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(Charles Kadri/Wikimedia Commons)

« Kohlantess » : Dominique Simonnot fait part de l'inquiétude des professionnel·les de « voir les acti­vi­tés dimi­nuer drastiquement »

Dominique Simonnot, contrô­leuse géné­rale des lieux de pri­va­tion de liber­té, revient pour Causette sur les pos­sibles consé­quences de la polé­mique « Kohlantless » sur les acti­vi­tés cultu­relles et spor­tives en pri­son, essen­tielles pour la future réin­ser­tion des prisonnier·ères.

L'organisation du jeu « Kohlantless », paro­die de l'émission de télé­vi­sion Koh-​Lanta, dans la pri­son de Fresnes, a sus­ci­té les réac­tions outrées d'une par­tie de la classe poli­tique à la fin de l'été, quand une vidéo de la com­pé­ti­tion a été mise en ligne sur YouTube. Sur Twitter, Éric Dupond-​Moretti a qua­li­fié les images de « cho­quantes », assu­rant que « la lutte contre la réci­dive passe par la réin­ser­tion mais cer­tai­ne­ment pas par le kar­ting ». Des indi­vi­dus peuvent notam­ment être vus en train de conduire des karts dans la vidéo. Le garde des Sceaux a alors annon­cé vou­loir prendre une cir­cu­laire « pour fixer clai­re­ment les condi­tions néces­saires à la tenue de pro­jets de réin­ser­tion en pri­son ». « Ils devront désor­mais tous être sou­mis à une vali­da­tion expresse de la direc­tion de l’administration péni­ten­tiaire », a‑t-​il ajouté.

Après la polé­mique, plu­sieurs per­sonnes tra­vaillant dans des pri­sons et des asso­cia­tions ont fait état de leurs craintes de voir les acti­vi­tés cultu­relles et spor­tives sus­pen­dues. Sur Twitter, la maî­tresse de confé­rences Laélia Véron a, par exemple, affir­mé que dans la pri­son où elle enseigne, « la plu­part des acti­vi­té est sur pause », comme le Goncourt des déte­nus. Contactés par Causette, le Goncourt et le Centre natio­nal du livre, qui orga­nisent cet évé­ne­ment, ont assu­ré n'avoir reçu aucune alerte à ce jour concer­nant la sus­pen­sion de cet événement. 

Les inquié­tudes sont tout de même réelles, a expli­qué Dominique Simonnot, contrô­leuse géné­rale des lieux de pri­va­tion de liber­té, à Causette, quelques jours après la publi­ca­tion dans Le Monde d'une tri­bune en réac­tion à la polé­mique de « Kohlantess ».

Causette : Certain·es per­sonnes s’inquiètent de la mise en pause d’activités, cultu­relles et spor­tives, dans les pri­sons, après la polé­mique du jeu « Kohlantess ». Partagez-​vous leurs craintes ? 
Dominique Simonnot : Les pro­fes­sion­nels à qui je parle sont tous inquiets de voir les acti­vi­tés dimi­nuer dras­ti­que­ment et d’imaginer que les direc­tions et inter­ve­nants puissent s’auto-censurer. Cette inquié­tude a de quoi être réelle, après les décla­ra­tions du ministre de la Justice, concer­nant sa cir­cu­laire. Il n’est déjà pas simple de mon­ter des acti­vi­tés en pri­son, il faut tout pit­cher, tout bien décrire… Je ne sais pas quelles garan­ties sup­plé­men­taires on va exi­ger, mais il semble que tout sera plus lent. J’imagine que les direc­tions de pri­son, de crainte de se faire taper sur les doigts ou de voir le pro­jet reto­qué, hési­te­ront à pro­po­ser des pro­jets auda­cieux.
J’ai pour­tant assis­té à des acti­vi­tés tel­le­ment inté­res­santes en pri­son : des concours de plai­doi­rie de déte­nus, des ate­liers théâtre et d’écriture… Est-​ce qu'elles vont conti­nuer ? Ce dont on peut être sûr, c’est qu’on n’aura plus ces images, on aura plus droit qu’à des choses hyper sérieuses. 
Si seule­ment on pou­vait mul­ti­plier ces acti­vi­tés. Il se passe des choses for­mi­dables quand il y a assez de monde pour les assu­rer. Le pro­blème est plu­tôt là. Ce n’est pas le kart… Car c’est bien la pre­mière fois que je vois des déte­nus en faire, que ce soit quand j’étais jour­na­liste police-​justice ou en tant que contrô­leuse géné­rale des lieux de pri­va­tion de liberté. 

Causette : En quoi ces acti­vi­tés sont-​elles impor­tantes pour la réin­ser­tion des prisonnier·ères ?
D.S. : Ces acti­vi­tés rap­prochent les déte­nus entre eux. Elles leur font vivre des moments de socia­li­sa­tion autre que se bagar­rer dans la cour et leur offrent un accès au monde exté­rieur. Ces moments rap­prochent éga­le­ment les déte­nus et les sur­veillants. Finalement, ces acti­vi­tés apaisent les gens et leur per­mettent de réflé­chir : elles nour­rissent le corps, l’esprit ou les deux. Des déte­nus ont appris à lire ou à écrire en pri­son. Ces bagages sont impor­tants, ils consti­tuent des pré­mices de la sor­tie. 
Dans les mai­sons d’arrêt en par­ti­cu­lier, tout ce qui peut faire que les déte­nus quittent ces cel­lules ou ils sont enfer­més 20 à 22 heures par jour, à trois, dans un lieu vétuste, est vital. N’importe qui devien­drait fou là-​dedans. Des sur­veillants de la pri­son Bordeaux-​Gradignan nous ont dit qu’ils refu­se­raient, en tant que déte­nu, d’entrer dans ces cel­lules. Quel est l'intérêt de ces heures pas­sées enfer­més à trois là-​dedans ? Il est béné­fique que ces acti­vi­tés existent : il faut les encou­ra­ger et les déve­lop­per. D'ailleurs, la loi oblige à pro­po­ser des acti­vi­tés aux déte­nus, y com­pris récréa­tives, selon les règles péni­ten­tiaires euro­péennes

Causette : Vous avez récem­ment publié une tri­bune au sujet de la polé­mique « Kohlantess » dans Le Monde. Que souhaitiez-​vous rap­pe­ler et dénon­cer concer­nant l’état des pri­sons et le quo­ti­dien des pri­son­niers ?
D.S. : Je vou­lais signa­ler, dans ma tri­bune, que la réin­ser­tion passe par les acti­vi­tés en déten­tion. Elles repré­sentent un tout petit moment qui leur fait échap­per à ces 22 heures en cel­lule. Le vrai scan­dale est dans l’indignité des condi­tions de déten­tion. François Molins, le pro­cu­reur géné­ral près la Cour de cas­sa­tion, a récem­ment dit la même chose sur France Inter : « Le vrai pro­blème n'est pas de savoir que deux per­sonnes ont conduit des karts. Le vrai pro­blème, c'est l'état des pri­sons, la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale. » 
Il existe une hié­rar­chie de l'indignation qui m’échappe. J’en veux aux élus qui connaissent la pri­son et font comme si c’était ça, la vie en pri­son. Il faut voir com­ment vivent les déte­nus, en dépit de la condam­na­tion de la France par la Cour euro­péenne des droits de l’homme en 2020. La France avait été condam­née en rai­son de la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale. J’ai récem­ment lu un article expli­quant qu’un déte­nu de Fresnes était arri­vé à une audience sur des béquilles, après que le lava­bo de sa cel­lule se soit cas­sé sur sa jambe, et avec une plaie infec­tée par des punaises de lit. Une réa­li­té bien loin des cris d’orfraie qu’ont pous­sé ceux qui ont par­ti­ci­pé à la polé­mique, mais sur­tout bien loin des stan­dards atten­dus d'un pays développé.

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