Le 2 juillet, c’est la Journée mondiale des ovnis, l’occasion d’interroger Manuel Wiroth, auteur de la thèse Ovnis sur la France, des années 1940 à nos jours. Aujourd’hui professeur dans le secondaire, le chercheur retrace l’histoire de l’ufologie (l’étude des ovnis) et démontre qu’en dépit d’une démarche sérieuse, les ufologues n’ont pas (encore ?) obtenu de résultats probants.
Causette : Vous racontez que ce sont les armées qui, les premières, auraient mené des enquêtes sur le phénomène des ovnis (objets volants non identifiés). Et que certaines envisagent sérieusement l’hypothèse extraterrestre.
Manuel Wiroth : Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, des pilotes militaires rapportent des observations d’objets insolites volant au-dessus de théâtres d’opérations. En 1946, à la suite de nombreux témoignages d’objets non identifiés survolant la Scandinavie, l’Europe de l’Ouest et la Grèce, les services diplomatiques et consulaires français mènent l’enquête. Les principales armées alliées leur emboîtent le pas. De hauts gradés américains, qui pensaient au départ que ces objets volants pouvaient avoir été fabriqués par les nazis et les Soviétiques, commencent à douter. L’hypothèse extraterrestre se dessine alors dans les milieux militaires américains.
Vous démontrez dans votre thèse qu’une partie de l’ufologie repose sur une démarche véritablement scientifique. Pourtant, les chercheurs n’ont jamais obtenu les résultats espérés. Pourquoi ?
M. W. : Malgré l’implication de nombreux scientifiques, d’ingénieurs, etc., l’ufologie n’a pas pu accéder au statut de science. Il n’y a jamais vraiment eu de laboratoires pour analyser les données collectées, par exemple. Et ce statut de « parascience » discrédite rapidement les chercheurs impliqués, aussi sérieux soient-ils. Nous n’avons donc pas encore de réponses aux questions que posent ces phénomènes inconnus. En revanche, il est très possible que les militaires américains en sachent plus.
Sur quels éléments vous fondez-vous pour affirmer cela ?
M. W. : Sur des témoignages de gens très sérieux ! En 1999, un groupe d’ingénieurs et d’anciens auditeurs de l’IHEDN [Institut des hautes études de défense nationale, ndlr] fait un point sur le sujet des ovnis. C’est le rapport Cometa (Comité d’études approfondies). Les auteurs y évoquent notamment une « politique de secret et de désinformation » des États-Unis. En 1969, l’armée américaine avait déclaré qu’elle mettait fin au projet Blue Book, une commission qui étudiait les ovnis. Or, en 2017, l’armée de l’air a reconnu qu’elle avait financé, dix ans plus tôt, un programme de recherche à hauteur de 22 millions de dollars. Les États-Unis étudient très certainement le phénomène sans interruption depuis 1947, année durant laquelle le pays a été touché par une vague d’événements, dont le crash supposé de Roswell*.
La France a‑t-elle son affaire Roswell ?
M. W. : Nous n’avons pas d’affaires aussi médiatisées et spectaculaires que celle-ci. Mais en France – nous nous sommes aperçus plus tard que cela touchait en réalité le monde entier –, de très nombreux phénomènes ont été observés durant l’été et l’automne 1954. Les deux premières semaines d’octobre, une dizaine de cas étaient rapportés quotidiennement dans les journaux ! Un phénomène étrange a notamment eu lieu à Madagascar, qui était à cette époque une colonie française. Le 16 août 1954, un ovni aurait survolé la capitale Tananarive. Certaines sources font état de vingt mille témoins potentiels ! Parmi eux, Edmond Campagnac, polytechnicien, pilote professionnel et chef des services techniques d’Air France dans la capitale malgache à l’époque, qui a témoigné quelques années plus tard. Au passage de cet engin, les lumières de la ville se seraient éteintes et des zébus, qui se trouvaient en dessous, auraient été pris de panique. L’armée de l’air a ordonné une enquête et aurait interrogé près de cinq mille personnes. Impossible aujourd’hui d’en retrouver la trace dans les archives militaires…
Dans le monde scientifique, quelle est la part de gens qui croient en ces phénomènes ?
M. W. : « Un scientifique a deux facettes, une publique et une privée, m’avait dit l’un des membres du jury de thèse. En public, ses déclarations sont très prudentes. En privé, c’est différent. » Par exemple, l’astrophysicien Peter Sturrock a réalisé, en 1973, une enquête au sein de l’Institut américain d’aéronautique et d’astronautique. Il a demandé à ses confrères, réputés très silencieux publiquement sur ces thèmes-là, s’ils avaient déjà été témoins d’un phénomène qu’ils n’avaient pu identifier et qui aurait pu être lié aux ovnis. Plus de 1 300 astrophysiciens ont répondu de façon anonyme. Environ 5 % ont dit oui.
Quelles thèses les plus loufoques ont été avancées par les ufologues ?
M. W. : John Lear, un ancien pilote américain, a, par exemple, expliqué que les États-Unis auraient passé un pacte avec des extraterrestres : en échange des technologies avancées des aliens, le pays leur fournirait ce qu’ils veulent. Il y a aussi « l’hypothèse du zoo »,théorisée par John Ball, un ancien astronome du MIT (Massachusetts Institute of Technology), en 1973. Selon lui, nous serions dans une sorte de zoo. Comme nous le faisons, nous, avec des animaux en cage, les aliens observeraient, eux, notre activité, mais n’auraient pas l’intention d’entrer en contact avec nous. D’où le fait que nous ne les ayons jamais rencontrés ! Certains pensent que les soucoupes volantes seraient vivantes, d’autres qu’elles viendraient d’un univers parallèle où se trouverait le siège de l’« intelligence ». Carl Jung lui-même a développé une hypothèse selon laquelle nos observations seraient des projections de notre inconscient collectif. Des gens très sérieux se sont penchés sur la question pour tenter d’expliquer les performances de ces objets, impossibles à comprendre pour nous, humains.
Qui sont les ufologues ?
M. W. : Nous n’avons pas d’étude très complète sur les ufologues français. À l’étranger, ce genre de travail a pu être mené. Selon une étude anglaise, par exemple, les ufologues appartiennent plutôt aux classes moyennes. Ils ont une profession stable, sont bien intégrés et ont un niveau d’éducation supérieur à la moyenne. Ils sont en très grande majorité de sexe masculin, assez jeunes. Beaucoup sont intéressés par l’espace et la science-fiction.
* L’écrasement au sol, au Nouveau-Mexique, le 4 juillet 1947, de ce qui est présenté, selon les versions, comme un ballon-sonde ou comme un objet volant non identifié (ovni).