CAUSETTE 108 EXORCISTES 2

Exorcisme : un sec­teur qui recrute

Chaque mois, un cher­cheur, une cher­cheuse, nous raconte sa thèse sans jar­gon­ner. Sur 666 pages, le cher­cheur Yves Cochennec, aujourd’hui psy­cho­logue, s’est inté­res­sé à la pos­ses­sion dia­bo­lique et à l’exorcisme catho­lique. À la fin des années 1980, les demandes d’exorcisme sont deve­nues telles que l’Église a dû mul­ti­plier la nomi­na­tion de prêtres « chas­seurs de démons ». 

Causette : Vous avez assis­té à des séances d’exorcisme de l’Église catho­lique. En quoi cela consiste-t-il ?

Yves Cochennec : D’une manière géné­rale, l’exorcisme est un rite au cours duquel un prêtre tente de sou­la­ger une per­sonne qui, selon elle, est aux prises avec des forces du mal. Le prêtre s’adresse à Dieu, aux saints et aux anges afin qu’ils libèrent la per­sonne « possédée ». 

Parmi les exor­cistes, cer­tains inter­pellent aus­si le diable et lui ordonnent de quit­ter le corps. Celui que j’ai obser­vé répé­tait des mots en latin dans le but de fati­guer le diable et l’obliger à lâcher sa proie. Le rite peut durer assez long­temps. Souvent, la pos­ture de la per­sonne change, sa voix peut deve­nir grave ou enfan­tine, ses yeux se révulsent, etc. Parfois, le diable tente d’empêcher le prêtre ­d’accomplir la prière en l’interrompant, en l’invectivant, en insul­tant Dieu. C’est alors très chaotique. 

Comment les prêtres constatent-​ils les cas de possession ?

Y. C. : Un texte a été rédi­gé par l’Église en 1614, qui liste trois symp­tômes carac­té­ris­tiques de la pos­ses­sion : le fait de par­ler une langue incon­nue, de témoi­gner d’une force supé­rieure à sa condi­tion et d’avoir en hor­reur les signes évo­ca­teurs de Dieu. L’exorciste que j’ai fré­quen­té pen­dant mes années de recherche, le Père J., croyait en ces signes. 

L’exorcisme se pratique-​t-​il exclu­si­ve­ment au sein de l’Église catholique ? 

Y. C. : Non, des exor­cismes sont pra­ti­qués au sein de l’Église pro­tes­tante, dans l’Islam, dans les reli­gions poly­théistes comme l’hindouisme, etc. Des archéo­logues ont même retrou­vé trace de ces céré­mo­nies dans l’Égypte antique, grâce à des textes écrits sur des papy­rus. C’est une pra­tique qui va de pair avec l’histoire de l’homme. 

Les demandes d’exorcisme sont-​elles fré­quentes en France ?

Y. C. : Très ! Au point que l’Église a dû mul­ti­plier les nomi­na­tions d’exorcistes pour y répondre. À la fin des années 1970, il n’y en avait qua­si­ment plus et la plu­part des prêtres ne croyaient plus à la pos­ses­sion dia­bo­lique. Une décen­nie plus tard, face à la recru­des­cence des demandes, l’Église a dû réagir. La France comp­te­rait aujourd’hui une cen­taine de prêtres exorcistes.

Qui peut le devenir ?

Y. C. : Au début de l’Église chré­tienne, tout le monde pou­vait l’être. Puis un exor­ci­stat a été mis en place. Devenaient alors exor­cistes tous ceux qui se des­ti­naient à la prê­trise. Aujourd’hui, les prêtres qui sou­haitent deve­nir exor­cistes doivent être nom­més par un évêque. Ils n’ont pas de for­ma­tion par­ti­cu­lière, mais une grande connais­sance de l’âme. Ils recueillent les confes­sions de nom­breuses per­sonnes et accèdent ain­si à une connais­sance sin­gu­lière de l’être humain. 

Leur pra­tique dépend ensuite de leur culture. Certains prêtres croient encore au diable, d’autres baignent dans les sciences humaines et pensent que les cas de pos­ses­sion relèvent plu­tôt de méca­nismes incons­cients. Certains d’entre eux ont fait des études scien­ti­fiques, j’ai, par exemple, ren­con­tré un prêtre exor­ciste qui avait été méde­cin avant d’entrer dans les ordres.

Qui « consulte » ? 

Y. C. : Des gens de tous les milieux ! J’ai vu des infir­mières, des cri­mi­nels, des psy­cho­pathes, une per­sonne qui tra­vaillait dans la finance, etc. Une par­tie de la clien­tèle de l’exorcisme souffre de psy­cho­pa­tho­lo­gies, par exemple de schi­zo­phré­nie ou de para­noïa, mais pas tous. Il y a des croyants et des athées. En réa­li­té, très peu de gens pensent être pos­sé­dés. Beaucoup pensent être ensorcelés. 

Comment expli­quer cette croyance qui peut sem­bler désuète ?

Y. C. : Dans son ouvrage, Les Mots, la mort, les sorts, Jeanne Favret-​Saada [une eth­no­logue fran­çaise, ndlr] a tra­vaillé sur le recours aux désen­voû­teurs. Elle explique que lorsque des gens vivent une conjonc­tion de mal­heurs, fami­liaux, finan­ciers, conju­gaux, etc., beau­coup finissent par se dire qu’une force magique est à l’œuvre. Penser cela, c’est trou­ver une solu­tion à ses pro­blèmes. On peut alors mettre un mot sur le mal qui nous accable et avoir recours à un spé­cia­liste, en l’occurrence un exor­ciste. J’avais ten­dance à pen­ser que dans notre monde laïque, ces notions étaient un peu pas­sées de mode. En réa­li­té non ! Beaucoup de gens croient tou­jours à la sor­cel­le­rie et au diable.

Les croyances magico-​religieuses ont résis­té à la science et à la raison… 

Y. C. : Le socio­logue Max Weber a par­lé de « désen­chan­te­ment du monde ». L’avancée des sciences et le fait de ne plus « pou­voir » croire qu’il y a une vie après la mort, par exemple, entraî­ne­raient un moment dépres­sif. Se rac­cro­cher à ces croyances aurait alors un rôle ras­su­rant. Freud, lui, explique que la pen­sée magique tra­duit des méca­nismes incons­cients, ancrés au plus pro­fond du psy­chisme de l’homme. De fait, les hommes et les femmes n’ont jamais ces­sé de croire et de pra­ti­quer des rituels magiques, même lorsque de telles pra­tiques étaient pas­sibles du bûcher. 

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