On connaissait les « pick-up artists » ces hommes hétéros s'échangeant des conseils plus que douteux pour "séduire" les femmes. Aujourd’hui, ils renouvellent leurs méthodes, à base de techniques marketing et d'une novlangue toute personnelle, à utiliser en ville ou sur les réseaux sociaux. L’une de nos journalistes a infiltré OVA, un groupe Facebook où environ 250 hommes se partagent ces techniques de manipulation pour obtenir des relations sexuelles de la part d’inconnues. Immersion.
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 1 © Mahmudul Hasan Shaon](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/vu6iiytytqu-843x1024.jpg)
Au début, on dirait un groupe Facebook de startupers ubérisés qui parlent business plan. Il s’appelle « OVA [Groupe Privé] ». Dedans, environ 250 mecs, entre 20 et 30 ans, s’entraînent à « open » en « DHV » grâce aux « subcoms » ou à des techniques comme l’« open loop » afin de « close ». En lisant ce charabia contemporain, on pense à un PowerPoint façon école de commerce. Puis on tombe sur des captures d’écran de conversations. Des discussions écrites, avec des filles uniquement. Il y a aussi des enregistrements audio et vidéo. Des échanges capturés à l’insu des interlocutrices, via un copain-caméraman caché au coin de la rue ou un smartphone mis en mode dictaphone. En commentaire de ces publications, la horde s’épanche. Elle analyse la performance des hommes et renchérit de conseils. C’est là que l’on comprend.
Leur but est bien loin d’être le montage financier de la prochaine appli de livraison à domicile. Il s’agit de pick-up artists version 3.0. Des hommes qui se partagent des techniques rhétoriques et comportementales pour obtenir des relations sexuelles de la part de femmes qu’ils ciblent dans la rue ou sur les réseaux sociaux, le plus rapidement possible. « Finis les conseils flous comme “écouter la fille” ou “lui faire passer un bon moment” », promet un administrateur, grâce au « plan d’attaque sec et précis » prodigué dans ce groupe secret. Au mépris, parfois, du consentement des femmes.
« Instant sex report »
Le groupe Facebook est né d’une conversation WhatsApp entre potes, en 2020. D’amis en amis, la communauté a grossi. Elle est chapeautée par les premiers membres, qui sont pour la plupart admins. Ce noyau dur est accompagné de quelques membres privilégiés (un groupe parti en virée en Espagne notamment, pour chasser collectivement dans la rue). Ils publient des vidéos de coaching et répondent à chaque interrogation de leur communauté sur les techniques pour « aborder ».
Parmi la petite dizaine de fondateurs : des citadins de grandes villes, employés dans la musique ou l’évènementiel, un diplômé de prépa, un nom à particule. L’un d’eux est cofondateur d’une chaîne YouTube de vulgarisation et de réflexion sur l’actualité réputée de gauche. Nulle explication claire quant au nom du groupe. Il semble lié à l’identité du fondateur, mais nous n’avons pas pu le vérifier.
Pour éduquer les foules, Achille*, l’un des élus qui a participé au petit voyage en Espagne, partage par exemple son « instant sex report, Madrid ». Un texte long comme six pages de magazine, dans lequel il détaille comment il a rencontré une fille dans la rue, a appliqué les techniques enseignées sur le groupe et a fini par la convaincre de se masturber mutuellement. Pas possible d’aller plus loin car « ça ne faisait que deux semaines qu'elle avait rompu avec son ex » et parce qu’elle devait partir, « son père l’attendait », précise-t-il. « Sacrée histoire, conclut Achille, le tout en 2H, merci le game ». Le commentaire d'un membre ponctue : « magnifique expérience que tu as vécue ».
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 2 CHOQUANT](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/CHOQUANT-997x1024.jpg)
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 3 VIDÉO COMMENTÉE](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/VIDÉO-COMMENTÉE-920x1024.jpg)
Méthode forceps
Le « game », c’est le mot pour décrire le terrain d’attaque. Il y a le day game (DG), soit la « drague de rue » (la « saison » rouvre bientôt, s’enthousiasment les membres du groupe) et le text game (TG) pour les techniques appliquées par SMS ou sur les réseaux sociaux. Pour être le king du game, il y a tout un tas de concepts à appliquer. Le DHV, déjà. Demonstrate high value (« Démontrer une valeur élevée »). Il s’oppose au DLV. Demonstrate low value (« Démontrer une valeur faible »). Grosso modo, il s’agit de saisir toutes les opportunités pour se faire mousser, avec un discours prêt à l’avance (à la question « ça va ? », répondre qu’on va bien, car on « vient de signer un gros contrat » ce qui nous laissera du temps pour « se remettre à la boxe », lit-on). À l’inverse, les selfies, apprend-on, il faut éviter. C’est super DLV.
Pour avoir l’occasion de démontrer à quel point on est un héros, encore faut-il réussir à arrêter sa proie dans la rue. À « hook », dit-on (« accrocher »). Pour ça, nous enseignent les pick-up artists 3.0, il faut jouer sur la False Time Constrain (FTC), « fausse contrainte de temps ». Dire « je n’ai que deux minutes, mais… », avant de trouver un prétexte et Demonstrate high value. Pour être sûr de garder l’attention des femmes, il faut surenchérir de « baits » (« appât ») ou d’« open loops ». Il s’agit de petites phrases censées éveiller la curiosité de l’interlocutrice et lui forcer la main dans la conversation. Prodiguer, par exemple, une info incomplète « pour lui donner envie de t’en demander plus », enseigne un « mémo » partagé par l’un des admins. Exemple : « C’est marrant, j’ai un de tes défauts », ou bien, pour la version online, « il y a un truc qui m’intrigue sur ton profil ». La bienséance voulant que l’on réponde respectivement « lequel ? » /« quoi ? », l’interlocutrice est indirectement contrainte à suivre la stratégie établie à l’avance par les hommes.
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 4 MEUF STREET SONIA 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/MEUF-STREET-SONIA-1.jpg)
« Sexualiser »
Pour y aller plus hard, on peut poser une question fermée avec un vague compliment déguisé. Ça s’appelle le « qualify » (fait de donner un qualificatif à sa proie, pour qu’elle donne des infos sur elle). « Je me trompe si je dis que tu es ouverte d’esprit ? J’adore que tu sois indépendante. » Le faux compliment préféré des alpha est « aventurière ». Il a ça de pratique qu’il permet d’appliquer une autre technique des pick-up artists : la « sexu », c’est-à-dire « sexualisation ». Puisque personne n’a envie de se dire non aventurière, cette question permet aux hommes de rebondir en demandant « quelle est la chose la plus folle que tu aies faite ? ». La question est devenue leur spécialité. Peu importe la réponse des filles, il ne s’agit que d’un prétexte pour parler de leur folie à eux : un fait sexuel ou tendancieux. Cela fait basculer la discussion (si on peut appeler ça comme ça) dans un registre sexuel. Sont conseillés trois émojis à utiliser pour appuyer l’ambiance sexe : 🔥, 😈 ou 😏. Parler sexe doit ensuite leur donner l’occasion de proposer un « pull » (aller dans un autre lieu avec la proie, souvent chez elle) puis de « close » (obtenir une relation sexuelle). Le dossier est alors « clôturé ».
L’une des autres stratégies des membres d’OVA est le fait de travailler son « frame » (la position dans laquelle on se place dans un échange, le « cadre », littéralement). Il ne faut pas se « boyfriend-frame » en étant trop gentil, car cela risque de retarder le moment du sexe (puisqu’une fille qui te considère comme son copain va vouloir attendre, apprend-on). On peut miser, en revanche, sur la « frame de la chemistry », enseigne l’un des admins dans une vidéo. Faire croire que vous pensez avoir besoin d’une étincelle particulière – la chimie, « chemistry » – pour oser vous lancer dans une relation sexuelle. « Parce que la plupart des femmes pensent comme ça », explique-t-il. Autre variante : « se framer comme un fuckboy repenti », un mec lassé des conquêtes qui veut une vraie rencontre, pour donner l’illusion d’accorder de l’importance à la femme. Certains hommes se frament aussi par les photos. Roch-Éloi a organisé un shooting avec un photographe pro afin d’alimenter son profil sur les applications de rencontre. Il pose notamment avec un livre sur le lean management (le management à flux tendus, pour réduire les coûts à l’extrême) entre les mains, le regard au loin. Les hommes d’OVA ont voté pour les photos les plus susceptibles d’attirer les utilisatrices.
Tout cela permet de montrer sa « value » (valeur sociale). La value est nécessaire pour faire croire aux femmes qu’il y a de la « présélection » de la part des hommes, souligne un admin. Sous-entendu : tu as été choisie par un beau gosse, ma belle, sens-toi flattée et obligée de répondre. Josh, un membre, complète en commentaire : « La meuf doit sentir qu’elle doit MÉRITER d’avoir ton attention et ta valeur ! » Ce petit tips, ajoute-t-il, permet de ne pas « rendre la fille le centre de son univers TROP VITE » (sic). Parler de soi soi soi et encore soi doit créer ce qu’ils appellent le « prize frame » (le fait de se présenter comme le « prix » à gagner), technique censée augmenter les chances de close.
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 5 EXEMPLE SEXU](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/EXEMPLE_SEXU-969x1024.jpg)
Les situations les plus faciles pour cela seraient les virées à l’étranger et notamment en Afrique. Le fondateur du groupe propose cette analyse dans une vidéo de débrief après un voyage de Jean-Roch au Bénin, intitulée « GUIDE 3 – MINDSET ET INNER GAME » (« État d’esprit et game intérieur »). « À l’étranger, surtout dans les pays pauvres, t’as plus de value parce que tu viens de la France, avec tous les préjugés qui vont avec sur le niveau de vie. Donc quand t’es dans ces pays ou même en Thaïlande, Russie, Pologne, faut le garder à l’esprit ». Sous-entendu, profiter des filles, faciles à « hook » là-bas, mais ne pas être déçu au retour en France quand la « drague » ne marche plus.
Par pression, elle cédera
Si les techniques ne marchent pas, justement, restent plusieurs armes. Le 8 février, Christophe demande conseil à ce sujet. Il aimerait revoir une femme alpaguée dans la rue. Elle rechigne. « On devait se voir hier, mais j’ai voulu me pull chez elle et c’est pas passé (pas dans son habitude + une colloc (sic) depuis 2 semaine = mauvaise idée selon elle). Elle m’a rep qu’hier vers 22 h… » On lui conseille alors de « disqualify » (ou « DQ »), « pour lui voler la frame et de la laisser [le] close. » Il s’agit là de l’inverse de qualify : au lieu de complimenter la proie pour la faire entrer dans son jeu (l’aventurière), on lui prête un défaut afin qu’elle se sente mal, nie notre pique et cède à nos requêtes. Face à un refus de se revoir (comme ici) ou d’avoir une relation intime, cela peut consister à rétorquer, « “si t’es trop nerveuse/timide, je comprends tout à fait”, suggère un admin dans sa vidéo, car personne ne veut être framée comme ça. » Par pression, sous-entend-il, elle cédera.
De toutes les publications des membres et admins sur OVA, le mot « consentement » n’apparaît que deux fois. Dans les règles du groupe (« tous les actes décrits doivent être consentis », prévient-on). Et dans le post d’un admin. Le terme y est défini en décrivant une situation d’étranglement, pendant laquelle la femme ne formule jamais d’approbation :
« Respectez TOUJOURS le consentement de votre partenaire. Si c’est la première foi [sic] avec elle, que vous la connaissez peu [sic] ne passez pas de "je la regarde intensément" à "je la plaque comme un taré contre le mur en l’étranglant". Allez‑y graduellement, à tâtons, mais toujours d’une façon assertive. Par exemple, commencez d’abord à empoigner ses cheveux, voyez comment elle réagit, si les voyants sont aux verts, alors commencez à les tirer, etc. La même chose pour l’étrangler : la majorité des femmes kiffent ça, mais ils [sic] faut que ça soit bien fait, et toujours dans le respect du consentement. Alors, quand vous la regardez intensément dans les yeux, posez juste votre main sur sa gorge, jaugez sa réaction, puis resserrez de plus en plus, etc. »
Résultat : les expériences que relaient les membres du groupe frôlent parfois l’agression sexuelle. Ce qui s’approche de l’illégalité passe pour une victoire, comme le reflètent ces témoignages, considérant le fait de « forcer » (littéralement) comme une option :
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 6 FORCEUR 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/FORCEUR-2-1024x866.jpg)
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 7 FORCEUR 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/FORCEUR-1-936x1024.jpg)
![« OVA » : on a infiltré la start-up nation des pick-up artists 8 CONSETEMENT](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/CONSETEMENT-1024x629.jpg)
Nous avons tenté de joindre les admins du groupe ainsi que plusieurs membres. Seul un admin a répondu, se défendant d’être « pick-up artist ». Il nous a renvoyées vers YouTube pour trouver des infos sur la théorie de la « drague de rue » et s’est inquiété de la manière dont nous avons découvert l’existence du groupe OVA. Le lendemain, plusieurs d’entre eux avaient supprimé leur photo de profil ou mis un portrait de dos, sur lesquels il est impossible de voir leur visage. Au moins l’un des admins œuvre par ailleurs sous pseudonyme (dans les contenus qu’il poste – vidéos et captures d’écran –, il répond à un prénom qui ne correspond pas à son patronyme Facebook. Patronyme qui a par ailleurs de multiples homonymes selon Google, comme pour ne pas être retrouvé). Le fondateur du groupe a quant à lui deux comptes Facebook, sous deux noms de famille différents. Aucun d’eux ne trouve d’autre occurrence sur Internet. Ces consultants spécialistes ès « drague » entre potes n’auraient-ils pas la conscience tranquille ?
* Tous les prénoms ont été modifiés.