Un mois de mobilisation, cinq numéros qui ne paraissent pas en kiosque, et un sixième qui pourrait lui aussi ne pas suivre. Voilà la situation dans laquelle se trouvent les journalistes du Journal du dimanche, en grève face à la nomination à la tête de l'hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, ex-Valeurs-actuelles. Si les négociations sont dans une impasse, la rédaction se dit toujours « soudée » dans l'adversité.
Une grève historique. Depuis 34 jours, les journalistes du Journal du dimanche (JDD) sont en grève, pour s'opposer à la nomination à la tête de l'hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, ex-directeur de la rédaction du journal d'extrême droite Valeurs actuelles. Un mois de mobilisation, cinq numéros qui ne paraissent pas en kiosque, et un sixième qui pourrait également ne pas suivre, vu la tournure des événements : la grève a de nouveau été votée ce matin, à 99%. Et malgré l'opposition de ses employé·es, Lagardère News campe sur ses positions.
Le groupe maintient dans un communiqué, diffusé lundi soir, l'arrivée de Geoffroy Lejeune au sein du média et annonce même celle-ci pour … le 1er août. Il affirme dans ce texte « prendre acte, avec regrets, de l'absence d'accord avec la Société Des Journalistes et les organisations syndicales » et avoir soumis « plusieurs propositions concrètes allant bien au-delà des obligations légales, dans l’objectif de trouver un accord permettant de sauvegarder les intérêts de l’ensemble des parties prenantes ». Le groupe condamne « une rupture des négociations qui est préjudiciable tant aux journalistes qu’aux lecteurs du Journal du Dimanche ».
Les journalistes du JDD déplorent eux aussi, dans un communiqué transmis à Causette et diffusé sur les réseaux sociaux, « une rupture des négociations » et avoir pourtant avancé « dans une démarche responsable » sur deux points précis : obtenir des conditions de départ satisfaisantes pour celles et ceux qui ne voudraient pas travailler avec Geoffroy Lejeune, en particulier pour les dernier·ères arrivé·es au sein de la rédaction, et la signature d'une charte déontologique pour les personnes qui resteraient au sein de cette même rédaction. En vain.
« C'est la fin d'une ère »
C'est sur ce point que les négociations ont échoué : les garanties idéologiques demandées par les journalistes de l'hebdomadaire. Arnaud Lagardère, le dirigeant du groupe, assure dans le communiqué que malgré le passé de Geoffroy Lejeune dans une publication d'extrême droite, le JDD ne deviendra pas « un tract idéologique ni un journal militant », mais restera « une publication d’information généraliste, grand public et ouverte à tous les courants de pensée ». Les journalistes veulent s'en assurer avec la charte proposée, qui engage la direction à faire attention à ne pas publier de « propos racistes, sexistes et homophobes et, plus généralement, tout contenu discriminant et haineux ». Une condition refusée par la direction, cequi a alors mis fin aux négociations .
Le nom de Geoffroy Lejeune « inquiète » la rédaction, nous glisse un journaliste du JDD qui souhaite rester anonyme. Ce dernier rappelle notamment la condamnation en appel de deux salariés de Valeurs Actuelles, qui avait publié en août 2020 un récit de sept pages dépeignant la députée LFI Danièle Obono en esclave, pour injure publique à caractère raciste. Le directeur du journal Erik Monjalous et le journaliste Laurent Jullien avaient notamment été condamnés à verser une amende de 1000 euros avec sursis. Si Geoffroy Lejeune avait été relaxé de toutes les poursuites à son encontre, il reste qu'en tant que directeur de la rédaction, il avait laissé publier cet article.
« Le JDD de demain ne sera pas celui d'aujourd'hui. C'est la fin d'une ère », craint notre source, qui affirme que les journalistes en grève veulent que le dialogue « se rouvre » mais pas « avec des propositions au rabais ». « On nous pousse vers la sortie, poursuit-elle. Or, partir n'est pas un choix pour nous. C'est un crève-cœur de ne pas sortir le journal depuis cinq semaines. Je n'imagine pas tous les papiers que nous aurions pu sortir. Tous les journalistes sont en poste depuis longtemps, il n'y a pas beaucoup de turn-over, nous sommes tous attachés à cette rédaction. »
Un nouveau numéro ?
Les journalistes du JDD avaient appris la nomination de Geoffroy Lejeune fin juin, par voie de presse, dans un article du journal Le Monde, puis dans un communiqué de Lagardère. Certain·es y voient la mainmise de Vincent Bolloré sur l'hebdomadaire, qui appartient au groupe Lagardère,groupe que lemilliardaire breton est en passe de racheter par une offre publique d’achat (OPA). Cette mainmise a néanmoins été contestée par Arnaud Lagardère, qui affirmait avoir pris « seul » la décision de nommer Lejeune, qu'il qualifiait de « journaliste jeune, talentueux et à l’aise avec le digital » auprès du Figaro.
Son arrivée le 1er août aux commandes de l'hebdomadaire s'accompagne de rumeurs, partagées par Les Jours, sur la publication prochaine, le 6 aout, d'un numéro plus court, qui ferait 32 pages. Une rumeur qui fait sourire notre source : « Avec quelle équipe va-t-il travailler ? Comment faire sans journaliste et avec un plateau technique désert ? Les nouveaux sont-ils formés à nos logiciels, à l'envoi de fichiers pour l'impression ? Sortir un journal allégé alors qu'on sort habituellement entre 48 à 70 pages, c'est risible. » Comme l'observent Les Jours, pour remplacer des journalistes en grève, il est interdit par la loi d'avoir recours à des pigistes ou des CDD. La direction peut seulement embaucher des personnes en CDI, mais avec 99% de la rédaction en grève, difficile de trouver en si peu de temps des rédacteur·trices, et qui plus est, qui accepteraient de casser cette grève historique.
En attendant, la rédaction se dit « inquiète », pour l'avenir financier et éditorial du journal, mais « soudée ». Seules la fatigue et la lassitude pourraient avoir raison du mouvement. Elle attend une reprise des négociations et agit pour mobiliser le plus de monde possible, autant parmi les journalistes que les artistes. Dernièrement, c'est l'académicien Erik Orsenna, l'écrivaine et lauréate du prix Médicis Marie Darrieussecq et les lauréats du Goncourt Nicolas Mathieu et Tahar Ben Jelloun qui l'ont soutenue. Un soutien important qui se retrouve également dans le succès de leur cagnotte en ligne : déjà 32.000 euros ont pu être versés aux personnes de la rédaction les plus en difficulté . D'autres encouragements et actions sont à venir.