François Piquemal, dépu­té LFI : « Avec cette nou­velle loi anti-​squat, la majo­ri­té choi­sit de se faire syn­di­cat des multipropriétaires »

Les débats sur la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » se poursuivent cet après-midi à l'Assemblée nationale. Entretien avec le député LFI François Piquemal, issu du militantisme pour le droit au logement et vent debout contre l'initiative de la majorité.

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François Piquemal
© Assemblée nationale

Porte-parole de l'antenne toulousaine de l'association Droit au logement pendant dix ans, le député La France insoumise (LFI) de Haute-Garonne fait partie des député·es Nupes se mobilisant activement contre la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » du député Renaissance d'Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian.

Ce texte, qui prévoit d'alourdir les peines de prison pour les squatteurs et veut en créer pour les locataires qui ne quittent pas les lieux malgré une décision d’expulsion, est contesté au sein même de la majorité présidentielle. Il peut par contre compter sur le soutien des parlementaires Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN), qui y voient, comme le député Kasbarian, un moyen de protéger les petit·es propriétaires. Alors qu'il sera débattu cet après-midi à l'Assemblée nationale après les questions d'actualité au gouvernement, Causette s'est entretenue avec François Piquemal.

Causette : Pourquoi vous mobilisez-vous contre cette propositon de loi ?
François Piquemal :
Parce que, dans un contexte très grave, une crise du logement que notre pays n'a jamais connu depuis l'aprè-guerre - se formalisant par 4,1 millions de personnes mal-logées et 300 000 sans-abris dont 42 000 enfants - ce texte va aggraver la situation de millions de personnes déjà fragilisées par la crise de l’énergie. L'augmentation des coûts de l'énergie entraîne une augmentation des impayés. Si cette loi passe, en cas d’impayé de loyer, vous pourrez très rapidement vous retrouver au regard du droit comme un occupant sans droit ni titre et donc comme un squatteur, et encourir des peines de prison allant de 3 à 15 ans.

Vous parlez là de la disposition d'un amendement porté par les député·es LR.
F.P. :
Oui mais cette loi est faite pour amadouer les Républicains en vue d’une alliance parlementaire, donc on n’est pas à l’abri qu'un tel amendement passe. Nous l'avons vu hier soir dans l'hémicycle : il se dégage une alliance autour de cette loi entre le RN, LR et la majorité relative d’Emmanuel Macron.
L’intention affichée de cette nouvelle loi - la précédente sur le sujet date d’il y a seulement deux ans et permet une procédure accélérée pour demander l'évacuation forcée des squatteurs - est de lutter contre les squats en criminalisant toujours plus les personnes précaires qui rencontrent des difficultés à se mettre un toit sur la tête.

"Les petits propriétaires lésés, ça existe, évidemment, mais c'est un phénomène mineur. L’Observatoire des squats mis en place par le gouvernement n'a identifié que 170 cas au global - multi comme petits propriétaires - en 2021."

Vous avez publié une tribune dans Le Journal du dimanche dans laquelle vous expliquez que, plutôt que de lutter contre le squat, cette loi pourrait en fait y contribuer. Pourquoi ?
F.P. :
La notion de squat n’a pas de définition juridique. Juridiquement, on parle d’occupation sans droit ni titre, qui recouvre en fait une grande variété des situations. Dans l’idéologie du rapporteur, quelqu’un victime d’un marchand de sommeil est un squatteur alors que pour nous c’est une victime. De même qu’un locataire qui n’arrive plus à payer son loyer et est visé par un jugement d’expulsion : un squatteur, selon cette propositionde loi. Il n'y aurait en fait plus d'échelle des valeurs entre, par exemple, la personne qui pénètre dans votre domicile en votre absence et s’y installe comme si c’était chez lui et celle qui occupe un logement vacant depuis des années sans porter préjudice au lieu de vie. La loi de Guillaume Kasbarian va donc créer de fait plus rapidement des occupants sans droit ni titre et donc des « squatteurs » supplémentaires…
La Fondation Abbé Pierre, seule association de représentants des mal logés ayant été auditionnée par le rapporteur - pour le reste, il ne s'agissait que de lobbies de bailleurs - a émis cette critique sans être entendue. Avec ce texte, la majorité a choisi de se faire syndicat des multipropriétaires qui ne représentent pourtant qu’une infime minorité de la population mais qui détiennent 72% du logement locatif.

Guillaume Kasbarian explique au contraire que l'enjeu de sa loi est de défendre les petits propriétaires (64% des propriétaires bailleurs ne détiennent qu’un seul logement en location selon des chiffres de 2013) qui se retrouvent dans des situations compliquées lorsque leur locataire est un mauvais payeur. Que lui répondez-vous ?
F.P. :
Les petits propriétaires lésés, ça existe, évidemment, mais c'est un phénomène mineur. L’Observatoire des squats mis en place par le gouvernement n'a identifié que 170 cas au global - multi comme petits propriétaires - en 2021. L'ancienne ministre du logement elle-même, Emmanuelle Wargon a affirmé qu'il n'y avait pas besoin de légiférer car les lois déjà existantes permettent de répondre au phénomène : si je viens chez vous et commence à squatter votre habitation, je suis expulsé manu militari sur ordre de la préfecture. Si je viens squatter un logement qui vous appartient mais qui est vide, il y aura une procédure judiciaire, qui est certes plus longue, mais qui existe.

"J’ai déjà entendu des témoignages de femmes victimes de violences conjugales qui, pour échapper à leur aggresseur, se réfugient où elles peuvent et deviennent donc des occupantes sans droit ni titre."

Vous soupçonnez la majorité de vouloir rebondir sur des affaires médiatiques...
F.P. :
Ils ne s'en cachent pas, c'est même expliqué au tout début de l’exposé des motifs du texte 1 ! Le problème, c'est qu’un certain nombre de cas médiatisés se sont révélés être des arnaques. Dans l'emblématique affaire médiatisée par Le Parisien au début de l'été [où la rigueur journalistique a pour le moins manqué, ndlr], il a finalement été avéré que la famille "squatteuse" avait été escroquée par un faux propriétaire et que les nouveaux propriétaires qui ont crié à la terre entière qu'ils se faisaient squatter avaient acheté à bas prix et donc en connaissance de cause une maison occupée. Malgré cela, la bulle médiatique a pris et a poussé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à intervenir pour faire expulser la famille. On voit donc bien que ces affaires nécessitent un travail de vérification de la situation par la justice, afin d'obtenir un positionnement équilibré pour juger de la bonne foi du locataire mais aussi du propriétaire. Or, en imposant des délais raccourcis, la loi voulue par la majorité va laisser beaucoup moins de marge de manœuvre à la justice.

Le ministre du Logement Olivier Klein assure que la proposition de loi est équilibrée parce qu'un amendement renforçant la lutte contre les marchands de sommeil y a été ajouté. Êtes-vous d'accord ?
F.P. :
Cet amendement est évidemment positif mais contradictoire : il sanctionne les comportements de marchands de sommeil sans reconnaître le statut de victimes de ces marchands. Or, en refusant de tendre la main aux personnes les plus fragiles, cette loi va venir nourrir la mafia du logement, c’est-à-dire des gens qui profitent de ces situations de fragilité.
A ce titre, il me semble important de préciser que les personnes en première ligne, ce sont les femmes car ce sont souvent elles qui portent le poids des problèmes de logement dans les foyers. En tant que militant du droit au logement, j’ai déjà entendu des témoignages de femmes victimes de violences conjugales qui, pour échapper à leur agresseur, se réfugient où elles peuvent et deviennent donc des occupantes sans droit ni titre. On va se retrouver dans des situations totalement absurdes et dangereuses.

"Dans l’exposé des motifs de cette loi, on nous explique que pour espérer avoir une bonne retraite, il faut être détenteur d’un logement qu’on met en location. C’est une conception assez étrange de comment doivent vivre les gens."

Dans la soirée du 28 novembre, l'Assemblée a rejeté la motion de rejet préalable du texte, déposée par Mathilde Panot (LFI), à 150 voix contre 43. Comment comptez-vous poursuivre le combat contre cette loi ?
F.P. : Nous avons déposé plus de deux cent amendements afin qu'elle soit le moins nuisible possible si elle est adoptée. Je note que la majorité n'est pas unanime sur le sujet, ce qui me donne de l'espoir.
Surtout, nous allons continuer à plaider pour nos propositions cotenues dans le programme électoral de ce printemps. Pour sécuriser autant le propriétaire que le locataire, nous souhaitons une sécurité sociale du logement : une sorte d'assurance publique qui permet la garantie universelle des loyers. C'est d'ailleurs une idée de l'ex-ministre du Logement Cécile Duflot à la base, bloquée par son premier ministre Manuel Valls. Dans notre vision, la caisse serait gérée de manière paritaire par les associations de propriétaires et de locataires.
Ensuite, lutter contre le squat, c'est revaloriser les APL et encadrer à la baisse les loyers. Enfin, c'est dérouler des mesures de pouvoir de vivre, avec notamment la revalorisation des retraites. C'est important car dans l’exposé des motifs de cette loi, on nous explique que pour espérer avoir une bonne retraite, il faut être détenteur d’un logement qu’on met en location2. C’est une conception assez étrange de comment doivent vivre les gens.
Evidemment, nous prônons également le blocage des prix des produits de première nécessité parce que les impayés de loyer ne sont jamais faits par plaisir mais parce que les gens ne s’en sortent pas.

Le militant du droit au logement que vous êtes s’attendait-il à devoir combattre sur ce terrain-là face à la majorité ?
F.P. :
Franchement non, je m’attendais à ce que ce type de proposition de loi provienne de la niche parlementaire du Rassemblement national, qui l’a d’ailleurs dit : un texte similaire faisait partie du programme présidentiel de Marine Le Pen. Venant du groupe Renaissance, je trouve ça assez affligeant et inquiétant. Le comble de l'ironie, c'est que ce même jour débutait aussi la session du Conseil national de la refondation dévolue au logement.

Lire aussi l L'Assemblée nationale examine une proposition de loi renforçant la répression contre le squat et les locataires expulsables

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  1. « La médiatisation constante des squats et litiges de loyers témoigne de la forte émotion que suscitent chez nos concitoyens ces exemples d’incivilité et d’injustice vécues au quotidien », est-il écrit dans le préambule[]
  2. « Les petits propriétaires sont une réalité, et un tiers d’entre eux sont des retraités. Les revenus qu’ils tirent de leur bien en location sont absolument indispensables pour leur garantir une retraite sereine. », dit le texte législatif[]
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