La justice européenne condamne la France à réexaminer deux demandes de rapatriement de familles de Françaises et de leurs enfants retenu·es dans des camps syriens « dans les plus brefs délais ».
La décision très attendue est tombée en plein après-midi mercredi 14 septembre. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient de contraindre la France à réexaminer les demandes de rapatriement de deux familles de djihadistes bloquées dans le camp de Roj dans le nord-est de la Syrie. Et ce « dans les plus brefs délais », précise le communiqué de la CEDH.
Une condamnation qui intervient deux mois après que la France, longtemps très réticente à faire revenir sur son sol ses ressortissant·es parti·es faire le djihad en Syrie, a rapatrié trente-cinq mineur·es et seize mères. « La décision de la Cour est une démonstration accablante des efforts persistants de la France pour échapper à ses responsabilités envers les femmes et les enfants français détenus arbitrairement dans le nord-est de la Syrie dans des conditions mettant leur vie en danger », dénonce Bénédicte Jeannerod, directrice France à Human Rights Watch dans un communiqué.
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Cette décision est l’aboutissement d’une course de longue haleine. La Cour avait été saisie en mars 2021 par deux couples de Français·es qui avaient demandé en vain aux autorités françaises le rapatriement de leurs filles, deux compagnes de djihadistes, et de leurs trois enfants. Plus d’un an après sa saisie, la CEDH a donc condamné la France pour ne pas avoir étudié de manière appropriée ces demandes de rapatriement. Dans son arrêt, la justice européenne a conclu à une violation par la France de l’article 3–2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, texte fondamental que la CEDH est chargée de faire respecter, en exposant notamment les deux mères et leurs enfants à des « traitements inhumains et dégradants ». Outre le réexamen des demandes de rapatriement, Paris devra verser 18 000 euros et 13 200 euros aux deux familles requérantes pour frais et dépens.
Les deux femmes de 31 et 33 ans sont arrivées en Syrie en 2014 et 2015, lorsque l’organisation État islamique (EI) était au faîte de son pouvoir et régnait sur un « califat » à cheval sur la Syrie et l’Irak. Mariées sur place à deux djihadistes, elles avaient alors donné naissance à deux enfants pour l’une, à un pour l’autre. Elles se sont ensuite retrouvées prises au piège à Baghouz, le dernier bastion de l’EI, début 2019 avant d’être emprisonnées dans le camp de Roj.
Jurisprudence
L’arrêt rendu par la CEDH va faire jurisprudence et sera scruté bien au-delà des frontières françaises. Il vaut également les centaines de ressortissant·es européen·nes actuellement détenu·es en Syrie. Si des pays comme l’Allemagne ou la Belgique ont d’ores-et-déjà rapatrié la plus grande partie de leurs ressortissant·es, la France privilégie encore le « cas par cas », doctrine défendue devant la CEDH par son représentant en septembre 2021.
La décision de la CEDH sonne pour l’ONG Human Rights Watch comme l’ultime espoir. « La France devrait prendre ce jugement comme un coup de semonce et rapatrier au plus vite tous les enfants français et leurs mères encore détenus dans la région », requiert Bénédicte Jeannerod, d’Human Rights Watch. Il restait, après le rapatriement de cet été, une centaine de femmes et près de 250 enfants français·es dans les camps syriens.
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