Ce 18 novembre 2021, journée nationale dédiée à la lutte contre le harcèlement scolaire, agit comme une piqûre de rappel : oui, les collégiennes subissent encore de la lesbophobie et la biphobie. Et naviguent entre stratégies d'invisibilisation et affirmation de soi.
Luna est aujourd’hui âgée de 23 ans. Alors qu’elle était en troisième dans un collège-lycée privé, elle se confie à une personne qu’elle pensait de confiance à propos de sa bisexualité. Ses camarades font alors courir la rumeur qu’elle est amoureuse d’une fille du collège. « Je ne la connaissais même pas ! » se défend encore Luna, dix ans plus tard. Après avoir nié les rumeurs, Luna s’est mise à éviter ses camarades de classe, en se réfugiant notamment au CDI. Le harcèlement va durer presque deux ans. Si les LGBTphobies font l'objet d'études, il n'existe pas de chiffres récents, en France, sur la lesbophobie et la biphobie subies par les jeunes filles, en milieu scolaire. Selon une enquête de SOS Homophobie publiée en 2018, le milieu scolaire a connu une explosion du nombre de cas en 2017 (+38%). Une terrible affaire est venue récemment illustrer ce phénomène. Le 5 octobre, à Kingersheim (Haut-Rhin), à côté de Mulhouse, la jeune Dinah Gonthier, 14 ans, s’est suicidée dans sa chambre. Pour sa mère Samira, qui s’est largement exprimée dans les médias, aucun doute que l’acte irrémédiable de sa fille est dû au harcèlement lesbophobe et raciste que subissait sa fille au collège depuis deux ans. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Dans sa dernière étude publiée en 2021, SOS Homophobie rapportait que 19 % des victimes de lesbophobie étaient âgées de moins de 18 ans. Selon la chercheuse et sociologue Johanna Dagorn, les risques de harcèlement pour la communauté LGBT+, dans son ensemble, sont plus élevés que la moyenne, et « les risques de suicide pour l’ensemble des élèves harcelés sont multipliés par trois. »
Au collège, s’épanouir en tant que jeune lesbienne dans un milieu marqué par les normes de genre, où la pression à l’hétérosexualité fait rage, n’est pas l’environnement idéal. Seule une maigre place est laissée à la diversité sexuelle, pointe la sociologue du genre Gabrielle Richard. « En comparaison à l’école primaire où la démonstration de son hétérosexualité n'est pas nécessairement omniprésente », au collège, « c'est comme si les règles du jeu avaient changé », explique-t-elle à Causette. Cela fait désormais partie intégrante de la socialisation entre jeunes filles que de parler des acteurs qu'elles trouvent attirants, des garçons avec qui elles pourraient sortir… Ces discours étant de plus en plus présents, ils « contribuent à exclure les élèves qui se savent ne pas être hétérosexuel·les ». Plusieurs portes s’entrouvrent alors face à iels : rester soi-même, ou jouer le jeu de l’hétérosexualité, avec les dangers que les deux options représentent.
Gabrielle Richard explique que, lorsque l’on est suffisamment entourée, rester soi-même comporte peu de risques. Une jeune fille « intégrée dans des groupes de pairs pourra bénéficier d’un certain soutien », comme Minahil. Depuis ses 12 ans, elle est ouvertement bisexuelle dans son collège, où « tout se passe pour le mieux » depuis qu’elle a rencontré un groupe d’ami·es qui l’a acceptée comme elle est. Elle soutient : « L’important je pense, quand une personne veut faire son coming-out à l’école, est de trouver des ami·es qui comprennent. »
Le jeu de l’hétérosexualité
Mais dans un système où la différence fait peur, rester soi-même lorsque l’on est une collégienne lesbienne ou bisexuelle peut être synonyme de danger, notamment si l’on a peu d’ami·es. Une élève qui se retrouve isolée peut être vulnérable et exposée. Lors de ses enquêtes sur le terrain, Gabrielle Richard a pu observer des comportements différents : « Certaines vont prendre la parole pour se défendre, d’autres vont aller vers l'évitement. » L’histoire d’Amina l’illustre : « J’évitais de croiser le regard des filles dans les vestiaires, j’avais peur qu’elles pensent que je les regardais en train de se changer ». Gabrielle Richard confirme, le but est de « ne pas créer ou alimenter des situations où on pourrait se faire étiqueter comme lesbienne ou comme bisexuelle aux yeux des autres ». Mais si cette stratégie permet à ces jeunes filles de ne pas mettre la lumière sur elles, le fait de cacher qui elles sont peut également les mettre en danger.
Il y a une dizaine d’années, Marie était collégienne dans une école privée catholique à Troyes. En dehors des murs du collège, elle fréquentait une fille dont elle était tombée amoureuse, il était hors de question pour elle d’en parler. Lesbienne et racisée, elle raconte : « Je faisais tout pour me fondre dans la masse jusqu'à m'y perdre, cela a fait de moi quelqu'un de vulnérable et d'influençable jusqu'à mettre ma vie en danger. » Car sa santé mentale s’en est retrouvée nettement détériorée. « Jouer le jeu de l'hétérosexualité me permettait de prétendre avoir une vie comme les jeunes de mon âge mais en même temps, cela était assez difficile de vivre dans le mensonge. » Elle s’est mise à fréquenter des garçons, puis finira même par inventer une « relation fictive avec un garçon de l'extérieur ». De la même manière, en 2009, Victoria a fait semblant auprès des autres durant ses deux dernières années de collège. La seule personne au courant de son homosexualité était sa meilleure amie, qui était aussi son amoureuse. « Certains nous "traitaient" de lesbiennes ou nous demandaient si on était ensemble, mais ça n'a jamais été plus loin, il suffisait de dire "mais non c'est ma meilleure amie" et ça passait », se souvient-elle. Gabrielle Richard déplore que « beaucoup de jeunes LGBT+ entendent pour la première fois les termes qui les définissent comme des injures. »
Un impensé social
Si cette injonction à l’hétérosexualité est si forte, c’est parce qu’elle est présente partout. Au collège, les professeurs parlent très rarement de diversité sexuelle au sens large. « On va considérer que tous les élèves sont hétérosexuels » explique Gabrielle Richard. Les séances d'éducation à la sexualité – censées être obligatoires mais qui peinent à être respectées – font, elles, davantage mention de la contraception ou de la protection contre les IST, et très peu des questions d'orientation sexuelle. Raphael, qui est aujourd'hui un homme transgenre, se souvient d’un de ces cours : « La prof m'a regardé droit dans les yeux en me demandant si j'avais compris. Un camarade lance : "Elle, elle s'en fout, c'est une sale gouine". Rires généraux. Eux ne se souviennent peut-être même pas de moi, mais moi j'ai toujours leurs noms et leurs visages en mémoire parce qu'ils ont rendu une partie de ma vie plus difficile. »
Si le sujet de la sexualité reste tabou, c'est parce que celle des jeunes filles est « un impensé social » souligne Johanna Dagorn, co-autrice de l’étude Etre une fille, un gay, une lesbienne ou un·e trans au collège et au lycée (2005). Elle parle d’une triple peine pour les jeunes filles lesbiennes ou bisexuelles, « victimes de l’hétéronormativité, de l’homophobie, et du sexisme ». Elles subissent une invisibilisation de la part de la société hétéropatriarcale.
Agressions sexuelles lesbophobes
Dès le collège, la lesbophobie et la biphobie à laquelle sont confrontées les jeunes filles diffèrent de l’homophobie subie par les garçons. Un rapport réalisé par Gabrielle Richard en 2018 constate que les garçons vont davantage faire face à de la violence physique (bousculés, agressés, frappés) tandis que les filles font face à des agressions à caractère sexiste ou sexuel. 1,7% des lesbiennes et 1,4% des bisexuelles déclarent avoir déjà été agressées sexuellement à l'école en raison de leur orientation sexuelle. Leïla, 29 ans, raconte que lorsqu’elle était au collège, des camarades l’embrassaient de force ou lui faisaient des attouchements. « Ils insistaient pour savoir comment ça se passait au lit avec une fille, ils m'embrassaient pour savoir ce que ça faisait. De l’autre côté, on me mettait à l’écart. Quand j'étais dans les vestiaires, on me demandait d'aller dans un coin pour ne pas regarder les autres. C’était vraiment horrible, j’ai fait une tentative de suicide en troisième. », confie-t-elle. « Ces dynamiques appartiennent à la fois aux LGBTphobies et à la fois au sexisme, nous sommes à l'intersection des deux », constate Gabrielle Richard. Ces jeunes filles vont très tôt faire face à la masculinité toxique. Adélie, 24 ans aujourd'hui, se souvient des « je vais te remettre dans le droit chemin » ou des « tu n'as pas trouvé le bon » qu'elle a pu entendre.
Mais la situation évolue. Les autorités scolaires cherchent à s'emparer du sujet des LGBTphobies, qui, comme le harcèlement, a pris de plus en plus de place dans leurs préoccupations, selon Gabrielle Richard, qui réalise également des formations auprès du personnel éducatif. Les jeunes sont eux aussi plus informé·es, notamment grâce aux réseaux sociaux. « Ils sont fascinés par les questions d’identité de genre » souligne Johanna Dagorn. Au lycée, pour la plupart, les choses changent, l'environnement est différent, plus ouvert et sécuritaire. Iels sont nombreux·euses à avoir confié à Causette être passées de « la fille qui sort du lot » à « la fille cool et stylée » une fois arrivé·es en seconde.
Lire aussi l Ados : leur monde est queer
Numéros utiles :
Victimes de harcèlement scolaire : 30 20 (de 9h à 20h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi)
SOS homophobie : 01 48 06 42 41 (de 18h à 22h du lundi au vendredi, de 14h à 16h le samedi et de 18h à 20h le dimanche)
Prévention suicide : 31 14 (accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24)