Dans le cadre de la 9e édition des Journées nationales d'action contre l'illettrisme du 8 au 15 septembre, Causette s'est rendue jeudi à un atelier artistique initié par l'association de lutte contre l'illettrisme Savoirs pour réussir, au Musée en Herbe, à Paris.
14h30, un jeudi de septembre. Dominique, Ahmed et Abdel s'appliquent religieusement à dessiner dans une salle éclairée du Musée en Herbe à Paris. Tout se passe bien, jusqu'à ce qu'Abdel, dans l'histoire de sa bande dessinée doive épeler : « Ça va ? ». Le c cédille et non le s, le point d'interrogation qui marque la formule interrogative, l'espace entre les deux mots… Des évidences pour certain·es, mais encore des obstacles pour lui.
Selon la dernière étude de l'Insee et de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) publiée en 2012 sur l'évolution de l'illettrisme en France, plus de 2,5 millions de personnes dans le pays sont considérées comme illettrées. C'est-à-dire qu'elles sont allées à l'école en France mais ne maîtrisent pas les compétences de base – la lecture, l’écriture, le calcul mais aussi dorénavant le numérique. Pour lutter contre l'illettrisme comme pour sensibiliser les décideur·ses sur la question, l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme organise depuis neuf ans les Journées nationales d'action contre l'illettrisme (JNAI), qui se sont tenues cette année du 8 au 15 septembre. En cette dernière journée d'action, le Musée en herbe a accueilli un atelier d'initiation à la bande dessinée, animé par le bédéiste Blaise Pruvost et proposé par l'association Savoirs pour réussir. Un apprentissage récréatif pour découvrir les bases techniques de la bande dessinée avec de petits exercices créatifs. Retracer sa journée, dessiner ce que l'on voit, puiser dans son imagination pour raconter une histoire…Trois personnes en bénéficient, dont Dominique, la soixantaine.
Née à Lille, enfant de la DDASS, elle a vécu une grande partie de sa vie dans un HLM du 13e arrondissement de Paris et a travaillé toute sa carrière comme femme de ménage. Cette sexagénaire déterminée à apprendre à lire, nous fait part de la difficulté de son quotidien en tant que personne en situation d'illettrisme. « Au travail, il est arrivé que l'on abuse de ma situation au moment de signer mes fiches de paie », dénonce Dominique. Apprendre à lire et à écrire permet de s'exprimer mais aussi de se protéger contre différents abus. Dominique a passé le cap et a fait le choix d'apprendre à lire l'année dernière, à l'âge de 60 ans. Notamment pour constituer son dossier de retraite. Une épreuve faite de paperasse où elle a « dû se battre pour faire valoir ses 27 ans de travail ».
Une réalité silencieuse
Comme Dominique, on estimait en 2011 à 7 % de la population âgée de 18 à 65 ans résidant en France et ayant été scolarisée le taux de personnes touchées par l'illettrisme. C'est pour ces raisons que des structures associatives accompagnent les personnes illettrées pour permettre une (ré)insertion professionnelle et sociale. C'est le cas de Savoirs pour réussir Paris, créée en 2007 par sa directrice Marie-Odile Chassagnon. L’équipe, constituée de deux salariées (Marie-Odile Chassagnon et Perrine Terrier) et de dix-neuf bénévoles, cherche à développer l'autonomie des bénéficiaires à travers des activités telles que des ateliers d'écriture, de graphie, de techniques de lecture, d'expression orale ou encore des Café Philo. « Parce que la philosophie n'est pas réservée aux élites, souligne Marie-Odile Chassagnon, présente ce jour-là à l'atelier bande dessinée. Le problème avec les personnes en situation d'illettrisme est qu'elles ont plein de choses à raconter mais peu de vocabulaire... » L'enjeu pour l'association, qui vient en aide à 140 personnes en moyenne sur l'année, est donc de proposer un atelier adéquat, qui s'adapte au niveau des personnes pour « redonner confiance ». Lesquelles arrivent par des canaux variés comme Pôle emploi, passant par les missions locales, le bouche à oreille ou encore Internet.
L'art comme outil
Les ateliers d'écritures proposés par Savoirs pour réussir Paris se déclinent. Cela peut-être des jeux ou sur des cours classiques. Si ces personnes ont déjà des bases et écrivent de manière phonétique, l'objectif est de faire asservir des notions ludiques et surtout de travailler ensemble. À la fin de chaque séance, un temps d'échanges est proposé. « J'ai appris à me débrouiller mais la colère est là » lance Dominique. Se déplacer dans l'espace public, signer des contrats de travail, faire face à la fracture numérique… Pour elle, chaque étape – administrative ou non de sa vie quotidienne en tant qu'adulte autonome – demande une organisation spécifique, et du courage. Pour Marie-Odile, pas de doute, ces ateliers créatifs et artistiques ont un poids car ils permettent « aux personnes en situation d'illettrisme d'être beaucoup plus éveillées et productives quand elles apprennent à écrire ».
17h30, le même jeudi de septembre. Pour Dominique, Ahmed et Abdel, l'atelier se conclut sur une note gourmande, à base de sodas et de gâteau au chocolat. L'ambiance est joyeuse, les conversations sont détendues. Et les dessins éparpillés sur la table laissent apparaître quelques mots et lettres griffonnés.
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