Capture d’écran 2023 06 30 à 18.55.15
La rédaction du JDD en grève (©Capture écran change.org)

« Le JDD de demain ne sera pas celui d'aujourd'hui » : Causette prend le pouls de la rédac­tion du Journal du dimanche tou­jours en grève

Un mois de mobi­li­sa­tion, cinq numé­ros qui ne paraissent pas en kiosque, et un sixième qui pour­rait lui aus­si ne pas suivre. Voilà la situa­tion dans laquelle se trouvent les jour­na­listes du Journal du dimanche, en grève face à la nomi­na­tion à la tête de l'hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, ex-Valeurs-​actuelles. Si les négo­cia­tions sont dans une impasse, la rédac­tion se dit tou­jours « sou­dée » dans l'adversité.

Une grève his­to­rique. Depuis 34 jours, les jour­na­listes du Journal du dimanche (JDD) sont en grève, pour s'opposer à la nomi­na­tion à la tête de l'hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, ex-​directeur de la rédac­tion du jour­nal d'extrême droite Valeurs actuelles. Un mois de mobi­li­sa­tion, cinq numé­ros qui ne paraissent pas en kiosque, et un sixième qui pour­rait éga­le­ment ne pas suivre, vu la tour­nure des évé­ne­ments : la grève a de nou­veau été votée ce matin, à 99%. Et mal­gré l'opposition de ses employé·es, Lagardère News campe sur ses positions. 

Le groupe main­tient dans un com­mu­ni­qué, dif­fu­sé lun­di soir, l'arrivée de Geoffroy Lejeune au sein du média et annonce même celle-​ci pour … le 1er août. Il affirme dans ce texte « prendre acte, avec regrets, de l'absence d'accord avec la Société Des Journalistes et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales » et avoir sou­mis « plu­sieurs pro­po­si­tions concrètes allant bien au-​delà des obli­ga­tions légales, dans l’objectif de trou­ver un accord per­met­tant de sau­ve­gar­der les inté­rêts de l’ensemble des par­ties pre­nantes ». Le groupe condamne « une rup­ture des négo­cia­tions qui est pré­ju­di­ciable tant aux jour­na­listes qu’aux lec­teurs du Journal du Dimanche ».

Les jour­na­listes du JDD déplorent eux aus­si, dans un com­mu­ni­qué trans­mis à Causette et dif­fu­sé sur les réseaux sociaux, « une rup­ture des négo­cia­tions » et avoir pour­tant avan­cé « dans une démarche res­pon­sable » sur deux points pré­cis : obte­nir des condi­tions de départ satis­fai­santes pour celles et ceux qui ne vou­draient pas tra­vailler avec Geoffroy Lejeune, en par­ti­cu­lier pour les dernier·ères arrivé·es au sein de la rédac­tion, et la signa­ture d'une charte déon­to­lo­gique pour les per­sonnes qui res­te­raient au sein de cette même rédac­tion. En vain. 

« C'est la fin d'une ère »

C'est sur ce point que les négo­cia­tions ont échoué : les garan­ties idéo­lo­giques deman­dées par les jour­na­listes de l'hebdomadaire. Arnaud Lagardère, le diri­geant du groupe, assure dans le com­mu­ni­qué que mal­gré le pas­sé de Geoffroy Lejeune dans une publi­ca­tion d'extrême droite, le JDD ne devien­dra pas « un tract idéo­lo­gique ni un jour­nal mili­tant », mais res­te­ra « une publi­ca­tion d’information géné­ra­liste, grand public et ouverte à tous les cou­rants de pen­sée ». Les jour­na­listes veulent s'en assu­rer avec la charte pro­po­sée, qui engage la direc­tion à faire atten­tion à ne pas publier de « pro­pos racistes, sexistes et homo­phobes et, plus géné­ra­le­ment, tout conte­nu dis­cri­mi­nant et hai­neux ». Une condi­tion refu­sée par la direc­tion, cequi a alors mis fin aux négociations . 

Le nom de Geoffroy Lejeune « inquiète » la rédac­tion, nous glisse un jour­na­liste du JDD qui sou­haite res­ter ano­nyme. Ce der­nier rap­pelle notam­ment la condam­na­tion en appel de deux sala­riés de Valeurs Actuelles, qui avait publié en août 2020 un récit de sept pages dépei­gnant la dépu­tée LFI Danièle Obono en esclave, pour injure publique à carac­tère raciste. Le direc­teur du jour­nal Erik Monjalous et le jour­na­liste Laurent Jullien avaient notam­ment été condam­nés à ver­ser une amende de 1000 euros avec sur­sis. Si Geoffroy Lejeune avait été relaxé de toutes les pour­suites à son encontre, il reste qu'en tant que direc­teur de la rédac­tion, il avait lais­sé publier cet article.

« Le JDD de demain ne sera pas celui d'aujourd'hui. C'est la fin d'une ère », craint notre source, qui affirme que les jour­na­listes en grève veulent que le dia­logue « se rouvre » mais pas « avec des pro­po­si­tions au rabais ». « On nous pousse vers la sor­tie, poursuit-​elle. Or, par­tir n'est pas un choix pour nous. C'est un crève-​cœur de ne pas sor­tir le jour­nal depuis cinq semaines. Je n'imagine pas tous les papiers que nous aurions pu sor­tir. Tous les jour­na­listes sont en poste depuis long­temps, il n'y a pas beau­coup de turn-​over, nous sommes tous atta­chés à cette rédaction. »

Un nou­veau numéro ?

Les jour­na­listes du JDD avaient appris la nomi­na­tion de Geoffroy Lejeune fin juin, par voie de presse, dans un article du jour­nal Le Monde, puis dans un com­mu­ni­qué de Lagardère. Certain·es y voient la main­mise de Vincent Bolloré sur l'hebdomadaire, qui appar­tient au groupe Lagardère,groupe que lemil­liar­daire bre­ton est en passe de rache­ter par une offre publique d’achat (OPA). Cette main­mise a néan­moins été contes­tée par Arnaud Lagardère, qui affir­mait avoir pris « seul » la déci­sion de nom­mer Lejeune, qu'il qua­li­fiait de « jour­na­liste jeune, talen­tueux et à l’aise avec le digi­tal » auprès du Figaro.

Son arri­vée le 1er août aux com­mandes de l'hebdomadaire s'accompagne de rumeurs, par­ta­gées par Les Jours, sur la publi­ca­tion pro­chaine, le 6 aout, d'un numé­ro plus court, qui ferait 32 pages. Une rumeur qui fait sou­rire notre source : « Avec quelle équipe va-​t-​il tra­vailler ? Comment faire sans jour­na­liste et avec un pla­teau tech­nique désert ? Les nou­veaux sont-​ils for­més à nos logi­ciels, à l'envoi de fichiers pour l'impression ? Sortir un jour­nal allé­gé alors qu'on sort habi­tuel­le­ment entre 48 à 70 pages, c'est risible. » Comme l'observent Les Jours, pour rem­pla­cer des jour­na­listes en grève, il est inter­dit par la loi d'avoir recours à des pigistes ou des CDD. La direc­tion peut seule­ment embau­cher des per­sonnes en CDI, mais avec 99% de la rédac­tion en grève, dif­fi­cile de trou­ver en si peu de temps des rédacteur·trices, et qui plus est, qui accep­te­raient de cas­ser cette grève historique.

En atten­dant, la rédac­tion se dit « inquiète », pour l'avenir finan­cier et édi­to­rial du jour­nal, mais « sou­dée ». Seules la fatigue et la las­si­tude pour­raient avoir rai­son du mou­ve­ment. Elle attend une reprise des négo­cia­tions et agit pour mobi­li­ser le plus de monde pos­sible, autant par­mi les jour­na­listes que les artistes. Dernièrement, c'est l'académicien Erik Orsenna, l'écrivaine et lau­réate du prix Médicis Marie Darrieussecq et les lau­réats du Goncourt Nicolas Mathieu et Tahar Ben Jelloun qui l'ont sou­te­nue. Un sou­tien impor­tant qui se retrouve éga­le­ment dans le suc­cès de leur cagnotte en ligne : déjà 32.000 euros ont pu être ver­sés aux per­sonnes de la rédac­tion les plus en dif­fi­cul­té . D'autres encou­ra­ge­ments et actions sont à venir.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.