woman leaning against a wall in dim hallway
© Eric Ward

Harcèlement sco­laire : la créa­tion d'un délit spé­ci­fique est-​elle une « sur­en­chère pénale » ?

Créer un délit spé­ci­fique de har­cè­le­ment sco­laire, pas­sible de pri­son. Portée par le dépu­té Modem Erwan Balanant, la pro­po­si­tion de loi qui sera dis­cu­tée au Sénat le 12 jan­vier ne convainc pas les asso­cia­tions de pré­ven­tion, ni certain·es parlementaires.

Mercredi 1er décembre, l'Assemblée natio­nale a voté une pro­po­si­tion de loi sou­te­nue par le gou­ver­ne­ment, à l'unanimité des suf­frages expri­més – 69 voix, tan­dis que 5 dépu­tés de gauche se sont abs­te­nus. Côté pré­ven­tion, l'heure est à la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des adultes et des éta­blis­se­ments sco­laires. La pro­po­si­tion por­tée par le dépu­té Modem Erwan Balanant sou­haite ren­for­cer les outils à dis­po­si­tion, grâce à, notam­ment, l'obligation de for­ma­tion du per­son­nel édu­ca­tif et de la défi­ni­tion d'un pro­to­cole de prise en charge des vic­times dans chaque éta­blis­se­ment. Mais le volet répres­sif du texte inter­roge. « Aucune loi péna­li­sant les élèves har­ce­leurs n’aura le moindre effet sur l’existence des effets de groupe », ont ain­si affir­mé Nora Fraisse, fon­da­trice de l'association Marion la main ten­due et Jean-​Pierre Ballon, direc­teur du Centre de res­sources et d’études sys­té­miques contre les inti­mi­da­tions sco­laires (Resis) dans un com­mu­ni­qué commun.

En l'état, la pro­po­si­tion de loi créé un délit spé­ci­fique de har­cè­le­ment sco­laire pas­sible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 € lorsque les faits auront cau­sé une inca­pa­ci­té totale de tra­vail infé­rieure ou égale à huit jours et jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende lorsque les faits auront conduit à un sui­cide ou une ten­ta­tive de sui­cide. Une « sur­en­chère pénale », aux yeux de la dépu­tée France Insoumise Sabine Rubin et une « sur­en­chère poli­tique » à ceux du séna­teur Les Républicains Jacques Grosperrin, membre de la com­mis­sion pari­taire char­gée d'étudier le texte d'ici son pas­sage au Sénat le 12 jan­vier 2022.

Outiller les magistrat·es

Interviewé par Causette, Erwan Balanant défend sa pro­po­si­tion en pré­ci­sant l'envisager « à la manière de Robert Badinter, comme la fonc­tion expres­sive du code pénal » : « Il s'agit de poser un inter­dit clair, sus­cep­tible de fon­der une action péda­go­gique de pré­ven­tion. C'est le même effort de lisi­bi­li­té de la loi que lorsque nous légi­fé­rons contre les thé­ra­pies de conver­sion. » L'enjeu, ajoute le dépu­té, est aus­si d'outiller les magistrat·es, qui, pour l'heure, ne peuvent qu'utiliser la loi péna­li­sant le har­cè­le­ment moral pour qua­li­fier les infrac­tions com­mises dans le cadre sco­laire. « Il y a un vrai sujet à résoudre car actuel­le­ment, un mineur de 17 ans sera mieux pro­té­ger contre le har­cè­le­ment via le code du tra­vail dans une entre­prise où il fait son alter­nance que contre du har­cè­le­ment qui sur­vien­drait en classe. »

De fait, les sanc­tions pro­po­sées par le texte d'Erwan Balanant sont plus dures que les dis­po­si­tifs légis­la­tifs actuels. Notamment en ce qui concerne les cas de « pro­vo­ca­tion au sui­cide », péna­li­sés de cinq ans de pri­son et 75 000 euros d'amende quand la vic­time (qu'elle soit décé­dée ou pas) est un·e mineur·e de quinze ans. « Dans notre droit, les peines hié­rar­chisent la gra­vi­té des faits, sou­tient Erwan Balanant. Mais si l'auteur de har­cè­le­ment sco­laire est mineur (il peut aus­si arri­ver que le har­cè­le­ment soit impu­table à un pro­fes­seur), il sera jugé par un tri­bu­nal pour enfants, dont les juges ont tout le dis­cer­ne­ment néces­saire pour juger à hau­teur de l'âge de l'auteur. » Ces cas les plus ter­ribles posent aus­si une ques­tion dont le dépu­té dit avoir conscience : le sui­cide est sou­vent mul­ti­fac­to­riel, et il pour­rait être dif­fi­cile pour le tri­bu­nal de faire la part des choses. 

Un texte "mort-​né" ?

On com­pren­dra qu'ici, l'enjeu est plus de « mar­quer les esprits », dans un contexte où le « fléau » du har­cè­le­ment sco­laire bat son plein, comme l'ont rap­pe­lé cet automne les sui­cides de deux col­lé­giennes, Dinah Gonthier, 14 ans, à Mulhouse et d'une autre jeune fille du même âge dans le Morbihan. Dans cette affaire, selon les pre­miers élé­ments déli­vrés par la presse, des images dénu­dées de l'adolescente avaient cir­cu­lé sans son consen­te­ment sur les réseaux sociaux de ses cama­rades. « Le har­cè­le­ment sco­laire n'est pas nou­veau mais le cyber change com­plè­te­ment la donne, observe Erwan Balanant. Les enfants sont désor­mais assaillis même en dehors de l'établissement, ils n'ont plus de répit à la mai­son, plus de capa­ci­té de se pro­té­ger dans le foyer. La qua­li­fi­ca­tion pénale que je sou­haite créer donne aus­si des obli­ga­tions de modé­ra­tion aux pla­te­formes, qui pour­raient être recon­nues com­plices du délit de har­cè­le­ment sco­laire quand elles n'agissent pas. »

Alors que le dépu­té espère voir son texte approu­vé d'ici la fin de l'actuelle légis­la­ture et deve­nir effec­tif pour la ren­trée de sep­tembre, de son côté, le séna­teur LR Jacques Grosperrin estime qu'il est « mort-​né », tant les désac­cords sur la réponse pénale contre le har­cè­le­ment sco­laire sont grands au sein de la com­mis­sion mixte pari­taire parlementaire.

Lire aus­si l Harcèlement sco­laire : les­bo­pho­bie et bipho­bie quo­ti­diennes au collège

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