C’est le dossier chaud bouillant de l’hiver. Le projet de transformation du système de retraites dévoilé, début décembre, par le gouvernement a mis le feu aux poudres et des centaines de milliers de gens dans la rue. Le texte, qui sera présenté au Conseil des ministres fin janvier et débattu au Parlement en février, prévoit de fusionner les quarante-deux régimes actuels en un seul qualifié d’universel et calculé en points. Lors de son discours de cadrage, le 11 décembre, le Premier ministre, Édouard Philippe, a assuré que les femmes seraient les « grandes gagnantes » de ce nouveau système. Une affirmation que réfutent syndicats et associations féministes. Explications.
Un système à points, ça change quoi ?
Le principal changement tient dans la prise en compte de la carrière. Pour le moment, la retraite d’un·e salarié·e se calcule en fonction de son salaire moyen sur une période donnée (les vingt-cinq meilleures années dans le privé et les six derniers mois dans le public) et des trimestres validés. Si la réforme aboutit, les cotisations de toute la vie professionnelle seront intégrées et transformées en points, qui seront ensuite multipliés par une valeur encore non définie et susceptible de varier. Le gouvernement martèle que les carrières morcelées, en général plus spécifiques aux femmes, seraient avantagées. « Ça peut paraître contre-intuitif, mais c’est plutôt positif pour les femmes qu’on compte tout, détaille Julie Tréguier, doctorante en économie à l’Ined et autrice d’une thèse sur les inégalités de genre dans le système de retraite français. Le mode de calcul précédent avait tendance à plus favoriser les carrières ascendantes rapides. » Ce qui ne concerne, bien sûr, pas toutes les femmes, dont 30 % occupent un temps partiel « subi ». Pour Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT des cadres et techniciens, ce projet est tout sauf une bonne nouvelle. « Ne compter que les meilleures années, dans le système actuel, permet de gommer les trous du gruyère. »
Les femmes vont-elles perdre de l’argent ?
Il manque trop d’éléments pour établir une liste exhaustive des gagnant·es et des perdant·es, mais on commence à avoir une idée. Premières victimes : les fonctionnaires, dont 63 % sont des femmes. La nouvelle règle de calcul met fin à leur régime spécial et prend en compte l’ensemble de la carrière et les primes. Problème : tous et toutes les fonctionnaires n’en perçoivent pas. « En moyenne, les femmes ont des taux de primes inférieurs à ceux des hommes soit parce qu’elles sont dans des catégories B ou C, soit parce qu’elles sont dans des secteurs comme la fonction publique hospitalière ou l’Éducation nationale, qui en distribuent peu », commente Julie Tréguier, à l’Ined. Le gouvernement promet néanmoins de mettre 10 milliards d’euros sur la table pour revaloriser les pensions des enseignant·es né·es après 1975. Les veuves ou futures veuves font partie des autres lésées de la réforme. Dans le système actuel, la pension de retraite des femmes du privé et du public est inférieure de 42 % à celle des hommes. Un écart compensé par des dispositifs de solidarité ou les droits familiaux liés à la maternité ou la pension de réversion en cas de décès de leur conjoint. « Pour percevoir cette pension, qui sera un pourcentage des revenus retraite du ménage, il faudra avoir 62 ans, contre 55 ans actuellement, dénonce l’économiste et maître de conférences à Paris‑I, Michaël Zemmour. 80 000 femmes pourraient perdre cette source de revenus. »
Faudra-t-il travailler plus longtemps ?
Le gouvernement ne s’en cache pas, c’est son objectif. « Sans forcer, il faut inciter les Français à travailler plus longtemps », a déclaré Édouard Philippe. C’est la raison pour laquelle l’« âge pivot » a fait son apparition dans le projet et s’appliquerait aux départs entre 2022 et 2037. Raccrocher avant amputerait l’ensemble de la pension, tandis qu’en partant après, elle serait bonifiée. Cet âge augmenterait progressivement dès 2022 pour atteindre 64 ans en 2027. Le gouvernement assure que ce changement aura du bon pour certaines femmes. 20 % d’entre elles attendent d’avoir 67 ans pour partir à la retraite et ne pas subir une décote, car il leur manque des trimestres pour cause d’inactivité ou de temps partiel. Avec le nouveau système, elles gagneraient trois ans. Mais pour le gros du bataillon, qui part en moyenne à 62 ans et 4 mois à la retraite, il va falloir, au contraire, travailler plus longtemps ! Le gouvernement promet de prendre en compte la pénibilité de certains métiers « usants » pour partir deux ans plus tôt. Méfiance du côté des syndicats. « Le compte professionnel de pénibilité a été vidé de sa substance et ne comporte plus les critères de postures pénibles ou de port de charges lourdes, souvent associés à des métiers plus majoritairement féminins comme ceux de la santé », regrette Sophie Binet, de la CGT.
Avoir des enfants, ça comptera
toujours autant ?
Principal changement : le nouveau régime prévoit une majoration de 5 % des points retraite dès le premier enfant. Aujourd’hui, chaque naissance donne droit à huit trimestres supplémentaires dans le privé, à deux dans le public et une majoration de pension de 10 % au-delà de trois enfants. Les futurs 5 % seraient attribués aux mères par défaut ou partagés au sein du couple. « Cette valorisation dès le premier enfant est plutôt une bonne chose, souligne l’économiste Michaël Zemmour. Mais on peut s’interroger sur les comportements qu’elle va engendrer. S’il y a des écarts de salaires importants, on peut redouter que le couple choisisse de valoriser la personne avec le plus gros revenu. » Le nerf de la guerre reste donc, encore et toujours, d’atteindre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Parce que, jusqu’à preuve du contraire, on n’a rien trouvé de mieux qu’un bon salaire pour avoir une bonne retraite. Pour Julie Tréguier, à l’Ined, on aurait pu espérer que ce nouveau système, qui prône l’universalité et la justice, soit bâti sur des principes plus féministes. « C’est embêtant de se dire qu’une femme atteint un niveau de pension correct juste parce qu’elle est devenue épouse ou mère, se désole-t-elle. Et la réforme ne nous permet absolument pas de sortir de cette logique. »