À l’invitation de Yoopies, Causette s’est rendue, fin mai, dans les locaux de la start-up de baby-sitting pour y suivre un atelier baptisé « Graine d’entrepreneuses », adressé à des petites filles. Un après-midi garderie très disruptif.
Celle-ci a déjà un sens du storytelling à faire pâlir d’envie les plus jeunes ambitieux sortis de HEC. « Moi, déjà, j’aimerais remercier ma mère de m’avoir fait venir ici cet après-midi, parce qu’elle m’a déjà beaucoup appris sur les start-up. Et elle a déjà monté deux entreprises, ma mère », claironne Emma*, 9 ans, devant une assistance composée d’une vingtaine d’enfants, pas mal de leurs mères et deux ou trois pères qui font la claque. Bienvenue à Graine d’entrepreneuses, « l’atelier des futures start-upeuses », organisé le 25 mai dans les locaux de Yoopies, plateforme en ligne de baby-sitting, au cœur du XIe arrondissement de Paris.
Au début de cet après-midi ludo-éducatif, Benjamin Suchar, patron fondateur de Yoopies, a lancé un gentil message girl power : « C’est pas parce que vous êtes une petite fille que vous ne pouvez pas coder. Nous, on cherche à avoir autant de filles que de garçons dans nos équipes, mais on a du mal à y arriver. » Et d’ajouter, face à des gamines de 8 à 12 ans qui l’écoutent sagement : « J’espère que cet atelier vous donnera envie de poursuivre dans cette voie et vous ouvrira des opportunités. » Car si, à leur âge, vous jouiez encore aux billes ou racontiez vos déboires amoureux dans des carnets à cadenas, il ne vous aura pas échappé que l’époque a changé. Dans notre fière et vaillante « start-up nation », il n’est jamais trop tôt pour se lancer dans l’aventure « inspirante » qu’est la création d’entreprises innovant autant dans les nouvelles technologies que dans les audaces capitalistiques. Et parce que les parents de ces enfants les chérissent et veulent leur donner les meilleures chances de départ dans la vie, les voilà sept à faire la queue pour « pitcher » leurs idées de start-up.
Grosse compète
Il y a donc Emma, qui rêve de lancer un « chatbot écolo » (comprenez un robot à qui vous pourriez demander conseil sur Internet pour réduire votre empreinte carbone) ; Lily, qui voudrait créer un « boîtier pour appuyer dessus pour prévenir quand on rentre de l’école les parents qui ne veulent pas qu’on ait de portable » ; ou encore Nadia, qui imagine un « pull chauffant » qui s’allume « par drone ». Certes, « toutes les idées sont très bonnes », insiste Benjamin Suchar, pédagogue, mais la start-up ambiance de l’après-midi implique libre concurrence et, de facto, une sélection darwinienne des meilleurs potentiels. Il faut donc procéder à un vote, dans lequel la vingtaine de petites filles indique ses trois choix de cœur en plaçant des jetons – de poker, ça sent les soirées team building chaleureuses chez Yoopies – dans des gobelets numérotés. Maddy, une mignonne future CEO en culotte courte, reçoit sa première rude leçon du féroce monde de l’entrepreneuriat : sa proposition – un site Internet pour adopter les animaux sauvages – n’a reçu que deux petites voix. La faute, probablement, à un manque d’aisance lors de la présentation en public : apeurée, elle avait laissé parler sa maman.
Marketing et reach d’audience
Les quatre ambitieux projets ayant reçu le plus de jetons – le chatbot écolo, le pull chauffant, une appli pour scanner les animaux qu’on croise extra-muros afin de les reconnaître et un robot humanoïde pour tenir compagnie aux enfants « et, surtout, faire leurs devoirs » – sont retenus. Benjamin Suchar demande aux enfants de se regrouper autour de la gagnante qu’elles veulent aider à monter son projet et, soudain, une lueur de panique passe furtivement dans le regard des adultes. À part sa petite sœur, personne n’a daigné se mettre avec Emma pour disrupter la green tech avec son chatbot. La plupart des enfants ont nettement préféré hacker le marché des robots domestiques pour ne plus buter sur leurs exos de maths. Il faut alors aux encadrant·es dégainer des trésors de persuasion – « pour qui l’écologie, c’est important ? », façon culpa ; « celle qui se désigne aura droit à une standing ovation », façon management bienveillant – pour pousser les moins entêtées à rejoindre la pauvre Emma. Après quelques pourparlers, ouf ! ça y est, les équipes sont constituées, et les parents invités à revenir dans deux heures, le temps de laisser mouliner l’incubateur à (très) jeunes pousses.
Au jeu du juste prix
Chaque équipe passe alors dans l’un des quatre ateliers proposés, avant de tourner. Initiation au code pour créer le site de sa start-up, création d’un logo, mais aussi introduction à la publicité sur les réseaux sociaux… et au marketing. « Donc, là, c’est un atelier marketing, annonce une entrepreneuse de Willa, un incubateur de start-up engagé sur la mixité et associé à Yoopies pour cet événement. On est une entreprise et on fait des produits. On veut en faire quoi, des produits ? – Que les gens les connaissent, tente une petite du groupe robot pour enfants. – Que les gens les connaissent, c’est tout ? insiste la jeune femme. – Ben, on veut qu’ils les achètent », précise une autre gamine. S’ensuit un échange sur le nom à donner au robot, la cible des consommateurs et consommatrices, ainsi que le prix auquel le vendre, sur lequel une fillette décrétera que « 200 euros, c’est cher, mais 75 euros, c’est bien ». Côté réclame, deux jeunes femmes apprennent aux enfants qu’« aujourd’hui, on est obligé d’être sur les réseaux sociaux quand on est une marque », avant de leur donner quelques rudiments de hashtag pour toucher sa clientèle. L’après-midi se termine avec une présentation aux parents des avancées de chaque groupe, toujours sur une note un peu flippante : entre sympathie pour la volonté affichée de réserver ces séances aux filles pour « leur dire que les portes de l’entreprise leur sont grandes ouvertes et qu’elles sont aussi capables que les garçons de travailler dans les nouvelles technologies » et vaste sentiment de malaise face à l’invitation des adultes à jouer à la marchande French Tech.
* Tous les prénoms ont été modifiés.