Marine Périn rem­porte le prix d’éloquence Gisèle Halimi en s’attaquant au burn out mater­nel par le verbe

La journaliste et réalisatrice Marine Périn a gagné le 21 décembre le prix Gisèle Halimi de la Fondation des Femmes pour son discours « La bonne mère » dénonçant la charge mentale qui pèse sur les mères.

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Marine Périn lors de son discours ©DR

Le prix de l’éloquence Gisèle Halimi trône désormais aux côtés d’autres jolis souvenirs dans l’appartement parisien de Marine Périn. Car c’est bien par sa verve que cette journaliste et réalisatrice spécialisée dans les questions des droits des femmes a conquis le jury du concours d’éloquence de la Fondation des Femmes, le 21 décembre dernier.

Un jury d'exception composé entre autres de la journaliste Giulia Foïs, de l’actrice Julie Gayet et de la femme politique Najat Vallaud Belkacem. Le défi oratoire lancé aux huit candidat·es - qui s’est tenu à huit clos au Théâtre Libre de Paris en raison des mesures sanitaires – était d’écrire un discours de huit minutes sur un thème imposé. Celui assigné à Marine Périn : « La bonne mère ». 

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Les huit candidat·es du concours ©DR

Au départ le syndrome de la page blanche freine pourtant la journaliste de 31 ans. « N’étant pas mère moi-même je n’étais pas du tout inspirée, précise la jeune femme à Causette. J’ai décidé de traiter le sujet par le prisme d’une histoire intime, celle d’une de mes amies qui fait face un jour à un burn out maternel. » Sur scène pendant huit minutes, Marine Périn conte alors avec justesse l’âpre difficulté d’être mère dans une société patriarcale. « Il y a la pensée ancrée et répandue qu’une mère doit se sacrifier pour ses enfants, pour sa famille », déplore Marine.

Un discours salué par le jury qui lui vaut la consécration du prix Gisèle Halimi donc. Une récompense qui a d’ailleurs pris une symbolique toute particulière pour sa quatrième édition avec la disparition de l’infatigable défenseuse des droits des femmes le 28 juillet dernier. « Je suis plus qu’honorée d’avoir remporté le prix cette année, confie Marine Périn. La rhétorique et les combats de Gisèle Halimi ont forgé mon féminisme. C’est une femme à qui l’on doit énormément. » 


Pour voir ou revoir l’intégralité du concours d’éloquence de la Fondation des Femmes et passer deux heures en compagnie des candidat·es dont le verbe aurait certainement plu à Gisèle Halimi , c'est par ici.


Le discours de Marine Périn, « La bonne mère » : 

Il y a quelques semaines, j’étais chez une amie, pour l’aider avec ses deux filles  dans une période très difficile. J’ai passé quelques jours là-bas, mais je voulais vous parler d’un moment en particulier. C’était un matin. Les petites étaient respectivement à l’école et à la crèche, et moi j’étais dans la douche. Je savourais, parce que, bon on va pas se mentir, les enfants en bas âge, ça laisse pas beaucoup de temps pour ta vie intérieure en général, donc la douche, c’était clairement mon moment de calme.

Sauf que d’un coup : j’entends des cris. C’est mon amie, et elle est en train de HURLER.

A travers le mur et le bruit de l’eau qui coule, je distingue pas très bien de quel genre de cris il s’agit, si c’est de la colère, du désespoir, je distingue pas très bien les mots… 

Mais peu importe en fait, ce qui compte, c’est que hurler, c’est vraiment vraiment vraiment pas son genre. Mon amie, c’est le genre de femmes dont on dit qu’elles sont “adorables”, le genre de mères qui lisent des livres sur l’éducation bienveillante,  qui ne s’énervent jamais, qui prennent tout sur elles. Elle colle à tous les standards qu’on attend habituellement de la féminité et de la maternité, vous voyez : douceur, bienveillance, abnégation, calme, gentillesse. 

Donc là, mon amie qui hurle, c’est sûr qu’il se passe un truc.

Quelques minutes plus tard, je sors de la douche,l’appart est redevenu complètement silencieux, donc je me dis qu’elle a dû partir faire les courses comme c’était prévu.

 Mais non. Elle est debout dans la cuisine, en manteau, complètement immobile, elle regarde fixement par la fenêtre ouverte. Clairement, elle a pleuré, et comme elle a la peau diaphane,  ça se voit beaucoup. 

Elle va pas bien. Je sais, le suspense est insoutenable, je l’ai vécu comme vous : 
qu’est-ce qui a pu pousser mon amie si placide à se mettre à hurler d’un coup ?Elle a cassé un biberon. Oui, c’est tout, elle a cassé un biberon.

Burn out, définition : syndrome d’épuisement physique et mental lié à un excès de travail, de stress et de manque de considération.

Je vous l’apprends pas, au départ, burn out, c’est un terme qu’on utilise surtout pour parler du monde professionnel. Mais très vite, on a commencé à l’utiliser aussi pour parler de l’état dans lequel se retrouvaient certaines mères.

 Tu m’étonnes : excès de travail, stress, manque de considération : c’est juste le kit de BASE de la maternité, en fait.En tous cas, si tu veux faire ça bien. Et... bon courage pour faire ça bien.

Déjà, les critères de la “bonne mère”, ça change approximativement tous les trois ans, tous les deux kilomètres et ça varie encore en fonction de si tu parles au pédiatre ou à ta belle-mère. 

Ca revient à jouer à un jeu dont on t’a pas vraiment expliqué les règles, règles qui en plus changent tout le temps et sans que tu le saches. Bref, y a pas de miracle : tu vas échouer. C’est impossible d’être une bonne mère.

Sauf que ! Et attention, c’est là que ça commence à relever du numéro d’équilibriste. 

Peu importe qu’on attende de toi une performance aussi précise que de réciter les 250 premières décimales de pi, tu y es quand même obligatoirement tenue. C’est pas optionnel d’être la mère parfaite, de te sacrifier entièrement, de te dissoudre complètement dans la maternité, c’est même pas un truc pour lequel on va te remercier ou te féliciter.

Non non, c’est le minimum requis.

Ainsi, chère mère, tu seras automatiquement tenue responsable du moindre pas de côté de ta progéniture, et ce jusqu’à sa mort hein. S’il a une maladie dégénérative par exemple, c’est parce que tu l’as pas assez désiré in utero ; s’il a moins de 15 en maths, c’est parce que tu l’as pas allaité - (ça je rigole pas, je l’ai lu dans une campagne de l’OMS) si c’est un gros relou, c’est que tu l’as trop couvé, et je suis sûre qu’un jour on te dira que s’il porte des chaussettes dépareillées, c’est de ta faute parce que tu lui as pas fait des petits pots maison.

Bref, t’as compris l’idée : être une bonne mère, c’est impossible. Et en même temps, c’est le minimum requis. Alors je sais bien, on avait dit “À l’impossible, nul.le n’est tenu.e” maiiiiiis… bah toi si voilà. 

J’espère que ça te met pas trop la pression. “A l’impossible, nul n’est tenu”, je me suis renseignée, à la base c’est un adage juridique latin - je vous ferai pas l’injure de vous le réciter en VO. Mais bref, le machin, c’est un pilier de notre droit. On l’a théorisé y a plusieurs milliers d’années…..Mais il ne s'applique toujours pas aux femmes. 

C’est un délire quand même. En tant que féministe extrémiste, Ma théorie c’est que la maternité, c’est le lieu ULTIME de l’exploitation des femmes. C’est le prétexte idéal pour justifier leur sacrifice entier et absolu, leur dévouement total. Et on les oblige même pas par la contrainte ou quoi, c’est plus subtil que ça, c’est juste une pression extrêmement violente, absolument permanente, et systématiquement contradictoire.

Pour beaucoup de sociologues du féminisme, c’est un retour du bâton du patriarcat : 
parce que cette pression de la société sur les mères, cette image de la maternité complètement sacrificielle, c’est assez récent en fait, à l’échelle de l’Histoire, ça date de l’acquisition des droits reproductifs par les femmes.

C’est une constante de l’avancée des droits des femmes en général : plus on gagne de batailles sur le terrain légal plus la pression sociale se renforce. Ça a été théorisé, c’est le fameux “backlash” de Susan Faludi. Donc je parlais plus tôt de “burn out maternel” : c’est un terme assez récent, mais il désigne un phénomène qu’on observe depuis déjà un moment. 

Dès les années 50, la journaliste féministe Betty Friedan parlait de la “femme mystifiée”. C’était le nom qu’elle avait donné à une forme de dépression qui touchait à l’époque énormément de mères au foyer aux Etats-Unis, qui se perdaient complètement dans cet idéal de don de soi, finalement complètement nébuleux. 

La femme mystifiée. Je trouve cette expression particulièrement parlante

Donc depuis tout à l’heure, je blague sur les exigences absurdes qui pèsent sur les mères. Mais évidemment c’est bien plus sérieux que ça. C’est une forme de contrôle social, il ne fonctionne que par suggestions, mais il est très efficace quand il s’agit de rappeler à l’ordre les mères sur les comportements qu’on attend d’elles.

Alors tout ça pour quoi au final ? Tout simplement pour vous dire que s’effondrer
parce qu’on a cassé un biberon. C’est triste mais c’est vraiment normal

Parce que c’est inhumain la pression qu’on met sur les mères. Et elles sont nombreuses à avoir l’impression de jongler avec 17 balles sur une corde au dessus du vide. Un biberon cassé à 10h30 dans une matinée de semaine, c’est de nouveau du fracas et du bordel, dans les quelques heures de calme et d’ordre qu’on s’aménage quand les enfants sont absents. Un biberon cassé dans une matinée millimétrée, ça veut aussi dire qu’en plus de la vaisselle, du ménage et des courses, va falloir balayer tous les éclats de verre - bien proprement parce que sinon quelqu’un va s’en enfiler un dans le pied hein - ET racheter un biberon avant le déjeuner. Et ça, ça veut dire que les pauvres 20-30 minutes qu’on avait réussi à s’extraire pour, je sais pas, pendre une douche un peu plus longue, boire un café en scrollant sur Instagram, fixer le plafond - ce que j’appelle, moi, la vie intérieur mais chacun son truc - bah ces 20-30 minutes, elles vont encore sauter.

Franchement, je comprends le désespoir de mon amie. Moi aussi, j’ai failli pleurer ce matin-là. Alors, venez, on dit qu’on lâche un peu la grappe aux mères. Et aussi, on arrête de se raconter.

Que les traquer en permanence, comme ça, jusqu’à les pousser à la dépression nerveuse, littéralement. C’est pour le bien de leurs enfants. Parce que 1/ ça a jamais épanoui aucun enfant d’avoir une mère malheureuse hein et 2/ les mères sont des êtres humains aussi, je sais que c’est dingue mais c’est pas interdit d’avoir un peu d’empathie pour elles de temps en temps.

Voilà. J’espère que vous attendez pas une fin heureuse à mon histoire parce qu’il y en a pas. La vérité, c’est que j’avais la gorge serrée quand j’ai trouvé mon amie comme ça. Je lui ai juste dit d’aller prendre l’air, qu’elle respire et qu’elle s’inquiète pas, que j’allais m’occuper des derniers  morceaux de verre, que j’allais faire les courses et que j’allais faire la sortie d’école.

Et elle, elle est allée racheter en biberon. En plastique le biberon hein, parce qu’on est pas maso non plus.Et qu’à l’impossible nul.le n’est tenu.e.

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