par plaisir, mais par nécessité symbolique », répond Pascal, 70 ans, formateur. « Les faucheurs d’OGM sont dans la non-violence, mais détruisent la production d’agriculteurs », poursuit-il. « Si un flic me tire le bras et que je résiste, c’est de la violence ? » demande Nils 2. « Oui, car les gestes brusques peuvent être mal perçus », répond Pascal. À la pause, Charlaine s’interroge quand même si ces actions non violentes sont utiles. « C’est bien de mobiliser l’opinion publique, mais changer les comportements sociaux, ça prend au moins trente ans, s’agace l’étudiante en droit et science politique. Je ne suis pas sûre que ça suffise, car, d’ici là, on aura déjà pris 5 degrés. »
À chacun son rôle
Pascal et Matthias présentent ensuite les coulisses d’actions de désobéissance civile. « En amont, il faut recruter suffisamment de militants pour remplir tous les rôles, détaille Matthias. Si on veut bloquer une banque, il faut repérer au préalable les entrées, s’il y a des badges ou des vigiles, les horaires d’ouverture, etc. Tout est millimétré pour le jour J et chacun connaît son rôle : certains seront des gardiens de la paix pour apaiser les tensions, d’autres négocieront avec la police, filmeront, parleront aux journalistes. D’autres encore porteront les banderoles, s’enchaîneront pour bloquer une entrée et déclameront les revendications. »
Mais ce qu’attendent le plus les militant·es, c’est de parler de répression policière et des arrestations. Vérification d’identité, garde à vue, comparution immédiate, les procédures auxquelles ils et elles peuvent être confronté·es sont passées en revue. « Vous ferez sans doute face à des tentatives d’intimidation de la part des policiers, mais la ligne de conduite de l’association est claire : surtout, ne répondez pas aux questions et ne donnez pas d’informations sur l’action », martèle Matthias. L’aspect juridique, c’est justement pour ça qu’est venue Mathilde. « J’ai déjà participé à des actions, mais je n’occupais que des missions à faibles risques, explique-t-elle. Je voudrais être plus active, mais j’avais d’abord besoin d’avoir des informations sur nos droits en tant que militants. »
Poids mort et chenille
Les formateurs proposent enfin aux participant·es de tester une série de techniques pour résister, toujours sans violence, aux forces de l’ordre et ralentir une évacuation. « On va commencer par le poids mort, propose Matthias. Vous vous laissez glisser sur le sol, vous vous détendez le plus possible et vous pesez de tout votre poids. Vous rendez la tâche difficile aux policiers, qui devront vous déplacer pour vous évacuer. » Un participant joue un activiste au sol, deux autres des policiers qui doivent l’embarquer. « Attention, la police n’a pas le droit de traîner les personnes, elle doit les porter », leur indique Matthias. Autre technique : la chenille. Les militant·es s’imbriquent les un·es aux autres pour bloquer une entrée ou empêcher une évacuation. « Il faut cacher vos pieds et vos mains en vous accrochant à la personne devant vous. La police n’aura donc pas de prise pour vous attraper et aura du mal à vous disperser », explique Matthias. Les un·es derrière les autres, cuisses dessus-dessous, mains accrochées sur le torse de la personne de devant, une chenille, un peu bancale, prend forme.
Après trois heures de formation, plusieurs participant·es sont prêt·es à passer à l’action. « Je veux totalement me lancer, s’enthousiasme Jeanne. Ça m’a rassurée de savoir que l’on pouvait abandonner si les forces de l’ordre étaient trop fortes et qu’on faisait tout pour éviter la violence et la force. » En revanche, Charlaine n’est pas convaincue : « J’ai l’impression qu’il y a peu d’impact et que les risques juridiques sont très élevés. Peut-être que des actions violentes auraient plus d’effets. »
En attendant, Matthias et Pascal reçoivent de plus en plus de demandes. « On a essayé les marches et les pétitions, ça ne fonctionne pas, analyse Matthias. Aujourd’hui, les citoyens veulent se faire entendre, et la désobéissance civile est pour moi la seule solution. »
1. Centre de récupération, de valorisation, de revente d’objets et matériaux, et d’éducation à l’environnement.
2. Le prénom a été modifié.