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© Pawel Kadysz

Jeux vidéo : quand les mino­ri­tés prennent (enfin) les manettes

Plus de femmes, plus de per­sonnes LGBTQI, han­di­ca­pées ou raci­sées… Le sec­teur du jeu vidéo tend à pro­po­ser, devant et der­rière l'écran, plus d'inclusivité. Une ®évo­lu­tion qui, néan­moins, ne se fait pas en un coup de joystick.

Les fémi­nistes peuvent-​elles dire mer­ci à Lara Croft ? La ques­tion fait débat. Certes, quand elle appa­raît en 1996 en héroïne du jeu vidéo « Tomb Raider », la sémillante archéo­logue séduit par son indé­pen­dance mais inter­roge quant à ses men­su­ra­tions hors-​normes ten­dance pou­pée gonflable. 

En 2013, si sa sil­houette gagne en réa­lisme, une séquence montre l'héroïne agres­sée sexuel­le­ment. Et tan­dis que certain.e.s pointent une forme d'apologie du viol, un jour­na­liste du maga­zine Joystick s'enthousiasme : « Faire subir de tels sup­plices à l'une des figures les plus emblé­ma­tiques du jeu vidéo, c'est tout sim­ple­ment génial. Et si j'osais, je dirais même que c'est assez exci­tant. » Le texte a beau pro­vo­quer un tol­lé et le rédac­teur péni­ble­ment rétro­pé­da­ler, l'épisode montre bien l'ambivalence de l'une des pre­mières héroïnes mains­tream de jeu vidéo. « C'est vrai qu'elle est per­çue de façon assez para­doxale, admet Jean Zeid, jour­na­liste et coau­teur de "Cyberpunk, histoire(s) d'un futur immi­nent" (ed. Ynnis). Ce n'est pas le cas d'Ellie, l'héroïne de "The Last of Us 2", un des gros suc­cès de cette année. Une héroïne qui n'est pas édul­co­rée, au por­trait contrasté. »

« L'industrie pro­pose des héroïnes plus inté­res­santes qu'auparavant. »

Julie Chalmette

Effectivement, la jeune femme évo­luant dans un uni­vers post-​apocalyptique ne s'en laisse pas comp­ter. Pas plus qu'Emily Kaldwin, l'héroïne de Dishonored 2 que Julie Chalmette, direc­trice du stu­dio Bethesda France, pré­si­dente du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) et cofon­da­trice de l'association Women In Games France convoque pour son côté badass. Ou encore les jumelles Blazkowicz de Wolfenstein : Youngblood – le jeu maison- pour­fen­deuses de nazis dans une réa­li­té alter­na­tive où Hitler aurait triom­phé lors de la Seconde Guerre Mondiale. « On peut noter une évo­lu­tion posi­tive des per­son­nages fémi­nins, estime Julie Chalmette. L'industrie pro­pose des héroïnes plus inté­res­santes qu'auparavant. »

Même s'il reste du bou­lot : les potiches sexy n'ont pas encore déser­té les écrans. Mais « l'avènement du sec­teur indé­pen­dant dans les années 2000 a per­mis des pro­grès », estime Jean Zeid. Dans un sec­teur où seule­ment 15% des effec­tifs de la pro­duc­tion de jeu vidéo sont des femmes, la révé­la­tion fémi­niste aurait-​elle fon­du sur les concep­teurs de jeu comme le Saint-​Esprit sur les apôtres ? On peut en douter. 

Membre du CA du Rassemblement Inclusif du Jeu Vidéo (RIJV), inter­ve­nante de Women in Games France mais aus­si de CapGame, Gwendolyn Garan rap­pelle l'épisode du Gamer Gate : en 2014, la déve­lop­peuse Zoé Quinn ou la jour­na­liste amé­ri­caine Anita Sarkeesian créa­trice de la chaîne Youtube Feminist fre­quen­cy, sur laquelle elle porte un regard cri­tique sur la repré­sen­ta­tion de la femme dans le jeu vidéo se trouvent « har­ce­lées par la com­mu­nau­té des joueurs et de l'industrie ». « Le milieu du jeu vidéo n'est pas consti­tué de sou­tiens actifs du fémi­nisme », euphé­mise Julie Chalmette. En revanche, « 50% des joueurs sont des joueuses, il est donc impor­tant de ne pas s'aliéner la moi­tié du mar­ché ». Pragmatisme donc mais aus­si bou­le­ver­se­ments internes pour Gwendolyn Garan : « #Metoo a fait bou­ger les choses du côté des sala­riées, a libé­ré la parole », note-t-elle.

Au-​delà du fémi­nisme, l'inclusivité s'invite de plus en plus dans les stu­dios. Ellie, l'héroïne de « The Last of Us 2 » est homo­sexuelle. L'année der­nière, Anita Sarkeesian a mis en ligne, sur sa chaîne, « Queer Tropes » : une mini-​série sur la repré­sen­ta­tion des iden­ti­tés queer et trans dans le jeu. « En la matière, la scène indé­pen­dante a fait beau­coup, estime Gwendolyn Garan. Beaucoup de per­sonnes trans ont créé des jeux. Depuis les années 2000–2010, on assiste à une plus impor­tante prise de pouvoir. » 

« Quand on ne sait pas faire, on engage des gens qui savent. On ne manque pas de per­sonnes raci­sées com­pé­tentes. Seulement, on ne leur donne pas tou­jours l'opportunité. »

Jennifer Lufau, fon­da­trice de l'association Afrogameuses

Au sein du RIJV, Gwendolyn Garan se bat aus­si pour que, dans le sec­teur, la ques­tion du han­di­cap soit mieux prise en compte. Selon elle, la ques­tion émerge plus fran­che­ment en 2017, avec la sor­tie annon­cée pour l'année sui­vante de la manette Adaptive Xbox par Microsoft : Mais, atten­tion, « la ques­tion ne se limite pas à avoir des manettes adap­tées !, souligne-​t-​elle. L'inclusivité, c'est pou­voir modi­fier tout ce qu'on veut dans le jeu pour que cha­cun puisse en avoir son expé­rience ». Et au rayon des bons élèves, Gwendolyn Garan désigne… The Last Of Us : « qui pro­pose une ver­sion qua­si­ment sans inter­face où on peut tout para­mé­trer. » Mais c'est aus­si pro­po­ser des per­son­nages eux-​mêmes en situa­tion de han­di­cap. Elle évoque aus­si un pas­sage de Wolfenstein met­tant en scène des per­sonnes en fau­teuil rou­lant. « Je connais un joueur qui a fon­du en larmes tant la repré­sen­ta­tion était fidèle… »

Sans doute que quand Jennifer Lufau, fon­da­trice de l'association Afrogameuses, a vu, en 2018, le per­son­nage de Miles Morales dans le jeu Marvel's Spiderman, elle n'a pas pleu­ré. Ou alors de rage : le héros noir avait une implan­ta­tion capil­laire com­plè­te­ment ratée. Pas vrai­ment un détail : plu­tôt un exemple sym­bo­lique de la façon dont les stu­dios traitent les per­son­nages raci­sés. « beau­coup de gens se sont sen­tis insul­tés » confirme-​t-​elle. Au sein de son asso­cia­tion, elle milite pour une plus grande repré­sen­ta­tion des per­sonnes noires dans l'industrie mais aus­si à l'écran. « Bien sûr, il existe des per­son­nages noirs dans les jeux, explique-​t-​elle. Mais cela ne fait que quelques années et ils sont très sté­réo­ty­pés. Ils sont sou­vent secon­daires, n'ont jamais une inter­ac­tion amou­reuse… Le per­son­nage typique, c'est la prê­tresse qui va don­ner un truc au héros ou la zom­bie girl qui défonce tout le monde… » 

Forcément, l'échantillon est plu­tôt maigre… Quant aux coupes de che­veux, « ce sont tou­jours les mêmes ! Des dreads ou des afros mal faites ! ». Et la jeune femme de mar­te­ler : « quand on ne sait pas faire, on engage des gens qui savent. On ne manque pas de per­sonnes raci­sées com­pé­tentes. Seulement, on ne leur donne pas tou­jours l'opportunité. » Tout comme Gwendolyn Garan, elle plaide pour la mise en avant de figures pour per­mettre aux géné­ra­tions plus jeunes d'avoir des modèles iden­ti­fi­ca­toires. Elle pré­pare éga­le­ment, pour 2021, un guide pour, notam­ment, don­ner des clés pour des­si­ner des per­son­nages raci­sés et recen­ser les experts en la matière. De son côté, Julie Chalmette se veut opti­miste : « certes, l'industrie du jeu vidéo ne compte encore que 15% de femmes, mais, dans les écoles, les filles repré­sentent 20 à 25% des effec­tifs ». Autant d'éléments qui laissent à pen­ser qu'en matière d'inclusivité, un nou­veau niveau risque d'être pro­chai­ne­ment passé.

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