Six femmes de l'association La Collective des mères isolées de Montreuil (93) signalent conjointement les manquements à la déontologie et à la procédure pénale dont auraient fait preuve des agent·es du commissariat de Montreuil à leur égard.
« A chacune de mes réponses à ses questions sur ma vie sexuelle, il se retournait avec de grands yeux interloqués. J'étais hyper mal à l'aise », se souvient Sandrine. Ce matin de mars 2020, en plein confinement, elle dépose plainte contre son ex dans un bureau exigu du commissariat de la police nationale de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Où se déroule simultanément la garde à vue d'un jeune pour une histoire d'effraction de cave. « J'ai dû décliner mon identité, celle de mes proches, répondre à des questions très précises sur ma vie sexuelle juste à côté de cet interpelé. Alors qu'habitant dans le même quartier, il aurait très bien pu connaître mon ex-conjoint », déplore la jeune femme. Lors de sa première tentative de dépôt de plainte, la veille, on l'avait renvoyée chez elle en lui conseillant de porter plainte sur internet. « Je n'ai pas su prendre conscience de la gravité et de l'incohérence de la situation sur le moment. C'est après coup que je me suis dit qu'ils n'avaient pas agi correctement », poursuit-elle. Plus grave encore, dans ses plaintes ultérieures, l'officier mentionne dans les procès-verbaux le fait qu'elle dispose d'un téléphone « grave danger ». Une faute : cette information, alors accessible à son ex-conjoint, affaiblit l'efficacité du dispositif, que le « grave danger » en question peut alors déjouer.
« Il faut vous faire soigner »
« Au début, j'ai minimisé, j'essaye toujours de comprendre les gens. Mais en discutant avec les mères de La Collective, je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule. » La Collective des mères isolées de Montreuil a été fondée début 2020, au départ, sur des revendications à propos de la tarification des prestations périscolaires de la ville. Mais l'association a vite diversifié ses activités : cafés le samedi matin, après-midi au parc, échanges d'articles de presse sur les mères solo, de vêtement d'enfants, mais aussi soutien moral, défense de leurs droits et escorte au commissariat quand il y en a besoin – nombre d'entre elles sont engagées dans des procédures pour violences conjugales. Six d'entre elles se sont dotées d'une avocate qui a envoyé, fin novembre, leurs témoignages à l'IGPN, au Défenseur des droits et au procureur de la République sur les manquements à la déontologie dont auraient fait preuve les agent·es du commissariat de Montreuil à leur égard.
Cette idée a éclos suite à la grande déconvenue de Sarah M. « Madame c'est pas d'endométriose, [dont] vous êtes atteinte. La bipolarité, c'est une pathologie psychique grave », lui assène, selon Sarah M., la policière qui instruit sa plainte pour violences conjugales, lorsque Sarah lui demande des précisions sur les motifs de son classement sans suite. Sarah comprend que son ex et son meilleur ami ont convaincu la policière de ne pas la croire en expliquant que l'arrêt de la prise de son régulateur d'humeur, pendant la grossesse, l'aurait rendue folle et enlevé toute crédibilité à sa parole. « Par ailleurs, j'ai interrogé votre ex, très charmant, sympathique pas agressif du tout, aurait poursuivi la policière, en roue libre. Le coup du pervers manipulateur, c'est ce que toutes les femmes disent. Si vous n'êtes pas contente de notre travail, il faut vous faire soigner. » Effondrée, Sarah demande ensuite qu'on lui communique son dossier judiciaire. Elle se rend compte que la policière n'a pas transféré au procureur l'ensemble des pièces qu'elle lui avait confiées. « Alors que seul le procureur dispose de l'opportunité des poursuites, de l'ouverture d'une enquête et de retenir ou non des éléments, en aucun cas la police ne peut s'y substituer », commente leur conseil, Me Labrot.
Soutien politique de la mairie de Montreuil
Touchée, la prof ne se laisse pas couler. Fondatrice de la Collective, elle a justement rendez-vous avec la conseillère municipale déléguée aux droits des femmes de Montreuil quelques jours plus tard. Un appel à témoignages est lancé sur le fil Whatsapp pour faire remonter les éventuels problèmes similaires aux élu·es. Là, surprise, les récits pleuvent. Parmi eux, celui de Myriam1, qui a eu maille à partir avec la même officière de police judiciaire que Sarah M. Alors qu'elle sortait de deux jours d'hospitalisation suite aux violences de son conjoint, la policière a cru bon de fusionner l'étape du dépôt de plainte et celle de la confrontation. Au cours de cette audition très particulière, l'officière aurait haussé le ton à plusieurs reprises sur la plaignante, multipliant les remarques sur sa tenue, sur le fait qu'elle soit maquillée. « Comme si une femme qui avait été hospitalisée ne pouvait pas s'être fait belle. Moi je voulais paraître forte face à lui », s'énerve encore Myriam. Plus tard, alors que Myriam retourne un dimanche soir dans les locaux pour porter plainte pour abandon de famille – non versement de la pension alimentaire -, la même policière la menace d'appeler les services sociaux et de lui retirer ses enfants, arguant que leur place n'est pas d'être à 20 heures un dimanche dans un commissariat. Auparavant, quand la plaignante avait tenté d'appeler le commissaire pour lui demander d'intervenir en tiers dans le conflit qui l'oppose à cette officière, c'est finalement celle-ci qui l'avait recontactée directement. D'après Sarah M., la policière lui détaille alors combien elle a le bras long, et combien les magistrats du tribunal de Bobigny « l'adorent et apprécient son travail ». Une manière de faire peser sur elle une menace quant à la garde de ses enfants.
Les mères de la Collective transmettent donc fin 2020 ces témoignages à Mama Doucouré, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à l'égalité, et Loline Bertin, adjointe au maire déléguée à la tranquillité publique. Cette dernière indique que le correspondant ville-justice s'est rapproché du commissariat pour examiner au cas par cas ces situations, et s'assurer que les compléments de plaintes demandés soient pris. Les femmes de la Collective affirment n'avoir pas eu de retours à propos cette démarche. L'élue à la tranquillité avance sur deux fronts : l'animation d'un réseau local réunissant les différent·es acteur·rices de la lutte contre les violences faites aux femmes d'un côté, et l'intervention directe auprès du commissariat sur les dossiers individuels qui lui sont remontés par les citoyennes. Mama Doucouré souligne : « Nous soutenons la démarche de ces femmes. Mais la police nationale n'est pas sous l'autorité de la mairie. A elle de s'assurer que les femmes soient protégées, qu'elles puissent porter plainte. » En parallèle, les mères de la Collective alertent Claire Vercken, la déléguée départementale droit des femmes et égalité d'Ile-de-France en novembre 2020. Après leur relance en janvier 2021, Claire Vercken leur répond dans un mail que Causette a pu consulter qu'elle a transmis leur alerte à la Direction de la tranquillité publique, c'est-à-dire au commissariat municipal de Montreuil. Sans suites connues par les mères jusqu'à présent. Ni cette déléguée, ni la préfecture de Police vers qui le commissariat de Montreuil nous avait renvoyées n'ont répondu à nos sollicitations.
Donner l'envie aux femmes de se regrouper et d'agir
Les choses n'allant ni assez vite, ni assez loin pour les « daronnes », comme elles s'appellent parfois, les six femmes décident en 2021 de passer à la vitesse supérieure et convoquent les services de Me Labrot, une avocate qui tient des permanences à la Maison des femmes de Montreuil. Refus de plainte, mauvaises conditions d'accueil, violation du secret de l'enquête et de la vie privée des plaignantes, manque de neutralité dans la procédure… Selon l'avocate, les manquements à la déontologie et à la procédure pénale que recèlent les témoignages sont pléthore.
Les femmes de La Collective croient que leurs démarches pourraient donner des résultats rapides : « Quand on arrive au commissariat de Montreuil, il y a une file d'attente énorme. On a besoin d'être prises en charge tout de suite », juge Myriam. Sandrine complète : « Il faut que les policiers se réveillent, humainement parlant. Les faibles effectifs, la fatigue, cela ne doit pas être le problème des victimes. Il faut que les forces de l'ordre soient sensibilisées aux violences particulières que sont celles qui s'abattent sur les femmes et les enfants. »
Elles savent aussi qu'elles participent à un mouvement national. « J'espère que notre parole donnera le courage aux autres personnes victimes des même choses de témoigner à leur tour, comme celles de Montpellier, avec leur #Doublepeine, nous ont encouragé à parler », poursuit Sandrine. « Nous n'attendons pas des retombées individuelles. On ne se fait pas d'illusions sur d'éventuelles sanctions disciplinaires des policiers qui nous ont malmenées : même dans des situations très graves, on voit qu'ils sont très rarement sanctionnés », avance Sarah M. Elle souhaite, à travers sa prise de parole publique, que les femmes qui ont vécu une double maltraitance, de leur conjoint, puis d'un commissariat, aient conscience qu'il existe des recours, y compris institutionnels : « Je veux donner l'envie aux femmes de se regrouper, qu'elles se rendent compte qu'elles ne sont pas seules, qu'elles agissent. Et que la police sache qu'elles disposent de marges de manœuvre pour ne pas se laisser faire. C'est un peu comme creuser une tranchée à la petite cuillère, mais si on arrive à produire cet effet, ce sera déjà pas mal. »
- Le prénom a été modifié[↩]