Chaque mois, un chercheur, une chercheuse, nous raconte sa thèse sans jargonner. Sur 666 pages, le chercheur Yves Cochennec, aujourd’hui psychologue, s’est intéressé à la possession diabolique et à l’exorcisme catholique. À la fin des années 1980, les demandes d’exorcisme sont devenues telles que l’Église a dû multiplier la nomination de prêtres « chasseurs de démons ».
Causette : Vous avez assisté à des séances d’exorcisme de l’Église catholique. En quoi cela consiste-t-il ?
Yves Cochennec : D’une manière générale, l’exorcisme est un rite au cours duquel un prêtre tente de soulager une personne qui, selon elle, est aux prises avec des forces du mal. Le prêtre s’adresse à Dieu, aux saints et aux anges afin qu’ils libèrent la personne « possédée ».
Parmi les exorcistes, certains interpellent aussi le diable et lui ordonnent de quitter le corps. Celui que j’ai observé répétait des mots en latin dans le but de fatiguer le diable et l’obliger à lâcher sa proie. Le rite peut durer assez longtemps. Souvent, la posture de la personne change, sa voix peut devenir grave ou enfantine, ses yeux se révulsent, etc. Parfois, le diable tente d’empêcher le prêtre d’accomplir la prière en l’interrompant, en l’invectivant, en insultant Dieu. C’est alors très chaotique.
Comment les prêtres constatent-ils les cas de possession ?
Y. C. : Un texte a été rédigé par l’Église en 1614, qui liste trois symptômes caractéristiques de la possession : le fait de parler une langue inconnue, de témoigner d’une force supérieure à sa condition et d’avoir en horreur les signes évocateurs de Dieu. L’exorciste que j’ai fréquenté pendant mes années de recherche, le Père J., croyait en ces signes.
L’exorcisme se pratique-t-il exclusivement au sein de l’Église catholique ?
Y. C. : Non, des exorcismes sont pratiqués au sein de l’Église protestante, dans l’Islam, dans les religions polythéistes comme l’hindouisme, etc. Des archéologues ont même retrouvé trace de ces cérémonies dans l’Égypte antique, grâce à des textes écrits sur des papyrus. C’est une pratique qui va de pair avec l’histoire de l’homme.
Les demandes d’exorcisme sont-elles fréquentes en France ?
Y. C. : Très ! Au point que l’Église a dû multiplier les nominations d’exorcistes pour y répondre. À la fin des années 1970, il n’y en avait quasiment plus et la plupart des prêtres ne croyaient plus à la possession diabolique. Une décennie plus tard, face à la recrudescence des demandes, l’Église a dû réagir. La France compterait aujourd’hui une centaine de prêtres exorcistes.
Qui peut le devenir ?
Y. C. : Au début de l’Église chrétienne, tout le monde pouvait l’être. Puis un exorcistat a été mis en place. Devenaient alors exorcistes tous ceux qui se destinaient à la prêtrise. Aujourd’hui, les prêtres qui souhaitent devenir exorcistes doivent être nommés par un évêque. Ils n’ont pas de formation particulière, mais une grande connaissance de l’âme. Ils recueillent les confessions de nombreuses personnes et accèdent ainsi à une connaissance singulière de l’être humain.
Leur pratique dépend ensuite de leur culture. Certains prêtres croient encore au diable, d’autres baignent dans les sciences humaines et pensent que les cas de possession relèvent plutôt de mécanismes inconscients. Certains d’entre eux ont fait des études scientifiques, j’ai, par exemple, rencontré un prêtre exorciste qui avait été médecin avant d’entrer dans les ordres.
Qui « consulte » ?
Y. C. : Des gens de tous les milieux ! J’ai vu des infirmières, des criminels, des psychopathes, une personne qui travaillait dans la finance, etc. Une partie de la clientèle de l’exorcisme souffre de psychopathologies, par exemple de schizophrénie ou de paranoïa, mais pas tous. Il y a des croyants et des athées. En réalité, très peu de gens pensent être possédés. Beaucoup pensent être ensorcelés.
Comment expliquer cette croyance qui peut sembler désuète ?
Y. C. : Dans son ouvrage, Les Mots, la mort, les sorts, Jeanne Favret-Saada [une ethnologue française, ndlr] a travaillé sur le recours aux désenvoûteurs. Elle explique que lorsque des gens vivent une conjonction de malheurs, familiaux, financiers, conjugaux, etc., beaucoup finissent par se dire qu’une force magique est à l’œuvre. Penser cela, c’est trouver une solution à ses problèmes. On peut alors mettre un mot sur le mal qui nous accable et avoir recours à un spécialiste, en l’occurrence un exorciste. J’avais tendance à penser que dans notre monde laïque, ces notions étaient un peu passées de mode. En réalité non ! Beaucoup de gens croient toujours à la sorcellerie et au diable.
Les croyances magico-religieuses ont résisté à la science et à la raison…
Y. C. : Le sociologue Max Weber a parlé de « désenchantement du monde ». L’avancée des sciences et le fait de ne plus « pouvoir » croire qu’il y a une vie après la mort, par exemple, entraîneraient un moment dépressif. Se raccrocher à ces croyances aurait alors un rôle rassurant. Freud, lui, explique que la pensée magique traduit des mécanismes inconscients, ancrés au plus profond du psychisme de l’homme. De fait, les hommes et les femmes n’ont jamais cessé de croire et de pratiquer des rituels magiques, même lorsque de telles pratiques étaient passibles du bûcher.