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Soirée de lancement des 20 ans du Refuge, avec Michel Suchod, au centre, président de la Fondation. © Jérémie Lamarch

La Macronie est-​elle en train de mettre la main sur Le Refuge, cette struc­ture qui recueille des per­sonnes LGBT ?

Alors qu’un film, L’Arche de Noé, racon­tant le quo­ti­dien d’une asso­cia­tion venant en aide aux jeunes LGBT mis·es à la rue, sort ce mer­cre­di au ciné­ma, Le Refuge, qui réa­lise cette mis­sion dans la réa­li­té, fête ses 20 ans d’existence. Après avoir connu des tur­bu­lences à la fin de l’année 2020, la struc­ture tente depuis trois ans de se pro­fes­sion­na­li­ser. Mais la phi­lo­so­phie du Refuge est-​elle com­pa­tible avec son récent “ados­se­ment” au Groupe SOS, géant de l’économie sociale et soli­daire, à l’esprit très start-​up nation ? Enquête.

“Une asso­cia­tion accueille des jeunes LGBT mis à la rue par leurs familles.” Le pitch du pre­mier film du réa­li­sa­teur fran­çais Bryan Marciano, L’Arche de Noé, avec Valérie Lemercier en vedette, rap­pelle très fran­che­ment l’histoire du Refuge, qui fête ses 20 ans d’existence en 2023. Avant la sor­tie du long-​métrage ce 22 novembre, six avant-​premières ont été orga­ni­sées un peu par­tout en France par la struc­ture, qui en a récol­té l’ensemble des bénéfices. 

Depuis sa créa­tion à Montpellier en 2003, Le Refuge aide et accom­pagne des jeunes LGBTQIA+ en grande dif­fi­cul­té et insta­bi­li­té, lorsqu’ils et elles ont été mis·es à la porte par leur famille en rai­son de leur orien­ta­tion sexuelle ou de leur iden­ti­té de genre. D’abord lan­cée comme une asso­cia­tion avant de deve­nir une fon­da­tion en mars 2020, la struc­ture gran­dit au fur et à mesure des années, s’installant dura­ble­ment dans le pay­sage média­tique et poli­tique, à tra­vers le sou­tien de per­son­na­li­tés, comme la comé­dienne Muriel Robin qui en a été la mar­raine pen­dant plu­sieurs années. Fort de 6 mil­lions d’euros de res­sources en 2022, dont 20–25 % pro­viennent de finan­ce­ments publics, Le Refuge inter­vient aujourd’hui dans dix-​sept villes et s’appuie sur le tra­vail de 145 salarié·es et 400 bénévoles.

Ces deux der­nières décen­nies n’ont cepen­dant pas été un long fleuve tran­quille pour cet orga­nisme connu de tous et toutes les Français·es et écla­bous­sé par de récents scan­dales. En 2020, la mau­vaise ges­tion de la struc­ture, résul­tant en une prise en charge jugée défaillante des jeunes LGBTQIA+, avait été poin­tée du doigt. Ses fon­da­teurs avaient démis­sion­né, accu­sés de “tra­vail dis­si­mu­lé”, de “har­cè­le­ment moral” ou de “har­cè­le­ment sexuel”. 

Personne ne semble y pen­ser en ce 16 mai der­nier, au som­met de l’hôtel 5 étoiles SO/​Paris, dans le 4e arron­dis­se­ment de la capi­tale. Pour la soi­rée anni­ver­saire de la fon­da­tion, une tren­taine d’invité·es par­tagent verres de vin blanc et coupes de cham­pagne. Devant d’immenses vitres, à tra­vers les­quelles on aper­çoit la tour Eiffel, les visages connus de plu­sieurs poli­tiques, figures de la Macronie, comme les ministres Gabriel Attal et Clément Beaune, ansi que la secré­taire d’État Sarah El Haïry, se détachent de la foule. 

Moins connus du grand public, des membres du Groupe SOS se pressent aus­si sur la moquette du très chic lieu. Fondé par Jean-​Marc Borello, un proche d’Emmanuel Macron, le Groupe SOS, géant de l’économie sociale et soli­daire (ESS), occupe une cer­taine place au sein du dis­cours que livre le pré­sident de la struc­ture de sou­tien aux LGBTQIA+, Michel Suchod. Au milieu de remer­cie­ments pour les salarié·es, béné­voles et mécènes, l’homme âgé de 77 ans glisse que le Refuge s’est ados­sé au Groupe SOS “pour pro­gres­ser et avan­cer”. Un rap­pro­che­ment jusque-​là tu publi­que­ment, mais auquel l’ensemble des membres et des proches de la fon­da­tion a été confron­té le 25 jan­vier der­nier, dans une news­let­ter rédi­gée par Michel Suchod et que Causette a pu consulter.

“Un trau­ma­tisme”

Mais reve­nons en arrière. Le 15 décembre 2020, dans une longue enquête, Mediapart dif­fuse les témoi­gnages de plus de cin­quante per­sonnes, salarié·es, délégué·es, travailleur·euses sociaux·ales, béné­voles du Refuge, fai­sant notam­ment état d’une mau­vaise ges­tion, entraî­nant une prise en charge des béné­fi­ciaires jugée “défaillante”. Quelques mois plus tard, après la publi­ca­tion des conclu­sions d’un audit du cabi­net indé­pen­dant Boston Consulting Group (BCG), le conseil d’administration annonce, le 18 février 2021, la démis­sion de Nicolas Noguier, fon­da­teur du Refuge, et de Frédéric Gal, son com­pa­gnon et direc­teur géné­ral de la struc­ture. En jan­vier 2022, tous deux sont mis en exa­men pour “tra­vail dis­si­mu­lé et har­cè­le­ment moral sur plu­sieurs sala­riés et béné­voles”. En paral­lèle, une enquête dili­gen­tée pour des accu­sa­tions de vio­lences sexuelles sur des per­sonnes majeures ou mineures accueillies au sein de la struc­ture avait conduit à la mise en exa­men du pre­mier pour “viol” et “agres­sion sexuelle”, et du deuxième pour deux faits de “har­cè­le­ment sexuel”. Le couple nie l’ensemble des accusations.

Une période vécue comme “un trau­ma­tisme” par celles et ceux qui tra­vaillent pour Le Refuge ou l’accompagnent, à l’image du jour­na­liste de France 2 Jean-​Baptiste Marteau, qui sou­tient la fon­da­tion depuis quinze ans. “On tombe de très très haut, se souvient-​il, au télé­phone, auprès de Causette. J’ai été extrê­me­ment cho­qué par ce que j’ai pu lire et entendre. On se bat contre toutes ces choses-​là, pour plus d’égalité, pour faire chan­ger les men­ta­li­tés… Le pre­mier réflexe que j’ai eu est d’avoir vou­lu tout arrê­ter. Je me suis mis en retrait pen­dant quelque temps. Certains ont alors évo­qué l’idée de créer une nou­velle struc­ture. Mais j’ai pré­fé­ré fina­le­ment conti­nuer avec Le Refuge : une nou­velle équipe est arri­vée, une pro­fes­sion­na­li­sa­tion s’est mise en route. On ne peut pas aban­don­ner le com­bat quand on ren­contre les jeunes qui n’ont rien deman­dé et conti­nuent d’appeler tous les jours.”

Après le départ du tan­dem Noguier-​Gal, de nou­velles têtes font ain­si leur appa­ri­tion en 2021. L’énarque et ancien dépu­té de gauche Michel Suchod est nom­mé pré­sident du Refuge. Sophie Delannoy se retrouve quant à elle direc­trice géné­rale, après avoir été direc­trice du déve­lop­pe­ment du groupe Auchan pen­dant vingt-​trois ans. Dans un com­mu­ni­qué de presse, une par­tie de la nou­velle équipe pose tout sou­rire devant l’objectif. Un comi­té de sui­vi com­po­sé de six membres, dont Jean-​Baptiste Marteau, se consti­tue aus­si afin de suivre les enga­ge­ments de la fon­da­tion. “Il y a un vrai élan, la volon­té de faire table rase pour repar­tir sur des bases saines”, note le jour­na­liste. Mais à peine deux ans plus tard, les dirigeant·es arrivé·es en 2021 sont absent·es des pho­tos de la soi­rée des 20 ans. Et pour cause : une grande par­tie de cette équipe est par­tie pré­ci­pi­tam­ment entre l’été 2022 et le début de l’année 2023, à son tour rem­pla­cée. Seul Michel Suchod, pour­tant décrit comme pré­sident “de tran­si­tion”, est tou­jours présent.

“Un sen­ti­ment d’inquiétude généralisé”

Interrogée sur ces chan­ge­ments de dirigeant·es, le Refuge indique à Causette que : “Les choix de vie et de tra­jec­toire faits par chaque sala­rié de la fon­da­tion leur appar­tiennent. Le rôle de la fon­da­tion est de garan­tir la conti­nui­té et la qua­li­té de prise en charge des jeunes accueillis, quels que soient les mou­ve­ments internes qui s’opèrent, du côté des sala­riés comme de celui des béné­voles.” De son côté, Michel Suchod, inter­ro­gé par Causette, juge que l’ensemble de ces départs répond à une “conjonc­tion de hasards”. Concernant celui de Sophie Delannoy, il affirme qu’“elle se consi­dé­rait comme très fati­guée”, car cela lui avait deman­dé “beau­coup d’efforts” d’assurer la tran­si­tion. “On entre­tient tou­jours avec elle les meilleurs rap­ports”, glisse-​t-​il. L’énarque estime que les membres de son équipe sont par­tis “parce qu’en réa­li­té, ils étaient extrê­me­ment liés à elle et qu’ils ont eu d’autres pro­po­si­tions ou ont vou­lu mon­ter leur propre boîte. 

Contacté·es par Causette, la plu­part des dirigeant·es qui ont tra­vaillé au Refuge à cette époque (2021−2023) n’ont soit pas répon­du à notre sol­li­ci­ta­tion, soit refu­sé de répondre à nos ques­tions. Un ancien sala­rié de cette période, qui pré­fère res­ter ano­nyme, se sou­vient tout de même auprès de Causette qu’il s’agissait d’une “super oppor­tu­ni­té” au moment de son embauche. Mais deux ans après son arri­vée, il dit avoir accu­sé le coup après un chan­ge­ment de direc­tion qu’il juge alors “bru­tal” : “Très rapi­de­ment, tous les nou­veaux se sont mis au tra­vail, les tâches à accom­plir étaient colos­sales. Pendant deux ans, nous n’avons pas eu beau­coup de contacts avec le conseil d’administration. Puis, à l’automne der­nier, un chan­ge­ment de pos­ture assez violent inter­vient. Le conseil n’est pas content de nous et de notre tra­vail. On nous dit que ça ne va plus du tout. Quand on donne beau­coup de temps, beau­coup d’énergie et que du jour au len­de­main on vous dit que ça va plus du tout, c’est violent…”

Ce chan­ge­ment de ton serait inter­ve­nu, selon un·e travailleur·euse social·e tou­jours en poste, après la tenue d’un sémi­naire à Marseille, en octobre 2022, “au cours duquel le conseil d’administration a pu consta­ter de nom­breuses dif­fi­cul­tés remon­tées par les tra­vailleurs sociaux et les béné­voles. À mon sens, c’est à ce moment-​là que le CA a com­pris que la direc­tion n’avait pas tenu ses objec­tifs.” Mais la dis­pa­ri­tion de l’ancienne équipe ne s’est pas faite sans lais­ser de traces. Le rem­pla­ce­ment de la direc­trice géné­rale Sophie Delannoy est jugé “bru­tal” par notre source. C’est à ce moment-​là qu’entre en scène le Groupe SOS, appe­lé à la res­cousse par la direc­tion pour aider la fon­da­tion à se pro­fes­sion­na­li­ser. Une arri­vée sur­prise pour l’équipe du Refuge qui ne sera pas offi­cia­li­sée avant la news­let­ter rédi­gée par Michel Suchod fin jan­vier : “On nous a pris pour des idiots, comme si on n’allait pas le remar­quer. Tout cela a été très mal vécu et a géné­ré un sen­ti­ment d’inquiétude géné­ra­li­sé.” Un·e autre travailleur·se social·e estime aus­si que “cela est loin de s’être fait dans les bonnes condi­tions. L’ancienne direc­tion a été remer­ciée et en un mois qua­si­ment tous les anciens et anciennes direc­teurs et direc­trices étaient par­tis pour être rem­pla­cés. Notamment par d’anciens membres du Groupe SOS. Nous avons eu peur d’être en train de nous faire absor­ber par ce dernier”.

Un groupe qui pèse 1,370 mil­liard d’euros

Mais qui est ce Groupe SOS et pour­quoi génère-​t-​il des inquié­tudes ? Derrière ce nom se cache une enti­té très connue de l’économie sociale et soli­daire, lan­cée en 1984 pour accom­pa­gner les toxi­co­manes et les malades du sida, qui s’est rapi­de­ment déve­lop­pée grâce “à la reprise d’associations en dif­fi­cul­té”, décrit La Croix dans un article de 2012. De 2 700 employé·es au début des années 2010, le groupe atteint aujourd’hui l’effectif colos­sal de 22 000 per­sonnes, avec un bud­get 2022 de 1,367 mil­liard d’euros. Les 750 éta­blis­se­ments et ser­vices, asso­cia­tions et entre­prises sociales qui le com­posent sont réparti·es entre huit “asso­cia­tions fon­da­trices” (jeu­nesse, seniors, soli­da­ri­tés, san­té, culture, com­merce et ser­vices, tran­si­tion éco­lo­gique et ter­ri­toires, et inter­na­tio­nal). Pour son fon­da­teur Jean-​Marc Borello, “le ‘suc­cès’ du groupe repo­se­rait sur sa stra­té­gie d’importation de logiques, d’outils et de pra­tiques carac­té­ris­tiques des grandes entre­prises”, note le doc­teur en socio­lo­gie Clément Gérôme, dans un article consa­cré à l’entrepreneuriat social en France paru dans la revue Lien social et poli­tiques. Une phi­lo­so­phie qui rap­pelle celle d’Emmanuel Macron et de sa “start-​up nation” en 2016. Jean-​Marc Borelloa sou­te­nule can­di­dat à la pré­si­den­tielle en deve­nant délé­gué géné­ral adjoint d’En marche, fonc­tion qu’il assume tou­jours aujourd’hui chez Renaissance comme délé­gué fonctionnel.

Cinq membres du Groupe SOS, dont son patron, ont rejoint le conseil d’administration du Refuge, qui compte onze per­sonnes en son sein, à la fin de l’année 2022. Le mas­to­donte de l’économie sociale et soli­daire essaime aus­si en dehors du CA. Début 2023, deux salarié·es du Groupe SOS sont incité·es par leur hié­rar­chie à rejoindre Le Refuge : Estelle Espanol, nom­mé direc­trice de l’action sociale, et Benoît Cascade, au poste de direc­teur des rela­tions ins­ti­tu­tion­nelles et de l’international. Un entrisme par­ache­vé par l’arrivée de Pacôme Rupin, deve­nu direc­teur géné­ral. Ce tren­te­naire a tra­vaillé pen­dant un peu plus d’un an dans le Groupe SOS, avant de rejoindre dès ses débuts En marche, avec le sou­tien de Jean-​Marc Borello, comme le racon­tait BFMTV en 2017, et deve­nir dépu­té LaREM (2017−2022) de la 7e cir­cons­crip­tion de Paris. 

Si Le Refuge n’a pas offi­ciel­le­ment rejoint le Groupe SOS et reste une fon­da­tion indé­pen­dante, cet “ados­se­ment” – un terme uti­li­sé dans le monde de l’entreprise lorsqu’une socié­té ouvre son capi­tal à une autre plus grande pour se déve­lop­per – était “cou­su de fil blanc”, selon un ancien membre du conseil d’administration de la fon­da­tion, qui sou­haite res­ter ano­nyme. Michel Suchod a d’ailleurs été membre du conseil d’administration du Groupe SOS pen­dant “trois-​quatre ans”, indique-​t-​il à Causette, avant de pré­ci­ser : “J’ai démis­sion­né, il me semble, il y a deux ans. Je pense juste après avoir été dési­gné comme pré­sident du Refuge, parce que j’estimais que ça serait trop de tra­vail.” Sofiane Kherarfa, codi­ri­geant du Groupe SOS et nou­veau membre du conseil d’administration du Refuge, abonde : “Michel Suchod a été un grand admi­nis­tra­teur chez nous, mais il ne l’est plus depuis un ou deux ans.”

Pour Michel Suchod, il n’y a pas de lien entre son tra­vail béné­vole au sein du Groupe SOS et l’adossement du Refuge au géant de l’économie sociale et soli­daire. “Quand nous avons esti­mé qu’on avait besoin d’un ren­fort, dif­fé­rents opé­ra­teurs ont été envi­sa­gés. Nous avons dis­cu­té avec plu­sieurs d’entre eux. Et fina­le­ment, c’était com­plè­te­ment rai­son­nable de le faire avec le Groupe SOS”, affirme-​t-​il, louant sa qua­li­té de “pre­mier groupe fran­çais, et même euro­péen, du tra­vail social”. “Le conseil d’administration du Refuge nous a contac­tés en fin d’année der­nière, raconte Sofiane Kherarfa, pour nous deman­der d’intégrer la gou­ver­nance de la fon­da­tion afin de par­ti­ci­per à cette relance débu­tée en 2021 et pour­suivre les chan­tiers qui ont été lan­cés : la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de la struc­ture dans sa dimen­sion de l’action sociale et sa ges­tion saine, étant don­né qu’elle porte des sujets émi­nem­ment lourds.” Ce rap­pro­che­ment s’est fait “extrê­me­ment natu­rel­le­ment, selon le codi­ri­geant du Groupe SOS, et s’explique par “leur enga­ge­ment depuis qua­rante ans sur les sujets LGBT+” et par le fait qu’il soit “un acteur majeur de l’hébergement d’urgence”.

“Il faut dépen­ser le moins possible”

Cette greffe peut-​elle prendre sans que Le Refuge y perde son âme ? C’est ce qui inquiète les salarié·es encore en poste interrogé·es par Causette. “La fon­da­tion se veut à échelle humaine. L’argent et le bud­get ne sont pas une prio­ri­té. C’est cet état d’esprit qui nous per­met d’accompagner de la meilleure des façons les per­sonnes que nous sui­vons. Mais l’arrivée du Groupe SOS, géant du sec­teur, montre bien que le bud­get est deve­nu la prio­ri­té de cette nou­velle direc­tion et du nou­veau conseil d’administration. Ce qui peut mettre au second plan les aspects humains qui nous sont chers au sein du Refuge. Des choses avancent tou­te­fois dans le bon sens, notam­ment concer­nant la refonte des docu­ments cadres que l’on fait signer aux jeunes que l’on accom­pagne”, nous explique un·e travailleur·euse social·e. 

L’autre travailleur·euse qui s’est confié·e à Causette regrette que la pro­fes­sion­na­li­sa­tion accrue de la fon­da­tion se fasse, selon il·elle, “sans réelle concer­ta­tion avec les sala­riés et sans que soient remon­tés leurs besoins, ni ceux du public accom­pa­gné”. “Il y a désor­mais une logique pure­ment ges­tion­naire : un fos­sé énorme existe entre la direc­tion et les sala­riés. On ne sait pas for­cé­ment à quel inter­lo­cu­teur s’adresser, on ne les connaît pas et on a l’impression qu’ils sont dans leur tour d’ivoire…”, affirme notre source. Selon elle, il exis­te­rait d’ailleurs déjà, en moins d’un an, “un chan­ge­ment dans l’environnement et les méthodes de tra­vail”. Notamment concer­nant le bud­get à la dis­po­si­tion des travailleur·euses sociaux·ales : “La consigne est claire : il faut dépen­ser le moins pos­sible. Tout est revu au mini­mum. Dans mon ser­vice, notre mana­ger nous parle désor­mais sans cesse du bud­get. J’ai récem­ment enten­du des col­lègues racon­ter un refus par la direc­tion d’achat de maté­riel des­ti­né à l’hébergement de jeunes LGBT, à savoir un éten­doir à linge. Je crains d’arriver à un stade où on devra négo­cier pour chaque dépense, que ça devienne com­pli­qué d’obtenir des choses simples, mais sur­tout qu’on perde du temps et de l’énergie qu’on devrait consa­crer aux per­sonnes accom­pa­gnées. J’ai juste peur que la logique comp­table prenne le pas sur le bon sens.” Le point de non-​retour pour­rait bien­tôt être atteint : “Notre équipe est en souf­france et il y a eu plu­sieurs arrêts de tra­vail cette année. L’équipe était très inves­tie, mais est désor­mais démotivée.”

Un autre point qui crispe les deux travailleur·euses sociaux·ales est la pré­sence, au sein du conseil d’administration du Refuge, de Jean-​Marc Borello, le pré­sident du Groupe SOS. Car ce der­nier, ouver­te­ment homo­sexuel, fait lui aus­si l’objet d’accusations de har­cè­le­ment et d’agressions sexuelles d’anciens sala­riés hommes, qui s’étaient confiés à Libération et au Monde en 2018. Jean-​Marc Borello s’en défend et aucune plainte n’a été dépo­sée à ce jour. Mais sa place au sein de l’organigramme a pro­vo­qué de “l’étonnement” chez les salarié·es. “Je ne suis pas d’accord de tra­vailler pour une fon­da­tion qui se targue publi­que­ment de pro­té­ger les jeunes LGBT+ tout en accep­tant la pré­sence dans son CA d’un homme accu­sé de har­cè­le­ment sexuel envers de jeunes hommes”, lâche l’un·e d’eux·elles.

“Il faut res­ter vigilant”

Michel Suchod se veut ras­su­rant sur l’avenir du Refuge. Il affirme qu’en l’aidant à se pro­fes­sion­na­li­ser, le Groupe SOS “montre sa grande capa­ci­té de ges­tion, ce qui est un point de plus dans sa pré­sen­ta­tion”. Ilsait que l’équilibre de la fon­da­tion, notam­ment finan­cier, n’est pos­sible que si elle garde son indé­pen­dance”, ajoute-​t-​il. Indépendante, la fon­da­tion a néan­moins rejoint le Groupement d’intérêt éco­no­mique (GIE) du Groupe SOS, qui lui per­met de béné­fi­cier de ser­vices mutua­li­sés, comme ceux d’une exper­tise comp­table, finan­cière et juri­dique. Des coûts finan­ciers en moins pour elle.

“La fon­da­tion est recon­nue d’utilité publique, indé­pen­dante et le res­te­ra”, abonde Sofiane Kherarfa, qui assure qu’il n’y aura jamais plus de cinq per­sonnes du Groupe SOS dans son conseil d’administration. “On est à la tâche depuis six mois, conclut-​il. On a vécu une jolie soi­rée des 20 ans, avec une forte mobi­li­sa­tion des pou­voirs publics, des mécènes et des dona­teurs. On fera le bilan dans quelques mois ou quelques années. Mais laissez-​nous exer­cer notre man­dat d’administrateur et de sou­tien ! Vous juge­rez alors de vous-​même si la fon­da­tion a per­du son âme. Je ne crois pas que ce sera le cas et je suis même per­sua­dé que non, parce qu’on ne fait que sou­te­nir une struc­ture qui a pré­exis­té et qui conti­nue­ra d’exister.”

“Nous ne sommes pas offi­ciel­le­ment le Groupe SOS, mais ça fini­ra par être le cas”, craint l’un·e des travailleur·euses sociaux·ales qui se dit tel­le­ment dégoûté·e et déçu·e par cette situa­tion qu’il·elle “n’a plus aucune attente envers [sa] direc­tion et plus glo­ba­le­ment Le Refuge”. L’autre salarié·e encore en poste se veut plus nuancé·e : “D’après ce que nous a dit la direc­tion, elle a noué des liens plu­tôt stra­té­giques avec ce groupe, car ce sont des gens spé­cia­li­sés dans le tra­vail social. Il n’est pas ques­tion qu’on soit absor­bés. Cela nous convient comme réponse, pour l’instant.” Avant de pré­ve­nir néan­moins : “Mais il faut res­ter vigi­lant. Nous sommes la fon­da­tion Le Refuge et nous aime­rions bien le res­ter.

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