Trois jours après la mort de Nahel, 17 ans, lors d'un contrôle de police, Gilbert Berlioz, un ancien éducateur et expert des questions de politique sociale, revient sur le soulèvement d'une partie de la jeunesse française auprès de Causette et sur les raisons de sa colère.
La mort de Nahel, 17 ans, tué mardi matin par balle à Nanterre (Hauts-de-Seine) lors d'un contrôle de police, embrase depuis trois jours de nombreuses villes de France, principalement situées en région Île-de-France mais aussi un peu partout, de Bordeaux à Roubaix en passant par Lille. Au total, selon le bilan actualisé du ministère de l'Intérieur donné par France Inter, 875 personnes ont été interpellées dans l'Hexagone dans la nuit de jeudi à vendredi, 2000 véhicules ont été brûlés et 3880 incendies de voie publique ont été allumés. Gilbert Berlioz, un ancien éducateur et expert des questions de politique sociale, revient sur le soulèvement d'une partie de la jeunesse française auprès de Causette et sur les raisons de sa colère.
Causette : Comment expliquez-vous que la mort de Nahel ait, à ce point, amené une partie de la jeunesse à se révolter ?
Gilbert Berlioz : On ne sait jamais trop pour quelles raisons un mouvement explose et pourquoi à ce moment-là. Mais plusieurs éléments jouent, selon moi. Il y a tout d'abord un effet d'accumulation : en 2022, 13 personnes sont mortes pour des refus d’obtempérer lors de contrôles routiers. Ensuite, la vidéo postée sur les réseaux sociaux a beaucoup plus de retentissements qu'un récit, elle produit un effet de choc. Sans cette vidéo, la police aurait menti. Plein de jeunes de quartiers ont fait l'expérience du mensonge des forces de l'ordre. Enfin, je pense qu'il existe un phénomène d'identification. Aujourd'hui en France, beaucoup de monde s’identifie à cette victime, à sa famille, à ses voisins, et se dit que ça aurait pu être lui.
Cette révolte vous rappelle-t-elle les émeutes de 2005, après la mort de Zyed et Bouna ?
G.B. : Ces événements se ressemblent, en effet. Il y a un sentiment de déjà-vu. C’est un peu désespérant. Des enseignements avaient été tirés de 2005. Comment se fait-il que l'on se fasse à nouveau surprendre par tout cela ? Cette révolte montre bien que la relation entre les policiers et la population continue de se détériorer. Et que la ghettoïsation et l'enfermement des quartiers se sont renforcées.
Quelles sont les raisons de la colère de ces jeunes ?
G.B. : La colère ne se manifeste pas seulement en raison de la mort de Nahel. Il existe un bruit de fond très élevé d’énervement et de colère contre la société depuis un certain temps. Personne ne veut habiter dans ces quartiers et ceux qui y habitent sont stigmatisés à tous les niveaux, à l'école, au travail, pour l'accès au logement… En fait on n'est pas parti d'un niveau 0 dans la colère, mais du niveau 6 ou 7. Les habitants de ces quartiers disent qu'elles sont les oubliées de la République. Il ne s'est rien passé pour eux depuis 2005. Enfin, il y a eu des mesures et des politiques, mais elles n'ont rien changé à leur réalité.
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Comment le gouvernement peut-il agir pour apaiser cette colère ?
G.B. : Déjà, le gouvernement ne doit pas ajouter de l’huile sur le feu, ne pas appeler les manifestants des « voyous », par exemple. L'État doit ensuite éviter que cela flambe, c'est normal d'envoyer la police et les pompiers, car si ça brûle, ce n'est bien pour personne. Mais il faut être prudent. On ne doit pas annoncer des mesures seulement sécuritaires ou des mesures de saupoudrage, mais d'autres pour le long terme. Par exemple, en 2005, la création de préfets délégués à l'égalité des chances n'a pas contribué à faire bouger les choses. Je pense que le gouvernement doit également se concentrer sur l'école. Je travaille sur ces questions depuis longtemps et l'école est un naufrage, malgré le travail des enseignants.
Faut-il réformer la police ?
G.B. : Probablement. Je ne suis pas spécialiste sur les questions de police, mais l'intervention policière semble de plus en plus offensive. La population n'adhère pas aux méthodes et aux stratégies de la police. On ne peut pas faire de la sécurité contre la population, sans la transformer en ennemie.
Comment la situation peut évoluer, selon vous ?
G.B. : On est dans le chaud. Il est difficile de savoir comment ça va évoluer. Il faut gérer les risques, que ça ne s’aggrave pas et qu'il n'y ait pas une réciprocité dans la violence, c'est-à-dire qu'un manifestant tire en représailles sur un policier. On approche des vacances d'été, je pense que la révolte va se calmer. Mais elle va laisser des traces : le feu couve sous la cendre. Là il déborde, on peut l’éteindre, mais ça prend du temps. Cette théorie viriliste de vouloir faire céder les protestataires avec la police ne suffit plus. Les forces de l'ordre sont d'ailleurs dans une situation intenable. Il faut les sortir de ça. On a besoin de processus de désescalade et pas d’affrontements. Sinon, il n’y a pas d’issue.